Le 5 janvier 2023, la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (« CSRD ») [1] est entrée en vigueur au sein de l’Union européenne (« UE »). Moins d’un an plus tard, la France devient le premier pays de l’UE à débuter la transposition[2].

Cette réglementation impose aux sociétés concernées la publication d’un rapport de durabilité basé sur des informations fiables, comparables et accessibles, lequel fera partie intégrante du rapport de gestion. Ce rapport aura vocation à : (i) présenter l’impact de la société sur les enjeux de durabilité (enjeux Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance « ESG ») et (ii) prendre en compte l’impact de ces enjeux sur l’évolution des affaires et la situation de la société, selon une logique dite de « double matérialité ». Les normes de durabilité applicables aux entreprises européennes afin de satisfaire à leurs obligations nouvelles CSRD ont été définies dans un acte délégué de la Commission, qui établit des normes dites ESRS (« European Sustainability Reporting Standard ») détaillant le contenu des différentes réglementations que les sociétés assujetties sont appelées à respecter. Le respect de ces normes fera l’objet d’un audit et d’une certification par un auditeur de durabilité.

Un des objectifs poursuivis par la CSRD est notamment de répondre aux besoins d’information des institutions financières qui intègrent davantage les informations extra-financières dans leur décision d’investissement et leur politique de gestion des risques.

Les obligations prévues par la CSRD entreront en vigueur progressivement à partir de 2024 (rapport de gestion de 2025) en fonction de l’effectif, du bilan, du chiffre d’affaires net ainsi que du secteur d’activité de la société.

1. Qui est concerné et quand ?

Cette réglementation devrait concerner environ 50.000[3] sociétés au sein de l’UE, incluant des sociétés cotées et non cotées, des établissements de crédit et des sociétés d’assurance. Elle vise les sociétés déjà soumises à la Non Financial Reporting Directive (« NFRD »)[4], les sociétés non cotées ainsi que les sociétés de pays tiers[5].

Qui ? Quand ?
  Exercice fiscal commençant le 1er janvier de l’année n ou après cette date Rapport de gestion
Les sociétés ou groupes de sociétés cotées sur un marché réglementé d’un État membre de l’UE, remplissant deux des trois critères suivants :  
– Un effectif moyen de 500 salariés[6] ;
– Un total du bilan supérieur à 25 millions d’euros[7] ;
– Un chiffre d’affaires net supérieur à 50 millions d’euros[8] .  
2024 2025
Les sociétés remplissant deux des trois critères suivants :
– Un effectif moyen de 250 salariés ;
– Un total du bilan supérieur à 25 millions d’euros[9]  ;
– Un chiffre d’affaires net supérieur à 50 millions d’euros[10].  
2025 2026
Les petites sociétés cotées sur un marché réglementé d’un État membre de l’UE ne dépassant pas au moins deux des trois critères suivants :  
– Un effectif moyen de 50 salariés ;
– Un total du bilan supérieur à 5 millions d’euros[11];
– Un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros[12].
2026     2027  
Possibilité de reporter à 2029 en indiquant les motivations dans le rapport de gestion  
Les sociétés de pays hors zone EU/EEE remplissant les critères suivants[13] :  
– Un chiffre d’affaires annuel européen supérieur à 150 millions d’euros sur deux années consécutives ;
– D’une succursale en France ou d’une filiale non d’ores et déjà soumise aux seuils.  
2028 2029

Les groupes de sociétés situés au sein de l’UE et soumis à la CSRD pourront bénéficier de certaines exemptions pour la publication des rapports individuels de leurs filiales.

2. Décryptage de la transposition

Fixation des règles afférentes à l’audit et à la certification du rapport de durabilité

L’ordonnance de transposition modifie les règles applicables aux professionnels des audits CSRD – lesquels seront appelés à contrôler les rapports de durabilité – en matière de formation, d’agrément, de système d’assurance qualité, de déontologie, d’indépendance et d’objectivité, d’organisation du travail et de signalement d’irrégularités. L’objectif est de mettre en œuvre des standards communs au sein de l’UE.

Si les commissaires aux comptes sont en premier lieu amenés à effectuer ces audits et certifications, la France a fait le choix de lever l’option prévue par la CSRD pour permettre aux organismes tiers indépendants (OTI) accrédités par le Comité Français d’Accréditation[14] de réaliser ces audits de durabilité.  L’objectif est de conserver un marché de l’audit ouvert, favoriser la diversification de l’offre, et contribuer à améliorer la qualité du service.

La création de la Haute autorité de l’audit (« H2A ») en tant qu’autorité publique indépendante qui remplacera le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C). Cette autorité sera composée d’un collège et d’une commission des sanctions des professionnels qu’elle régule[15]. Elle sera enrichie de nouvelles compétences et de la présence de spécialistes des enjeux de durabilité. Sa commission des sanctions pourra par ailleurs procéder à des enquêtes et prononcer des sanctions renforcées, pouvant aller jusqu’à un million d’euros, à l’encontre des organismes tiers indépendants et des auditeurs des informations en matière de durabilité. Ces sanctions, sévères, participent d’un arsenal dédié à l’effectivité des obligations CSRD.

Harmonisation et mise en cohérence des obligations RSE

L’Ordonnance de Transposition harmonise les obligations applicables en matière de RSE. A titre d’exemple, le Code de l’environnement est modifié afin de mettre en cohérence les obligations relatives à un bilan et à un plan pour mesurer et réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national, ainsi que sur les mesures contre le gaspillage alimentaire, conformément aux exigences CSRD/ESRS[16].

Détermination des sanctions

Injonction sous astreinte : toute personne peut demander en référé d’enjoindre sous astreinte soit la production, la communication ou la transmission des documents ou informations en matière de durabilité, soit la désignation d’un mandataire chargé de procéder à cette communication.

Bien que cette procédure ne soit pas nouvelle[17], il est attendu qu’un contentieux similaire à celui se développant en matière de devoir de vigilance émerge de cette nouvelle réglementation[18].

Exclusion des marchés publics en cas de non-respect des obligations de publication des informations en matière de durabilité. Cette exclusion, applicable à compter du 1er janvier 2026, s’applique aux marchés publics et aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication à compter de cette date.

Sanctions pénales

La non-désignation d’un commissaire aux comptes, la non-convocation à toute assemblée générale ainsi que la non-certification des informations en matière de durabilité exposent à une peine d’emprisonnement maximale de deux ans, une amende de 30 000 euros pour le dirigeant et de 150 000 euros pour la personne morale.

L’obstacle aux vérifications et aux contrôles des auditeurs des informations en matière de durabilité ou le refus de communication de documents utiles à leur mission expose à une peine d’emprisonnement de cinq ans, une amende de 75 000 euros pour le dirigeant et de 375 000 euros pour la personne morale.

3. Comment débuter la préparation du rapport de durabilité ?

Compte tenu du degré de granularité des obligations imposées aux sociétés, la rédaction du rapport de durabilité devra être précédée d’une analyse des écarts de conformité, en prenant appui sur l’identification des normes ESRS applicables à la société ou au groupe de sociétés concerné.

Il conviendra d’abord de travailler sur les axes de priorité dits de « double matérialité » :  l’objectif est d’identifier « les incidences, les risques et les opportunités importants au sujet desquels des informations doivent être publiées. »[19]  Dès lors qu’une question de durabilité est matérielle, c’est à dire qu’elle a une incidence sur les activités de l’entreprise et sa chaine de valeur (matérialité d’impact) et une incidence financière importante sur l’entreprise (matérialité financière), alors elle sera incluse dans le rapport de durabilité.

Le contenu du rapport de durabilité s’articulera autour de quatre grands axes :

  • Les informations d’ordre général, présentant notamment la procédure mise en œuvre afin de réaliser le rapport de durabilité et les incidences sur la stratégie de la société ou du groupe.

Les critères ESG :

  • Facteurs environnementaux, dont notamment la stratégie mise en œuvre pour l’atténuation du changement climatique ;
  • Facteurs liés aux droits sociaux et droits de l’homme, dont notamment les conditions de travail ;
  • Facteurs de gouvernance, dont la présentation des systèmes de contrôle interne et gestion des risques de durabilité.

Il convient de souligner que les normes ESRS précisent (i) la méthodologie à adopter dans le cadre de l’analyse de double matérialité, (ii) les informations obligatoires qui doivent être communiquées, (iii) la méthodologie de collectes de données[20][21], (iv) l’élaboration du rapport de durabilité (v) et le suivi et mise à jour du rapport.


[1] Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD – Corporate sustainability reporting directive).

[2] Ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales (« l’Ordonnance de Transposition»). Voir aussi, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales.

[3] Étude d’impact du 22 novembre 2022 sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

[4] Directive (UE) 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

[5] Article L. 232-6-4 I du Code de commerce : « Toute société ne disposant pas d’un siège social dans un État membre de l’Union européenne ou un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen et qui dispose d’une succursale en France ».

[6] Le nombre minimum de salariés est exigé par l’article 5 de la Directive CSRD.

[7] La Directive déléguée (UE) 2023/2775 du 17 octobre 2023 modifie les seuils des critères de taille pour les micro, petites, moyennes et grandes entreprises ou pour les groupes. Les États membres ont jusqu’au 24 décembre 2024 pour la transposer au sein de leur droit interne. Les nouveaux seuils s’appliqueront aux exercices commençant le 1er janvier 2024 ou après cette date. Par dérogation, les États membres peuvent autoriser les sociétés à appliquer ces dispositions aux exercices commençant le 1er janvier 2023 ou après cette date. En outre, les décrets d’application à paraitre en France sont susceptibles de modifier ces seuils.

[8] Ibid. 

[9] Ibid.

[10] Ibid. 

[11] Ibid. 

[12] Ibid. 

[13] Les normes d’information en matière de durabilité applicables à ces entreprises seront précisées par un acte délégué de la Commission européenne d’ici le 30 juin 2024

[14] COFRAC est une association loi 1901 de droit privé, habilitée à délivrer des certificats d’accréditation aux organismes d’évaluation de la conformité, que cette accréditation soit obligatoire ou non.

[15] Notamment les professionnels chargés de la certification des rapports en matière de durabilité.

[16] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales.

[17] V. notamment Article L225-102 concernant les sociétés anonymes : « Lorsque le rapport annuel ne comprend pas les mentions prévues au premier alinéa, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte au conseil d’administration ou au directoire, selon le cas, de communiquer ces informations ».

[18] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

[19] Acte délégué de la Commission européenne.

[20] Les ESRS sont très détaillées. L’European Financial Reporting Advisory Group qui a participé à l’élaboration des ESRS, a publié un tableau au sein duquel près de 1.200 points de données susceptibles d’être intégrés sont recensés.

[21] Bien qu’il s’agisse du premier ensemble de normes ESRS, d’autres normes devraient également être adoptées pour des secteurs industriels spécifiques, les petites et moyennes entreprises (PME) et les sociétés mères de pays tiers à l’UE.