
Contexte et objectifs de la proposition Omnibus
La Commission européenne avait présenté le 26 février 2025 de nouvelles propositions ayant vocation à faciliter la mise en œuvre des règles de durabilité pour les entreprises, regroupées sous le terme de proposition « Omnibus ». Cette proposition visait principalement à simplifier et rendre plus pragmatiques les obligations imposées par la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la directive Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), le Règlement Taxonomie et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, afin de réduire la charge administrative qu’elles font peser sur les entreprises.
Débats et vote au Parlement européen
Alors que le Conseil de l’Union européenne avait arrêté sa position sur la CSRD et la CS3D en juin 2025[1], il revenait désormais au Parlement européen d’entamer l’examen de la proposition Omnibus. Le Parlement européen est dans un premier temps parvenu à un accord le mercredi 8 octobre 2025. Un vote a ensuite eu lieu le 13 octobre en commission des affaires juridiques (JURI).
Vote en commission JURI : les points clés
La commission des affaires juridiques (JURI) du Parlement européen a voté sa position le 13 octobre 2025, permettant de clarifier la position du Parlement sur plusieurs aspects clefs des textes.
1. Les modifications apportées à la CSRD
- Champ d’application restreint :
- Seules les entreprises ayant plus de 1 000 employés et un chiffre d’affaires d’au moins 450 millions d’euros seraient soumises aux obligations de reporting[2] (contre 1 000 employés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou un bilan supérieur à 25 millions d’euros dans la proposition de la Commission[3]). Cette mesure exclut environ 90 % des entreprises soumises initialement.
- Les entreprises non-européennes seraient concernées dans la mesure où elles réalisent un chiffre d’affaires annuel net supérieur à 450 millions d’euros dans l’Union européenne. Sur ce point, il faut noter que la Direction générale FISMA de la Commission européenne a présenté début octobre son plan visant à retarder l’adoption d’une série de législations secondaires destinées à mettre en œuvre ou à compléter les actes législatifs adoptés dans le domaine des services financiers, dont l’acte délégué relatif au reporting des entreprises étrangères[4].
- Value chain cap : Seules les informations contenues dans les normes volontaires pour les PME (VSME)[5] pourraient être demandées aux entreprises qui ne sont pas soumises à la CSRD, à l’exception des informations en matière de durabilité couramment échangées entre les entreprises du secteur concerné. Cette mesure aurait vocation à limiter le volume et la nature des informations à collecter.
2. Modifications substantielles de la CS3D
- Champ d’application restreint : La directive ne s’appliquerait qu’aux entreprises de très grande taille, c’est-à-dire celles dépassant 5 000 employés et un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros[6], ce qui constitue un changement significatif par rapport aux propositions de la Commission européenne (1 000 employés et 450 millions d’euros[7]). Cette mesure exclut environ 70 % des entreprises qui auraient été soumises initialement. Concernant les entreprises non-européennes, elles seraient concernées si elles réalisent un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros dans l’Union européenne.
- Approche fondée sur le risque : Les entreprises devraient adopter une approche fondée sur les risques en matière de due diligence[8]. Les entreprises devraient réaliser une analyse préliminaire afin d’identifier les domaines généraux où les impacts négatifs sont les plus susceptibles de se produire et d’être les plus graves. Sur la base des résultats de cette analyse et lorsque, sur la base d’informations pertinentes et vérifiables, l’entreprise a des raisons de croire que des impacts négatifs sont survenus ou pourraient survenir, elle devrait procéder à des évaluations approfondies dans les domaines où ces impacts ont été identifiés comme les plus susceptibles de se produire et les plus graves.
- Au stade de l’analyse préliminaire, les entreprises ne s’appuieraient que sur des informations raisonnablement disponibles (informations publiquement connues, des recherches ou des informations obtenues lors de coopérations antérieures), sans solliciter directement les partenaires commerciaux. Il est possible de solliciter, dans certaines conditions, les partenaires commerciaux pour obtenir plus d’informations dans le cadre d’évaluations approfondies. Il faut alors que ces informations demandées auprès de partenaires qui ont moins de 5 000 employés soient nécessaires, et ne peuvent être obtenues par d’autres moyens (par exemple à partir de sources existantes ou secondaires)[9]. Si les entreprises ne disposent pas de toutes les informations nécessaires concernant leurs chaînes d’activités, elles doivent être en mesure de justifier pourquoi ces informations ne peuvent être obtenues[10].
- Plan de transition climatique : Les entreprises devraient toujours élaborer un plan de transition climatique conforme à l’Accord de Paris. Toutefois, elles ne seraient pas obligées de le mettre pleinement en œuvre, mais devraient fournir des efforts raisonnables[11], définis comme le fait de prendre des mesures proportionnées et raisonnables sans avoir à épuiser tous les moyens à leur disposition.
- Responsabilité civile : Aucune harmonisation n’est prévue pour les régimes de responsabilité civile, et chaque État membre déterminerait sa propre approche[12]. Les sanctions pécuniaires ne pourraient pas dépasser 5 % du chiffre d’affaires mondial net de l’entreprise.
Coup de théâtre : rejet du compromis validé en Commission JURI
Lors d’un vote le 22 octobre 2025, le Parlement européen a finalement rejeté le mandat adopté par la commission JURI le 13 octobre, lequel reprenait les éléments mentionnés précédemment.
Le résultat du vote (309 voix pour, 318 contre et 34 abstentions) révèle les divisions qui traversent le Parlement européen. Tandis que l’extrême droite dénonçait un compromis imposant des contraintes excessives aux entreprises, la gauche et les Verts estimaient qu’il était nécessaire de renforcer les obligations des entreprises pour garantir une réelle protection des droits humains et de l’environnement.
Prochaines étapes
Les discussions en trilogue qui devaient avoir lieu devront finalement attendre. En effet, à la suite de ce rejet, le texte sera renégocié lors de la prochaine session plénière, qui se tiendra à Bruxelles les 12 et 13 novembre. D’ici là, les députés européens déposeront leurs amendements au compromis trouvé en Commission JURI.
Ensuite, les discussions en trilogue entre Parlement, Conseil et Commission débuteront afin de parvenir à un accord final.
Une fois le texte final adopté, les États membres disposeront d’un délai de transposition pour intégrer ces modifications dans leur droit national. Les entreprises devront donc suivre attentivement ces évolutions pour adapter leurs pratiques.
[1] Conseil de l’Union européenne, Simplification : le Conseil arrête sa position sur les obligations relatives à la publication d’informations et au devoir de vigilance en matière de durabilité, en vue de stimuler la compétitivité de l’UE, 23 juin 2025.
[2] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[3] Squire Patton Boggs, Proposition Omnibus : les points clés à retenir et les prochaines étapes. La Revue, 14 mai 2025.
[4] DG FISMA, Non-essentiel empowerments in DG Fisma Acquis, 1 octobre 2025.
[5] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[6] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[7] Squire Patton Boggs, Proposition Omnibus : les points clés à retenir et les prochaines étapes. La Revue, 14 mai 2025.
[8] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[9] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[10] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[11] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.
[12] Parlement européen, Voting list – Proposition de directive modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines exigences en matière de reporting et de diligence raisonnée des entreprises, 13 octobre 2025.