IA par-ci, IA par là. L’intelligence artificielle est aujourd’hui incontournable et devient un argument de vente : « Notre produit à la pointe de la technologie utilise de l’IA ». A l’instar du « greenwashing », peut-on parler d’AI-washing ? Aux Etats-Unis, la SEC a récemment sanctionné plusieurs sociétés pour avoir fait croire à leurs clients qu’ils utilisaient des outils d’intelligence artificielle. De tels comportements pourraient-ils être sanctionnés en France ?
Aujourd’hui, l’IA est partout et aucun secteur de l’activité humaine ne lui échappe. Navigation sur internet, diagnostic médical, analyse des performances sportives, création publicitaire, justice prédictive… l’IA est là, pleine de promesses. Les publicitaires sont donc naturellement tentés d’utiliser le vocable « intelligence artificielle » pour souligner le caractère innovant et performant de leurs produits.
La SEC[1] américaine est claire : stop au dernier « buzz word » à la mode pour faire vendre. En mars dernier, lorsqu’une première sanction (avec accord transactionnel) a été prononcée par la SEC contre deux sociétés de conseil financier qui prétendaient utiliser de l’IA pour fournir leurs services, le Directeur de la Division « Enforcement » de la SEC annonçait la couleur : « Alors que de plus en plus d’investisseurs envisagent d’utiliser des outils d’IA pour prendre leurs décisions d’investissement ou décident d’investir dans des entreprises qui prétendent exploiter ses capacités transformatrices, nous sommes déterminés à les protéger contre ceux qui se livrent à de l’ « AI-washing » ». Il réaffirmait cette détermination, quelques mois plus tard, en juin, alors que la SEC annonçait poursuivre une autre société, cette fois spécialisée dans le recrutement, pour des allégations similaires.
L’AI-washing pourrait-il aussi être sanctionné en France ?
Définition de la publicité mensongère
En droit français, une pratique commerciale est trompeuse si elle « repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur » et qu’elle porte sur l’un des éléments importants énumérés par le texte tels que les caractéristiques du produit, par exemple les résultats attendus (art. L.121-2 du Code de laconsommation). Il s’agit donc de séparer le bon grain de l’ivraie, le vrai du faux, ce qui suppose de pouvoir utiliser des critères objectifs.
Le juriste à qui l’on reproche souvent d’utiliser un jargon, fait un usage particulier de la langue en veillant à utiliser les mots justes, ce qui suppose de disposer de définitions précises.
Y-a-t-il une définition de l’intelligence artificielle ?
Il n’y a pas une, mais une multitude de définitions de l’IA.
Définitions académiques
Selon le Dictionnaire de l’Académie Française (qui reste une référence pour nos juges), l’intelligence artificielle est un « ensemble de propriétés rapprochant du cerveau humain certains systèmes informatiques très évolués. »
On peut retenir deux idées de cette définition.
Tout d’abord, on parle de « systèmes informatiques très évolués ». C’est un concept subjectif. On peut affirmer qu’un système informatique est plus évolué qu’un autre parce qu’il met en œuvre un nombre plus élevé d’opérations ou bien parce que ses performances sont meilleures. Mais à partir de quel degré un système peut-il être qualifié de « très évolué » ?
Le deuxième critère compare ces systèmes informatiques à l’intelligence humaine dont ils se rapprocheraient. Autrement dit, il s’agit d’outils logiciels sophistiqués imitant l’intelligence humaine. Mais comment définir l’intelligence humaine ?
Selon le célèbre astrophysicien Stephen Hawkings, « l’intelligence est la capacité de s’adapter au changement ».
Si l’on se tourne à nouveau vers l’Académie Française, son Dictionnaire définit l’intelligence comme la « faculté de comprendre, de concevoir, de connaître ». Justement, une partie du succès de ChatGPT et Dall-E tient au fait que ces outils sont capables de générer du texte et des images. C’est l’IA dite générative que le grand public a appris à connaître.
Les entreprises quant à elles, s’intéressent plutôt à l’IA prédictive c’est-à-dire à des outils capables d’analyser une énorme quantité de données pour essayer de prédire l’avenir. Peut-on pour autant parler de « comprendre » et de « connaître » ?
On voit que les concepts utilisés dans ces définitions académiques sont assez subjectifs et manquent de la précision qui est recherchée par les juristes.
Définition juridique
La loi française ne contient pas (encore…) de définition de l’IA. En revanche, les institutions européennes se sont attelées à la tâche.
Le nouveau Règlement n° 2024/1689 du Parlement Européen et du Conseil sur l’IA, publié en juillet dernier, définit le système d’IA comme : « un système automatisé qui est conçu pour fonctionner à différents niveaux d’autonomie et peut faire preuve d’une capacité d’adaptation après son déploiement, et qui, pour des objectifs explicites ou implicites, déduit, à partir des entrées qu’il reçoit, la manière de générer des sorties telles que des prédictions, du contenu, des recommandations ou des décisions qui peuvent influencer les environnements physiques ou virtuels » (art. 3 (1)).
Une définition plus précise que celle des immortels mais relativement complexe, dont on peut retenir pour la simplifier le recours aux notions d’autonomie et d’adaptation.
AI-Washing à la française
Les Américains ont souvent une longueur d’avance sur nous. Il est certain que les juges français auront bientôt à déterminer si une publicité utilisant le vocable « intelligence artificielle » est licite ou non. Ils auront à décider si tel ou tel outil relève ou non de l’IA, ce qui suppose d’avoir une définition de l’IA.
Les juges auront la possibilité de se référer à la définition figurant dans le Règlement, mais ce n’est pas une obligation car le critère en matière de publicité mensongère est : que va comprendre le client potentiel auquel s’adresse la publicité ? Or, ce client potentiel peut être un consommateur lambda (pour qui l’IA a des performances proches du cerveau humain) ou bien une entreprise, disposant d’un service informatique capable de reconnaître un outil sophistiqué d’un outil plus « standard ».
On attend avec impatience de pouvoir lire les décisions qui ne vont pas manquer d’intervenir. D’ici là, nous sommes bien sûr à la disposition de nos clients pour les guider dans leur communication.
[1] La SEC est l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers.