Modification et conversion des actions de préférence en SAS : des précisions inédites et lourdes de conséquences

Dans un arrêt publié au Bulletin (Cass. Com., 10 juillet 2024, n°22-15.836), la chambre commerciale de la Cour de cassation a apporté des précisions inédites sur les modalités de modification des droits attachés aux actions de préférence dans les SAS, auxquelles il convient de porter la plus grande attention.

Contexte de l’arrêt

En l’espèce, l’assemblée générale extraordinaire d’une SAS avait décidé la modification des droits attachés à des actions de préférence, en l’occurrence la réduction du dividende prioritaire prévu.

Deux associés concernés par la modification litigieuse requéraient l’annulation des résolutions d’assemblée, en faisant valoir que leur consentement individuel n’avait pas été recueilli avant la modification et que des titulaires des titres modifiés avaient pris part au vote de l’assemblée en violation de l’article L. 228-15, alinéa 2 du code de commerce, selon lequel « les titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie ».

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La réparation des spoliations de biens culturels sous l’Occupation : un rapport éclairant de la Cour des comptes

« – Récemment, beaucoup de clients comme vous sont venus me voir avec une grande urgence de vendre. Je vous assure que c’est très désagréable pour moi. C’est embarrassant. Et bien souvent, je préférerais ne pas acheter. – Alors n’achetez pas » (Monsieur Klein, Joseph Losey, Alain Delon, 1976).

Les civilistes savent que la « violence » est un vice du consentement, cause de nullité d’un contrat. « Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » (article 1140 code civil). Il y a le droit, les faits, mais aussi la morale, l’honneur et des consciences qui résistent. Jennifer Lesieur vient de consacrer une monographie à Rose Valland, attachée de conservation au musée du Jeu de Paume pendant l’Occupation, qui a joué un rôle décisif dans la sauvegarde et la restitution de 60 000 œuvres d’art volées par les nazis aux familles juives et institutions publiques (Rose Valland, l’espionne à l’œuvre, Robert Laffont, 2023).

Le récent rapport de la Cour des comptes « La réparation par la France des spoliations de biens culturels entre 1933 et 1945 : restitutions et indemnisations » (septembre 2024) dresse un état des lieux bienvenu. Le contexte historique est tragique, les non-dits et malentendus désastreux, certaines clarifications indispensables. Le travail d’enquête mené par les sages de la rue Cambon auprès de 150 institutions en France (ministère de la culture, principaux établissements culturels nationaux, musées, bibliothèques, services d’archives) et à l’étranger (Allemagne, Suisse, Autriche, Pays-Bas) doit être salué. Le rapport est structuré en quatre chapitres et onze annexes instructives. Citons parmi ces dernières : Les différents modèles de réparation des biens culturels spoliés, en Europe et aux États-Unis ; Les recommandations de la « mission Mattéoli » ; L’affaire des « Rosiers sous l’arbre » (Klimt) restitués par le musée d’Orsay.

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Modification de la transposition française de la CSRD par le projet de loi du 31 octobre 2024

Le 31 octobre 2024, un projet de loi[1] adaptant le droit national français au droit de l’UE a été déposé devant l’Assemblée nationale par le gouvernement. Le projet contient notamment des propositions d’adaptation de l’ordonnance du 6 décembre 2023[2] transposant la directive européenne sur la publication d’informations en matière de durabilité (ci-après la « CSRD »[3]).

Ce projet de loi intervient dans un contexte de forte remise en cause des obligations prévues par la CSRD, aussi bien à l’échelle française (Voir notre article dédié) qu’européenne.[4]

Les modifications proposées sont pour la plupart formelles et permettent notamment de corriger des erreurs de référence, harmoniser certaines dispositions – notamment du Code monétaire et financier et du Code de commerce – avec la CSRD, ou encore de clarifier certaines dispositions transitoires.

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La mission de l’auditeur de durabilité : un éclairage bienvenu de la part de la Haute Autorité de l’Audit, à l’heure des premiers rapports de durabilité

La Haute autorité de l’audit (« H2A ») a publié début octobre des lignes directrices à destination des futurs auditeurs de durabilité français. Elles définissent et précisent les attendus dans l’exercice de leur mission de certification auprès des entités assujetties à la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises[1] (« CSRD »). Un éclairage bienvenu, en attendant la publication de la norme européenne dédiée à l’assurance limitée qui doit être adoptée par la Commission européenne d’ici le 1er octobre 2026.

Les lignes directrices de l’H2A ont un caractère transitoire. Elles ont vocation à s’appliquer aux premiers rapports de durabilité, attendus dès janvier 2025 pour les grandes entreprises cotées,[2] sur la base de l’exercice fiscal 2024.

Pour mémoire, la mission de l’auditeur consiste à vérifier et certifier les informations de durabilité publiées par l’entreprise assujettie à la CSRD, dans le cadre de son rapport de gestion. Les premiers rapports de durabilité feront l’objet d’une assurance dite « limitée » de la part de l’auditeur, pendant une durée minimale de trois ans : il va conclure, le cas échéant, qu’il n’a pas identifié d’erreurs, d’omissions ou d’incohérences importantes dans le rapport de durabilité, susceptibles d’influencer les décisions que pourraient prendre les utilisateurs des informations publiées dans le rapport. Ces conclusions vont donner lieu à l’émission d’un avis.

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Projet d’accord de libre-échange UE-Mercosur : commentaires de spécialistes en propriété intellectuelle

Le projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur suscite inquiétudes et polémiques. Sans entrer dans ces débats, nous essaierons ici de décrire aussi objectivement que possible, avec nos lunettes d’avocates spécialisées en propriété intellectuelle, ce que le projet prévoit dans notre domaine.

La question de la protection des droits de propriété intellectuelle est souvent incontournable dans le cadre de la négociation d’alliances commerciales internationales. Il s’agit de discuter de la façon dont le système facilitant les échanges entre plusieurs pays prendra en compte les règles du jeu sur la protection des créations, des inventions, des indications géographiques etc. Ainsi, dans le cadre de l’accord qui a institué l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994, les pays membres ont négocié un accord spécifique sur les « ADPIC » (aspects de droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), amendé plusieurs fois depuis.

Le projet d’accord UE-Mercosur ne déroge pas à la règle et consacre tout un chapitre à la propriété intellectuelle. Nous traiterons ici des sous-sections portant sur les indications géographiques, les brevets et les variétés végétales en laissant de côté les droits d’auteur, marques, dessins et modèles et secrets d’affaires pour une éventuelle deuxième publication.

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Du Règlement Bois au Règlement Déforestation

Dans un contexte de forte multiplication des réglementations environnementales, dans le prolongement du Pacte Vert pour l’Europe (ou Green Deal), le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 31 mai 2023 un nouveau règlement n°2023-1115 relatif à la déforestation et dégradation des forêts (RDUE). Ce nouveau règlement abroge l’ancien Règlement Bois n°995/2010 (RBUE).

L’objectif de ce nouveau texte est d’assurer une « consommation dans l’Union de produits issus de chaînes d’approvisionnement ‘‘zéro déforestation’’ ». Pour y parvenir, le texte encadre strictement un plus grand nombre de produits que l’ancien règlement qui ne visait que le bois et les produits dérivés de bois. Désormais sont visés sept produits de base : les produits bovins, le cacao, le café, le palmier à huile, le caoutchouc, le soja et le bois ainsi qu’une liste de produits qui contiennent, ont été nourris ou sont fabriqués, à partir de ces produits de base.

Nous vous proposons un focus sur ce sujet à travers deux articles complémentaires :

L’AFA en faveur de l’interopérabilité entre Sapin II et CSRD : attention à l’impact pour l’ensemble des entreprises assujetties à la CSRD

L’Agence Française Anticorruption (« AFA »)[1] a publié le 16 octobre 2024 une présentation destinée à aider les entités assujetties à la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (« CSRD »)[2] à rendre compte de leur programme de conformité en matière de lutte contre la corruption. Le message passé va toutefois bien au-delà de ce cadre et plaide en faveur d’un élargissement du champ de Sapin II[3] à des sociétés qui ne seraient pas soumises aux seuils actuels.

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AI or not AI ? Réflexions sur l’« AI-Washing » à l’aune du droit français

IA par-ci, IA par là. L’intelligence artificielle est aujourd’hui incontournable et devient un argument de vente : « Notre produit à la pointe de la technologie utilise de l’IA ». A l’instar du « greenwashing », peut-on parler d’AI-washing ? Aux Etats-Unis, la SEC a récemment sanctionné plusieurs sociétés pour avoir fait croire à leurs clients qu’ils utilisaient des outils d’intelligence artificielle. De tels comportements pourraient-ils être sanctionnés en France ?

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Devoir de vigilance : impacts de la Directive CS3D

L’adoption de la Directive UE 2024/1760 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de développement durable ((« CS3D »), le 24 mai 2024 par le Conseil de l’UE, a mis fin à d’intenses débats concernant le champ d’application et le contenu du texte.

La Directive a pour ambition d’accroître les standards de vigilance des entreprises au regard des impacts négatifs que leur chaîne d’activités peut avoir sur les droits humains et l’environnement. Par le terme « chaîne d’activités », le législateur attend des entreprises qu’elles surveillent les relations commerciales directes et indirectes de chacune de leurs entités. Cette obligation s’appliquera que les relations s’opèrent ou non au sein de l’UE, conférant ainsi à cette réglementation un effet extraterritorial dépassant amplement les frontières des 27.

Ces nouvelles obligations de diligence, et surtout le régime de sanctions qui s’y attache, constituent une évolution particulièrement significative. La France et l’Allemagne, d’ores et déjà pourvues de dispositifs similaires, seront désormais appelées à compléter et modifier leurs obligations nationales afin de se conformer aux nouvelles obligations européennes.

Les lois de transposition sont attendues au plus tard le 26 juillet 2026.

Notre article complet vous éclaire sur le régime et le cadre d’application de la Directive, ainsi que ses impacts sur les lois française et allemande.


Une version en anglais est également disponible : How the CS3D Will Change ESG Obligations for Companies Operating in the EU

Gérer l’imprévision (art 1195 du code civil)  Quelques conseils pratiques à l’aune de décisions récentes

La parole donnée doit être respectée. Pacta sunt servanda. Tous les juristes connaissent l’adage. La digue de l’arrêt Canal de Craponne (1876) a rompu avec la réforme du droit des contrats de 2016. Notre droit s’est aligné sur les standards internationaux en la matière, et autres projets d’harmonisation.  

Le nouvel article 1195 du code civil dispose : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Huit ans plus tard, l’avalanche de recours en révision contractuelle que beaucoup attendaient n’a pas eu lieu. A notre connaissance, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur l’article 1195 CC. Les faits, déterminants en la matière, relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond. Nous allons ici commenter quelques décisions récentes éclairantes pour les praticiens, qu’il s’agisse, en amont de rédaction, d’ingénierie contractuelle, ou en aval, de contentieux. Dans les affaires, comme bien souvent dans les prétoires, gagner c’est prendre le maximum de risques avec le maximum de précautions.

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