Le BREXIT, en tant qu’il constitue l’unique exemple actuel d’activation de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, a indéniablement suscité les plus vifs débats au sein de la sphère juridique. Le Royaume-Uni devant désormais être appréhendé comme un Etat tiers, les questions de la juridiction compétente pour connaitre d’un différend contractuel et de la loi applicable pour résoudre ce différend[1], revêt une importance majeure, eu égard aux enjeux économiques et juridiques à l’épreuve.

Comme exposé dans le précédent article, le droit de l’Union européenne cessera de s’appliquer au Royaume-Uni à l’issue de la période de transition prévue jusqu’au 31 décembre 2020 à moins qu’elle ne soit prorogée avant le 1e juillet 2020 pour une durée maximale d’un ou deux ans.

Au sein de l’Union Européenne, la question du tribunal compétent pour connaitre d’un différend issu d’un contrat est réglée par le Règlement Bruxelles I Bis[2] applicable aux actions intentées à partir du 10 janvier 2015[3].

Comme en matière de loi applicable au contrat, ce Règlement offre une large liberté aux parties qui peuvent insérer une clause attributive en faveur de la juridiction de leur choix. Toutefois, la prépondérante volonté de protéger les « parties faibles » a justifié l’instauration d’une limite à cette latitude : pour les assurés, les consommateurs et les salariés, la clause attributive de juridiction contenue dans leur contrat ne peut faire échec aux règles de compétences impératives prévues par le Règlement Bruxelles I Bis sauf à être stipulée postérieurement à la naissance du différend.

A défaut de choix, le Règlement Bruxelles I Bis consacre classiquement la compétence de principe de la juridiction du domicile du défendeur. Il prévoit également une option de compétence en matière contractuelle en faveur de la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande.

Selon l’article 67 de l’accord de retrait conclu par le Royaume Uni, le Règlement Bruxelles I Bis s’appliquera aux procédures judiciaires engagées avant la fin de la période de transition. Aussi, la sécurité juridique impose-t-elle de s’interroger sur les procédures judiciaires engagées à l’issue de cette période.

A cet égard, l’adhésion à la Convention de La Haye sur les accords d’élection de for du 30 juin 2005[4] (la Convention) est l’une des mesures unilatérales que le Royaume-Uni envisage de prendre[5]. Le 28 décembre 2018, il avait déclaré son adhésion à la Convention, mais s’est rétracté le 31 janvier 2020, en indiquant toutefois son intention de déposer un nouvel instrument d’adhésion avant la fin de la période de transition, qui prendra vraisemblablement effet à partir du 1er janvier 2021[6].

Si cette Convention a le mérite de combler partiellement le vide juridique appréhendé, il convient de souligner qu’elle consacre un régime moins exhaustif que celui du Règlement Bruxelles I bis. D’une part, les contrats de travail et les contrats de consommation sont exclus de son champ d’application. D’autre part, l’article 19 de la Convention prévoit un mécanisme d’opt-out permettant à un Etat contractant de déclarer que ses tribunaux peuvent « refuser de connaître des litiges auxquels un accord exclusif d’élection de for s’applique s’il n’existe aucun lien, autre que le lieu du tribunal élu, entre cet Etat et les parties ou le litige ». Enfin, l’obligation de dessaisissement d’une juridiction en faveur de celle désignée par la clause attributive n’est pas absolue. En effet, le tribunal d’un Etat contractant autre que celui du tribunal élu n’est pas contraint de sursoir à statuer ou de se dessaisir notamment lorsque « l’accord est nul en vertu du droit de l’Etat du tribunal élu » ou lorsque « l’une des parties n’avait pas la capacité de conclure l’accord en vertu du droit de l’Etat du tribunal saisi ».

L’application de cette Convention suppose naturellement qu’une clause attributive de juridiction ait été stipulée au contrat. En l’absence d’une telle clause, les juridictions anglaises et européennes seront tenues d’appliquer leurs propres règles de conflit de juridiction.

  • Le juge anglais sera tenu d’appliquer ses règles de conflit de juridiction de droit commun.
  • Le juge français (et les autres juridictions des Etats-membres) pourra toujours faire application du Règlement Bruxelles I bis et se déclarer compétent (i) lorsque le défendeur attrait devant lui a son domicile sur le territoire français ou (ii) lorsque le territoire français constitue le lieu d’exécution de l’obligation contractuelle qui sert de base à la demande[7].

Aussi, au nom de la prévisibilité juridique, il est vivement conseillé de prévoir une clause de choix de juridiction, ce choix devant désormais être fait à la lumière des stipulations de la Convention de La Haye sur les accords d’élection de for.

 

[1] Lire à ce sujet notre précédent article : https://larevue.squirepattonboggs.com/brexit-point-dattention-au-moment-de-signer-un-contrat-la-loi-applicable-aux-obligations-contractuelles.html

[2] Règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale

[3] Le Règlement Bruxelles Ibis est venu remplacer le Règlement Bruxelles 1 qui a lui-même remplacé la Convention de Bruxelles.

[4] Les États contractants sont les États membres de l’UE, le Mexique, Singapour et le Monténégro. Le Royaume-Uni n’est actuellement partie à la Convention sur les accords d’élection de for qu’en vertu de son appartenance à l’Union européenne.

[5] www.disputeresolutiongermany.com/2020/02/hague-choice-of-court-convention-united-kingdom-and-brexit-withdrawal-agreement-triggers-withdrawal/ ; Brexit: implications for civil justice and judicial co-operation by Practical Law Dispute Resolution

[6] www.hcch.net/en/instruments/conventions/status-table/notifications/?csid=1318&disp=resdn

[7] Pour le contrat de vente de marchandises, le lieu d’exécution de l’obligation contractuelle qui sert de base à la demande est l’Etat-membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées. Pour le contrat de fourniture de services, il s’agit de l’État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.