Cass. 2ème civ. 24 mars 2016, n° 15-16.765

Dans le cadre de son pourvoi, l’assureur avait en effet tenté de faire valoir le fait que « le sinistre était, [à la date de la conclusion du contrat], inévitable et ne présentait pas un caractère aléatoire » ; argument qui n’avait toutefois pas été soulevé devant la Cour d’appel qui n’était donc saisie que de la question de la faute intentionnelle.

C’est pour cette raison que la Cour de cassation écarte le moyen tiré d’une faute dolosive de l’assuré au motif que « le dispositif des conclusions de l’assureur n’énonçait pas cette prétention » ; pour en conclure que la Cour d’appel « n’était pas tenue de répondre au moyen tiré de ce que le prétendu dol de l’assuré lors de la souscription devait entraîner la nullité du contrat ».

S’il s’agit certes d’un arrêt de rejet, il n’en apporte pas moins une nouvelle pierre à l’édifice de la « faute intentionnelle vs faute dolosive » en permettant de différencier plus nettement encore ces deux concepts pourtant distingués à l’alinéa 2 de l’article L. 113-1 du Code des assurances :

 « (…) l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».

La réintroduction de cette distinction par la Cour de cassation dans son arrêt du 24 mars 2016 apparaît particulièrement bienvenue compte tenu de l’exigence de la Cour de cassation s’agissant de la caractérisation d’une faute intentionnelle qui retient traditionnellement qu’une faute intentionnelle ne peut être caractérisée que lorsque l’assuré (i) a commis une faute volontaire et (ii) a également eu « la volonté de causer le dommage et pas seulement d’en créer le risque » (S. Bertolaso, J-Cl. Civil, Fasc. 5-2, Assurances Terrestres, § 63).

L’évolution de la notion de faute intentionnelle

Pour comprendre l’importance de la réapparition de la faute dolosive dans cet arrêt de la Cour de cassation, l’évolution de la notion de faute intentionnelle mérite d’être rappelée.

  • En 2005, certaines décisions ont conduit une partie de la doctrine à proposer la notion de « faute intentionnelle objective » caractérisée par « le caractère inéluctable de la survenance du dommage » (Cass., 2ème civ., 22 septembre 2005, pourvoi n° 04-17232 Cass. 3ème civ., 7 octobre 2008, pourvoi n° 07-17969). Cette notion était en réalité très proche de la notion de faute dolosive avec laquelle certains considéraient même qu’elle se confondait                                                                       
  • Cependant, en 2010, la Cour de cassation a semblé mettre un terme à la notion de « faute intentionnelle objective » et souhaiter revenir à une conception classique de la faute intentionnelle. Un arrêt de cassation du 1er juillet 2010 a ainsi censuré une cour d’appel aux motifs que « il ne résulte pas que le souscripteur de l’assurance ait eu la volonté de commettre le dommage tel qu’il est survenu » (Cass. 2ème civ., 1er juillet 2010, pourvoi n° 09-10.590). À la suite de cette décision, la Cour d’appel de renvoi a statué dans un sens identique et, malgré un second pourvoi, la Cour de cassation a confirmé sa conception traditionnelle de la faute intentionnelle (Cass. 2ème civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-28.247).

Cette conception n’a été que ponctuellement mise de côté et pour des raisons plus d’opportunité, dans le contentieux de l’amiante par exemple (Cass., 2ème civ., 14 juin 2012, n° 11-16958), l’aléa ne portant pas, dans le cadre de ce contentieux, sur la réclamation mais sur la condamnation de l’employeur, ce que la doctrine a pu qualifier d’aléa « judiciaire ». D’autres décisions dérogatoires ont été également rendues en matière de responsabilité civile professionnelle, la Cour de cassation inférant de « la volonté de reporter les conséquences de ses actes sur son assureur », « l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu » (Cass. 2ème civ., 14 juin 2012, pourvoi n° 11-17.367).

La solution qui prévalait majoritairement demeurait toutefois qu’une faute intentionnelle n’est caractérisée que dès lors que l’intention de l’assuré de « causer le dommage tel qu’il est survenu » était démontrée.

  • C’est en 2013 que la différence entre faute intentionnelle et faute dolosive a été réintroduite grâce notamment à un assureur qui avait tenté de faire émerger la notion de « faute dolosive ». Dans un arrêt du 28 février 2013, la Cour de cassation a toutefois refusé d’y faire droit, non sans une certaine assimilation ou confusion des deux notions puisque la Cour de cassation concluait que n’était caractérisé « ni de faute intentionnelle ni de faute dolosive [compte tenu de ce que l’assuré] « n’avait pas eu la volonté de créer les dommages tels qu’ils étaient survenus ».

Cette tentative, vaine pour ce qui concernait l’affaire en cause, a toutefois pu sensibiliser la Cour de cassation à la notion de « faute dolosive ». Quelques mois plus tard en effet, la faute dolosive a fait une réapparition quelque peu inattendue (compte tenu des arrêts de la Cour de cassation du début de l’année 2013) : dans le cadre du rejet d’un pourvoi formé contre un arrêt d’appel qui avait retenu que l’assuré « avait volontairement tenté de franchir le cours d’une rivière avec un véhicule non adapté à cet usage et qu’il avait ainsi commis une faute dolosive excluant la garantie de l’assureur » (Cass. 2ème civ., 12 septembre 2013, pourvoi n° 12-24.65).

En 2013, la voie de la faute dolosive demeurait toutefois incertaine comme le soulignait Jérôme Kullmann : « les assureurs sont aujourd’hui à la croisée de plusieurs voies : l’impasse de la faute intentionnelle conçue comme le cumul de la faute volontaire et de l’intention de causer le dommage tel qu’il est effectivement survenu ; la ruelle de la faute dolosive suppressive de l’aléa » (JCP G n° 14, 1er avril 2013, doctr. 400).

Un nouveau chapitre semble s’écrire avec l’arrêt du 24 mars 2016. Ainsi, et même si la Cour de cassation a rejeté le pourvoi ayant soulevé l’existence d’une faute dolosive, elle semble inviter les assureurs à invoquer de manière distincte la faute dolosive et/ou la faute intentionnelle ; les deux notions ne se confondraient donc plus ?

Face à l’exigence de la caractérisation d’une faute intentionnelle, définie comme une « volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu », la distinction opérée avec la faute dolosive est heureuse.

Ainsi, en se fondant sur cette décision de la Cour de cassation, les assureurs devraient pouvoir faire valablement valoir un comportement volontaire rendant inéluctable la survenance du dommage, lequel comportement est donc suppressif de l’aléa inhérent à tout contrat d’assurance.

La « ruelle » évoquée par la doctrine semble désormais avoir été ouverte ; ce signal encourageant devra certainement être confirmé par des arrêts postérieurs auxquels il conviendra naturellement d’être attentifs.
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