Cass. 1e civ. 10 octobre 2012 n° 11-20.299
Le fait qu’un arbitre ait été consultant d’un cabinet d’avocats, dont l’un des collaborateurs est le conseil d’une des parties à l’arbitrage, ne constitue pas à lui seul un doute sérieux sur son impartialité ou son indépendance. C’est ce que semble dire la Cour de cassation en cassant, mercredi 10 octobre 2012, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 mars 2011 (RG 09/28537), qui avait annulé une sentence arbitrale pour non-respect de l’obligation de révélation. Cet arrêt avait fait l’objet d’un commentaire dans La Revue.
En l’espèce, l’arbitre désigné, qui avait été consultant interne d’un cabinet d’avocats pendant onze ans, avait ensuite continué à donner des consultations juridiques occasionnelles à ce même cabinet en tant que professeur. Or un collaborateur dudit cabinet était l’avocat d’une des parties à l’arbitrage. La Cour d’appel de Paris avait jugé que l’arbitre avait l’obligation de révéler ce lien avec le cabinet d’avocats, même si le collaborateur intervenait à l’arbitrage à titre personnel et non en qualité d’avocat du cabinet et qu’il n’avait eu auparavant aucun lien avec l’arbitre désigné.
Pour la Cour d’appel, la faiblesse de ce lien importait peu. En revanche, était déterminante la révélation par l’arbitre d’un fait susceptible de provoquer « un doute raisonnable » dans l’esprit de l’autre partie à l’arbitrage. Pour la Cour, aucune information ne doit être retenue par l’arbitre; les parties doivent pouvoir faire un choix éclairé afin de pouvoir exercer, le cas échéant, leur droit à récusation.
Cette solution s’inscrivait dans le courant jurisprudentiel et doctrinal rigoureux [1] affirmant que « l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre […] sont de l’essence même de la fonction arbitrale » [2] et « la révélation la pierre angulaire du régime juridique de l’indépendance de l’arbitre. » (Th.Clay).
L’arrêt d’appel venait confirmer une décision rendue par cette même Cour d’appel de Paris le 12 février 2009 (RG 07/22164), qui avait annulé une sentence arbitrale dans une procédure à l’occasion de laquelle l’arbitre n’avait pas révélé les liens qui l’unissait à l’un des cabinets d’avocats dont il était « of counsel ».
Dans deux autres décisions, la Cour de cassation avait jugé que l’arbitre doit révéler qu’il a été nommé arbitre par des sociétés appartenant au même groupe que l’une des parties [3] ou qu’il a défendu les intérêts d’une société non partie à l’arbitrage, mais citée parmi les relations commerciales litigieuses d’une des partie [4].
L’article 1456, al.2 du Code de procédure civile (décret du 13 février 2011) dispose « Il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité ». Cet article s’applique également à l’arbitrage international (voir article 1506 du CPC).
L’ancien article 1452 était rédigé comme suit : « L’arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties. En ce cas, il ne peut accepter sa mission qu’avec l’accord de ces parties. »
Dans l’ancien régime, l’arbitre devait supposer ce que les parties pouvaient concevoir comme une cause de récusation. Ce travail d’imagination aboutissait à un résultat plus ou moins pertinent selon l’arbitre. La somme des deux subjectivités (celle des parties et de l’arbitre) pouvait conduire à un résultat aléatoire. Ce texte n’incitait pas à la révélation. On peut se demander si l’arrêt du 10 octobre aurait été rendu en l’état en application du nouvel article 1456, al.2. L’arbitre doit-il recourir à l’incidence raisonnablement prévisible sur son jugement, ce que le professeur Clay appelle le tempérament subjectif d’une obligation objective de révélation ? Admettons que l’obligation de révélation de l’arbitre n’est pas une chose aisée, d’autant moins que la jurisprudence est encore fluctuante.
Dans ce contexte ancien, la Cour de cassation a décidé le 10 octobre dernier qu’en se déterminant par ces seuls motifs sans expliquer en quoi ces éléments de fait étaient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité de l’arbitre et à son indépendance, la Cour d’appel de Paris « n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur la décision, en violation du texte susvisé. »
La Cour de cassation a donc cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 mars 2011 et renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Lyon.
Cette décision de la Haute Cour semble marquer un arrêt à une jurisprudence récente libérale quant au droit de récusation pour défaut ou insuffisance de révélation.
Ce renvoi devant la Cour d’appel de Lyon oblige toutefois les parties à un minimum d’un an de procédure supplémentaire. Deux ans et demi après le prononcé de la sentence (4 juin 2009), les parties sont toujours dans l’incertitude quant à la valeur juridique de la sentence rendue en 2009. Le choix d’une clause compromissoire est souvent motivé par la recherche de l’efficacité et de la célérité de l’arbitrage dans la résolution des conflits et par le souci d’éviter des procédures et des renvois judiciaires interminables. A quoi s’ajoute la prévisibilité de la sentence.
L’arrêt commenté rappelle que la Cour de cassation contrôle et apprécie les éléments permettant de douter de l’indépendance et/ou de l’impartialité de l’arbitre, renvoyant à la Cour d’appel de Lyon le soin de rechercher en quoi le lien indirect entre l’arbitre et le collaborateur est de nature à créer un doute légitime sur l’indépendance, voire l’impartialité de l’arbitre. Cet arrêt de cassation laisse entendre que l’impartialité d’un arbitre peut être acquise même si ce dernier n’a pas révélé ses liens avec le cabinet d’avocats d’une partie.
Cette décision peut, dans une certaine mesure, rassurer les arbitres dont le questionnement répété de leur déontologie créait un certain malaise. Cet arrêt, quelle que soit la position de la Cour d’appel de renvoi, invite les usagers de l’arbitrage à recourir avec prudence à leur droit de récusation et de n’en faire usage qu’en cas de doute sérieux reposant sur des faits non équivoques. La Cour de cassation a-t-elle voulu ménager la chèvre et le choux ?
Nous attendons avec intérêt de connaître la teneur et la portée de l’arrêt que rendra la Cour d’appel de Lyon l’année prochaine.
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[1] Cass. Civ. 2e. 22 novembre 2001 ; Cass. Civ. 2e. 6 décembre 2001
[2] Civ. 1re, 16 mars 1999, D. 1999. Jur. 497, note P. Courbe
[3] Cass. 1e civ. 20 octobre 2010, n° 09-68.131 et 09-68.997 : lire notre commentaire
[4] Cass. 1e civ. 1er février 2012, n° 11-11.084 : BRDA 4/12 inf. 22