Depuis le 1er janvier 2025, et dans le cadre d’une expérimentation d’une durée de quatre ans, douze tribunaux de commerce ont vu leur compétence étendue pour pouvoir connaître de l’ensemble des procédures amiables et collectives, y compris celles qui relevaient de la compétence des tribunaux judiciaires.

Issue de l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, cette expérimentation vise à centraliser l’ensemble des procédures afférant au droit des entreprises en difficulté au sein d’un même tribunal, rebaptisé à cette occasion en tribunal des activités économiques (« TAE »).

C’est toutefois un autre aspect de l’expérimentation qui retiendra ici notre attention, en ce que la loi instaure une obligation, pour les parties saisissant les TAE, de verser une contribution financière auprès du tribunal en début de procédure (la « Contribution pour la Justice Economique » ou « CJE »). 

Prévue par l’article 27 de la loi de programmation, dont l’application a été précisée par un décret du 30 décembre 2024[1], la CJE constitue une exception au principe de gratuité de la justice commerciale, et bouleversera considérablement la pratique du contentieux commercial.

Qui doit la payer ? Quand est-elle due ? Quelles exonérations ? Nous répondons à vos interrogations.

Devant quels tribunaux la CJE est-elle due ?

La CJE est due devant l’ensemble des TAE désignés par l’arrêté du 5 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du Tribunal des activités économiques. Cela concerne les anciens tribunaux de commerce de Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre, Versailles.

La CJE n’est pas applicable devant les tribunaux de commerce dont le statut n’est pas modifié par l’expérimentation. On ne pourra que recommander aux entreprises susceptibles d’être assujetties d’en tenir compte lors de la mise en place de clauses attributives de compétence au sein de leurs contrats.

Qui est assujetti à la CJE ?

La CJE est due par toute personne physique ou morale de droit privé employant au moins 250 salariés[2] qui saisit un TAE.

Dans la mesure où la CJE doit être versée par le demandeur, on pourrait à première vue s’attendre à ce que la charge de la CJE pèse sur lui.

En réalité, l’article 27 de la loi de programmation prévoit que les dispositions du Code de procédure civile relatives aux dépens sont applicables à la CJE.

En d’autres termes, la charge finale de la CJE devrait peser sur la partie succombante, sauf à ce que le juge décide d’en moduler la répartition entre les parties, en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

Pour quelles demandes la CJE est-elle due ?

La CJE est due pour toute demande initiale[3] formée à compter du 1er janvier 2025, dont le montant total des prétentions est supérieur à 50.000 euros

Sont notamment[4] exclues de l’assujettissement à la CJE, les demandes :

  • ayant pour objet l’ouverture, ou formée à l’occasion, d’une procédure amiable ou collective[5] ;
  • relatives à l’homologation d’un accord issu d’un mode amiable de résolution des différends ou d’une transaction.

Les demandes formulées au titre des frais de procédures non compris dans les dépens, en ce compris les demandes formulées en application de l’article 700 du Code de procédure civile ne sont pas prises en compte dans le montant des prétentions, ni dans l’assiette de calcul de la CJE. 

Quel est le montant de la CJE ?

Le montant de la CJE due par les personnes morales[6] est calculé en fonction du chiffre d’affaires et des bénéfices réalisés sur les trois derniers exercices, selon le barème suivant :

Chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années Bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années Montant de la contribution
Supérieur à 50.000.000 € et inférieur ou égal à 1.500.000.000 € Supérieur à 3.000.000 € 3% du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance – montant maximal de 50.000 €
Supérieur à 1.500.000.000 € Supérieur à 0 € 5% du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance – montant maximal de 100.000 €

La CJE devra ensuite être versée au guichet du greffe ou par voie électronique. A noter que si certains TAE n’ont pas encore procédé à son encaissement, ils pourront le faire de manière rétroactive pour toutes affaires initiées après le 1er janvier 2025.

La CJE pourra toutefois être remboursée dans l’hypothèse où le tribunal constaterait l’extinction de l’instance par suite d’un désistement ou la conclusion d’une transaction à l’issue d’un mode amiable de résolution des différends.  

Sur ce dernier point, les textes restent muets sur la question de savoir si les modes amiables de résolution des différends doivent s’entendre des procédures visées par le livre V du Code de procédure civile, ou si la conclusion d’une transaction à l’issue de négociations conduites en privé par les parties, ou par l’intermédiaire de leurs conseils, en dehors de ces procédures est également éligible au remboursement de la CJE.

Quelle est la sanction en cas de non-versement de la CJE ?

Le défaut de versement de la CJE par le demandeur est sanctionné par l’irrecevabilité des demandes, laquelle peut être prononcée d’office par la formation de jugement ou le juge chargé d’instruire l’affaire, après avoir sollicité les observations du demandeur.

Dans l’hypothèse où l’irrecevabilité des demandes venait à être prononcée, le demandeur disposera d’un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision d’irrecevabilité pour s’acquitter de la CJE, et solliciter la rétractation de la décision. La procédure reprendrait alors son cours.

Quels enjeux ?

Parmi les enjeux principaux posés par l’instauration de ce mécanisme on peut noter :

  • Les montants de contribution, fixés par décret, jugés trop élevés au regard des situations difficiles dans lesquelles les entreprises initiant des procédures devant les tribunaux peuvent se trouver. Il en est de même de la charge qui serait susceptible de porter sur la partie succombante, qui ne remplirait pas nécessairement les conditions d’application du Décret et pourrait avoir des conséquences irrémédiables.
  • Le risque de forum shopping afin d’éviter la charge de la CFE devant les tribunaux des activités économiques, puisque seuls 12 tribunaux sont concernés. L’insertion de clauses attributives de compétence dans les nouveaux contrats alimenteront ce phénomène, au risque d’engorger sérieusement les Tribunaux de commerce qui n’auraient pas morphé en TAE.
  • Le risque d’affectation de la contribution au budget général de l’Etat et non au financement du service public de la Justice.
  • Le risque d’une rupture d’égalité et d’accès au juge pour des entreprises ayant certes plus de 250 salariés, mais dont les demandes légitimes pourraient être compromises pour des raisons purement financières.

Il convient de préciser que le 21 janvier 2025, le conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris a voté en faveur du dépôt devant le Conseil d’Etat d’un recours contre le décret du 30 décembre 2024 susvisé. Or a ce jour, aucun recours avec effet suspensif n’a été déposés, de sorte que le décret est pleinement applicable.

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Nos équipes sont à votre disposition pour répondre à vos interrogations et évaluer votre potentiel assujettissement à la CJE.


[1] Décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique (le « Décret »).

[2] L’article 2 du Décret ajoute que la CJE n’est pas due lorsque la demande est formée par le ministère public, l’Etat, une collectivité territoriale ou un organisme public de coopération mentionné à l’article L.5111-1 du Code général des collectivités territoriales.

[3] L’article 1 du Décret prend le soin de préciser que les demandes suivantes ne constituent pas des demandes initiales :

  • Les demandes tendant à l’exercice d’une voie de recours du titre XVI du livre Ier du Code de procédure civile, soit, en pratique l’opposition, la tierce opposition et le recours en révision[3].
  • Les demandes tendant à la modification, la rétractation ou la contestation d’une ordonnance rendue sur requête.
  • Les demandes tendant à l’interprétation, la rectification ou le complément d’une précédente décision en application des articles 461 à 463 du Code du procédure civile.
  • L’acte de saisine du tribunal des activités économiques en tant que juridiction de renvoi après cassation.

[4] L’article 2 du Décret exclut également les demandes qui (i) ont donné lieu à une précédente instance éteinte à titre principal par l’effet de la péremption ou de la caducité de la citation ou (ii) portent sur la contestation, devant le président de la juridiction ou le juge délégué, de la vérification par le secrétariat de la juridiction des dépens dus au titre d’une instance.

[5] Du livre VI du Code de commerce ou des articles L.351-1 à L.351-7-1 du Code rural et de la pêche maritime.

[6] L’article 3 du Décret met également en place un barème pour les personnes physiques selon leur revenu fiscal de référence.