En effet, les demandeurs en réparation pâtissent fréquemment de l’absence de publication des décisions de condamnation de la Commission. La production d’une telle décision dans le cadre d’une action en dommages et intérêts est pourtant fondamentale afin de rapporter la preuve de l’existence des pratiques.

Or, la Commission européenne met parfois des années à publier une version non confidentielle de ces décisions, les demandes de confidentialisation des parties à l’instance pouvant être longues à traiter notamment lorsqu’il s’agit de protéger la confidentialité des informations communiquées dans le cadre de procédures de clémence.

Deux affaires récentes portées devant le juge britannique dans le cadre d’action en private enforcement illustrent fort bien ces difficultés et la nécessité de légiférer dans ce domaine.

Début octobre, les juridictions britanniques ont en effet dû statuer sur des demandes de communication de décision de la Commission européenne et, fait notable, les ont accueillies favorablement. Dans une première affaire relative au cartel du fret [1] les juges anglais ont ainsi eu à statuer sur la demande d’action en dommages et intérêts portée par un importateur de fleurs à l’encontre de British Airways.

Faute de publication par la Commission d’une version non confidentielle de la décision plus de trois ans après l’adoption de celle-ci, les juges britanniques ont en l’espèce finalement ordonné à British Airways de fournir une copie de la décision de la Commission au demandeur, tout en lui enjoignant de contacter les autres compagnies aériennes concernées par la décision, pour s’assurer qu’elles n’aient pas d’informations sensibles à retirer de ladite décision. En effet, certaines compagnies ayant été impliquées dans l’enquête de la Commission, mais n’ayant pas été condamnées, pourraient voir leur présomption d’innocence bafouée par la divulgation de certaines informations.

La même solution a été retenue dans une autre affaire récemment portée devant le juge anglais, concernant le cartel des raccords en cuivre [2]. En l’espèce, des distributeurs de matériaux en cuivre ont assigné des membres dudit cartel, s’estimant victimes des hausses de prix, conséquence directe de l’entente prohibée. Similairement, le juge a ordonné qu’une version non confidentielle de la décision de la Commission soit communiquée aux demandeurs, en prenant soin de retirer toute information en rapport avec la procédure de clémence, ainsi que les passages de la décision concernant des entreprises n’ayant pas été condamnées.

Ces affaires illustrent ainsi la double nécessité pour les demandeurs en réparation de pouvoir produire la décision tout en préservant la confidentialité des informations révélées dans le cadre de la procédure devant la Commission.

Afin de prouver leur dommage, les demandeurs ont besoin d’accéder aux éléments de preuve du dossier en question devant les autorités nationales de concurrence ou la Commission, une fois que celles-ci ont rendu leur décision. Cependant, ces divulgations peuvent devenir problématiques lorsque certaines informations sont réputées confidentielles. Tel est le cas des informations concernant les entreprises ayant bénéficié de la clémence de la Commission. En effet, en s’engageant à fournir des informations nouvelles à la Commission, sur une entente secrète dont elle fait partie, une entreprise peut bénéficier de la clémence de l’autorité de concurrence et se voir exempté totalement ou partiellement de sanction. Cette procédure suppose cependant que la confidentialité soit respectée. Or, si les demandeurs dans une action en dommage et intérêts venaient à obtenir de telles informations, l’avantage fourni par cette procédure perdrait un grande part de son attrait puisque le risque d’amende se verrait transformé en risque de dommages et intérêts.

La Cour de Justice de l’Union européenne, bien qu’elle ait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette problématique, est cependant restée relativement vague. Dans son arrêt Pfleiderer de 2011, elle indiquait sur ce point qu’il appartenait aux juridictions nationales de décider, sur la base de leur droit interne, s’il convenait de divulguer de tels documents.

Toutefois, afin de ménager les intérêts de tous et d’uniformiser les normes au sein de l’Union, la Commission a élaboré une directive relative aux actions en dommages et intérêts en droit interne. [3]

Ce projet, approuvé par le Parlement en juin 2014, vient d’être formellement adopté par le Conseil le 10 novembre dernier.

La directive prévoit notamment de garantir aux demandeurs et aux défendeurs un accès effectif minimal aux éléments de preuves qui peuvent s’avérer nécessaires à leur défense.

Ainsi, une fois la directive transposée, les juridictions nationales seront tenues de limiter la divulgation des preuves à ce qui est proportionné et à veiller au respect du secret professionnel [4]. À cet égard, le texte indique que les déclarations faites par les entreprises dans le cadre d’une procédure de clémence [5], ainsi que les propositions de transaction, sont cependant exclues de ce principe.

Contacts :
edouard.sarrazin@squiresanders.com
celine.espesson@squiresanders.com  


[1] Affaire C.39258 — Fret aérien. Pour mémoire, plusieurs compagnies aériennes ont été condamnées par la Commission en 2010 pour avoir coordonné leurs prix dans le secteur du transport de fret aérien au nombre desquelles figure British Airways.   [2] Affaire C.38.069 — Tubes sanitaires en cuivre. Pour mémoire, sept sociétés ont été condamnées par la Commission pour s’être réparties des volumes de production et des parts de marché, d’une part, et pour avoir fixé des objectifs et des hausses de prix, d’autre part.   [3] Directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne.   [4] Article 5 de la Directive.   [5] Article 6 de la Directive.