Les statuts des sociétés par actions simplifiées (« SAS ») peuvent prévoir une clause d’exclusion, qui permet d’exclure de la société l’un de ses associés. La mise en œuvre de cette exclusion se traduit par le rachat des actions de l’associé exclu. Il convient d’être rigoureux dans la rédaction et dans l’adoption d’une telle clause, soumise aux règles de droit commun des sociétés, ainsi qu’aux règles spéciales applicables aux SAS. A défaut de vigilance, l’adoption, la modification ou l’exclusion prononcée sur le fondement d’une telle clause pourraient être contestées en justice.
Ajout ou modification de la clause d’exclusion
L’accord des associés à l’unanimité était auparavant requis pour l’adoption ou la modification des clauses d’exclusion dans les statuts de SAS. Depuis la loi de simplification du droit des sociétés n° 2019-744 du 19 juillet 2019 (la « Loi Soilihi »), entrée en vigueur dans le sillage de la loi Pacte, ces clauses peuvent désormais être adoptées ou modifiées « par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts » (article L.227-19, alinéa 2 du Code de commerce).
Ce nouvel ajout a été perçu par une partie de la doctrine comme une mise en danger des actionnaires minoritaires de SAS, dont la place dans la société serait soumise au bon vouloir des actionnaires majoritaires.
Certains auteurs ont également rappelé le principe posé par l’article 1836 du Code civil, selon lequel il est interdit d’augmenter les engagements d’un associé sans son consentement. Cet argument permet de soutenir que l’adoption d’une clause d’exclusion (ou encore l’ajout d’un motif d’exclusion et/ou la révision des modalités de fixation du prix de rachat des actions de l’associé exclu) s’analyse en une augmentation des engagements des associés et devrait donc recueillir l’unanimité. Selon cette même logique, d’autres décisions plus avantageuses pour les actionnaires, telle que la suppression d’un motif d’exclusion par exemple, ne nécessiterait qu’un vote à la majorité prévue par les statuts. Bien que la jurisprudence ne se soit pas encore prononcée sur cette question, il semble cependant qu’en vertu du principe specialia generalibus derogant, l’article 1836 du Code civil doive s’effacer devant l’article L.227-19 du Code de commerce applicable aux SAS.
Par ailleurs, il est envisageable que la loi ancienne survive pour les SAS constituées avant le 21 juillet 2019 (date d’entrée en vigueur de la Loi Soilihi) en vertu du principe de non-rétroactivité. Dans cette perspective, l’adoption de la clause à l’unanimité des associés serait toujours requise pour ces SAS.
Principe de validité de l’exclusion de l’associé
Aux termes de l’article L.227-16 du Code de commerce, un associé de SAS peut être tenu de céder ses actions. Dans ce cas, l’exclusion de l’associé et le rachat de ses droits sont licites, dès lors qu’une telle cession forcée est prévue par les statuts. Il en découle une validité de principe des clauses statutaires d’exclusion, et la loi laisse une grande liberté aux statuts pour en fixer les modalités. Toutefois, à peine de nullité de la décision d’exclusion prise sur son fondement, la clause statutaire d’exclusion doit comporter certains éléments.
En premier lieu, la clause d’exclusion doit préciser les motifs précis pouvant donner lieu à une exclusion. Ces motifs peuvent être variés, et peuvent être aussi bien objectifs que subjectifs : il peut s’agir de l’inexécution de l’obligation d’apport, la perte des qualités requises pour être associé, le changement de contrôle d’un associé personne morale, etc. Récemment, la Cour de cassation a constaté la validité de l’exclusion d’un associé de SAS pour avoir été absent à 4 assemblées générales annuelles successives, dans la mesure où les statuts mentionnaient « une absence répétée aux assemblées générales » parmi les motifs d’exclusion (Cass. com. 14 octobre 2020, n°18-19.181).
En outre, la clause doit précisément indiquer d’une part, l’organe habilité à statuer sur l’exclusion et d’autre part, les modalités de la procédure d’exclusion. A cet égard, la Cour de cassation impose le respect des droits du contradictoire (Cass. com. 20 mars 2012, n°11-10.855). Il est donc recommandé de prévoir également que l’intéressé sera convoqué en temps utile, et pourra présenter ses moyens de défense s’il le souhaite sur les faits qui lui sont reprochés.
Astuce : Afin d’éviter qu’un associé majoritaire ne puisse faire obstacle à la décision d’exclusion envisagée à son encontre, il est possible de choisir dans les statuts un autre organe que la collectivité des associés pour prendre la décision d’exclusion (tel que le Président par exemple).
Enfin, en vertu de l’article L.227-16 du Code de commerce, il est possible de suspendre les droits non pécuniaires de l’associé tant qu’il n’a pas procédé à la cession effective de ses actions. Ces droits non pécuniaires sont le droit à l’information et le droit de vote. Le droit de participer aux décisions collectives peut également être suspendu, par dérogation à l’article 1844 du Code civil qui dispose que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Le Comité juridique de l’ANSA considère qu’à défaut de disposition statutaire contraire, la suspension du droit de participer aux décisions collectives est immédiate (Décision du Comité juridique de l’ANSA n°12-055 du 5 septembre 2012).
Prix de rachat des actions
Lorsque l’associé est exclu, il doit céder les actions qu’il détient dans le capital de la société. Ce rachat entraîne la perte de la qualité d’associé (Cass. 3ème civ. 9 décembre 1998, n°97-10.478). Il n’y a pas d’obligation de stipuler dans les statuts un prix de rachat des actions de l’associé exclu. Il est cependant fortement conseillé de prévoir ce prix, dans la mesure où si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, l’article L.227-18 du Code de commerce prévoit qu’il sera fixé unilatéralement par un expert. Cet expert sera désigné d’un commun accord des parties et à défaut, par jugement du Tribunal judiciaire ou du Tribunal de commerce compétent, conformément à l’article 1843-4 du Code civil. L’expert évaluera ce prix en fonction de modalités de détermination contenues soit dans les statuts, soit dans « toute convention liant les parties ». Dans le silence des statuts sur la date à laquelle les titres doivent être évalués, ce prix sera fixé par l’expert à la date la plus proche du rachat – et non à la date de l’exclusion de l’associé (Cass. com. 16 septembre 2014, n°13-17.807).
Pour éviter cet aléa, il est préférable de prévoir un prix de rachat des actions, déterminé ou déterminable précisément, dans la clause statutaire d’exclusion. Les statuts devraient également prévoir un délai dans lequel l’associé exclu doit céder ses actions, pour éviter de laisser un associé prisonnier de ses titres.
Les actions de l’associé exclu peuvent être rachetées par le(s) autre(s) associé(s), par un tiers ou par la société elle-même. Lorsque les actions sont rachetées par la société, celle-ci est tenue de les céder dans un délai de six (6) mois, ou de les annuler en procédant à une réduction de son capital social non motivée par des pertes (article L.227-18 du Code de commerce).
Mise en œuvre de la procédure d’exclusion
L’associé visé par l’exclusion doit être convoqué à participer à la décision collective statuant sur son exclusion (si l’organe choisi pour la prononcer est la collectivité des associés) et doit pouvoir prendre part au vote. En effet, une clause statutaire d’exclusion prévoyant l’interdiction pour l’associé dont l’exclusion est envisagée de participer à la réunion ou à prendre part au vote est réputée non écrite dans sa totalité, sur le fondement de l’article 1844-10 du Code civil (Cass. com. 9 juillet 2013, n°11-27.235).
En conséquence, l’exclusion prononcée en application d’une telle clause est nulle, quand bien même en pratique, l’associé aurait été invité à participer au vote (Cass. com. 6 mai 2014, n°13-14.960). L’exclusion de l’associé ne peut donc pas être prononcée tant que les statuts n’auront pas été modifiés en vue d’écarter l’interdiction de participer à l’assembler ou de voter.
Focus : Dans les sociétés à capital variable, si les statuts peuvent prévoir que l’assemblée générale statue sur l’exclusion à la majorité requise pour la modification des statuts (article L.231-6 du Code de commerce), cette décision ne peut résulter que d’une décision de l’assemblée générale extraordinaire.
Par ailleurs, l’exclusion ne doit pas aboutir à porter le capital souscrit à un niveau inférieur au capital plancher. Dans un tel cas, la société devra diminuer le capital plancher préalablement à l’exclusion.
Contestation de l’exclusion
L’exclusion de l’associé pourrait tout d’abord être contestée sur le fondement de l’abus de majorité. Pour rappel, l’abus de majorité est caractérisé lorsque d’une part, la décision prise est contraire à l’intérêt social et d’autre part, lorsqu’elle est prise dans l’unique but de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires. Une décision prise par abus de majorité est sanctionnée par la nullité. Si un associé majoritaire tentait d’introduire une clause d’exclusion prévoyant un motif d’exclusion à destination d’un associé minoritaire qu’il souhaiterait voir exclu, ou encore un prix de rachat lésionnaire, une telle décision serait légitimement susceptible d’annulation par le juge. En outre, il faudrait que l’associé majoritaire soit en mesure de prouver l’intérêt social qui permettraient de justifier de telles introductions afin de pouvoir éviter la sanction de la nullité.
S’agissant du non-respect du principe du contradictoire, la violation de ce principe n’est sanctionnée que par des dommages et intérêts. L’associé ne peut donc pas contester la validité de la mesure d’exclusion sur ce fondement.
Enfin, il ressort des règles énoncées supra que différents autres moyens de contestations d’une exclusion peuvent être argués, en fonction du cas d’espèce, tels qu’une exclusion prononcée pour un motif non prévu par les statuts, des statuts qui interdiraient à l’associé visé par une procédure d’exclusion de participer à la décision collective ou de voter, une clause statutaire d’exclusion qui n’aurait pas été régulièrement adoptée (conditions de quorum et de majorité) et enfin, dans une SAS à capital variable, si la décision d’exclusion a été prise par tout autre organe social que l’assemblée générale extraordinaire.
Merci à Noémie Portut-Castel pour sa participation à la rédaction de cet article