Au lendemain de l’anniversaire de la mort de Jeanne d’Arc qui avait crânement annoncé au Dauphin Charles, du haut de ses 17 ans, qu’elle se proposait de « bouter les anglais hors de France », nous souhaitons ici éclairer la lanterne de ceux qui, chargés de rédiger un contrat en anglais mais régi par le droit français, sont tentés de recycler un contrat régi à l’origine par le droit d’un pays anglo-saxon. Le manque de temps ou la facilité peuvent en effet aboutir à de véritables « barbarismes juridiques », c’est-à-dire en pratique à des clauses inutiles voire même dangereuses.

L’expérience montre en effet que certaines clauses habituelles et parfaitement utiles dans leur droit d’origine, souffrent d’être transplantées dans un paysage de droit français. A vouloir, comme le dit la chanson, planter « un oranger sur le sol irlandais », on risque quelques déconvenues, même si le législateur français a pu adopter avec succès certains concepts anglo-saxons. Ainsi, le bon père de famille consacré par le code civil de 1804, a-t-il été remplacé depuis la loi du 4 août 2014 par la personne « raisonnable », si chère à nos amis anglo-saxons.

Les clauses que nous allons analyser ci-après sont le plus souvent des clauses-types.  Les anglo-saxons utilisent pour les désigner le mot « boilerplate », par référence aux plaques de métal utilisées pour fabriquer les bouilloires puis à celles gravées pour imprimer dans les journaux certains textes comme des publicités rédigées par les annonceurs et destinées à paraître dans plusieurs éditions.

Mesures de réparation

On citera la clause suivante, repérée dans un accord de confidentialité soumis au droit français:

« Money damages may not be a sufficient remedy for the breach of this agreement, and the Disclosing Party is entitled to seek specific performance and injunctive relief or other available equitable relief as a remedy for any such breach. »

Cette clause se comprend dans les pays de culture anglo-saxonne avec notamment en Angleterre, la distinction entre « common law » et « equity » qui correspondait historiquement à des juridictions différentes, les secondes offrant sur les premières l’avantage d’offrir une réparation sous forme d’injonction.

En droit français, les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir l’exécution forcée de l’obligation souscrite par son cocontractant sont fixées par la loi. Une clause prévoyant que la partie victime d’une inexécution pourra demander à un tribunal une injonction est donc totalement inutile.

Exclusion de responsabilité

Parmi les clauses les plus importantes des contrats figurent en bonne place celles relatives à la responsabilité. Souvent, les contrats-types établis par les fournisseurs anglo-saxons sont très radicaux dans l’exclusion de la responsabilité du fournisseur. Par exemple, « the Supplier shall not be liable to the Customer, whether in contract or tort, for any loss of profits, loss of sales or business, loss of agreements or contracts, loss of anticipated savings, loss of use or corruption of software, data or information, loss of or damage to goodwill or indirect or consequential loss, arising under or in connection with the Contract.  »

Une telle clause soulève plusieurs difficultés en droit français. En premier lieu, elle vise à exclure en plus de la responsabilité contractuelle  la responsabilité delictuelle (« whether in contract or tort ») alors qu’en droit français, le principe est celui du non-cumul de ces deux types de responsabilité. Ensuite, le concept de « consequential loss » est un concept inconnu du droit français. Chez nous, la victime ne peut recevoir de compensation que pour son préjudice prévisible qui est la suite immédiate et « directe » de l’inexécution, sauf clause contraire. Le vendeur peut parfaitement limiter sa responsabilité (par exemple dans le cas où un retard de livraison entraîne un arrêt de la chaîne de production de son client) mais il est préférable de le faire en utilisant la formule adéquate en droit français, c’est-à-dire en précisant les dommages qui seront, d’accord entre les parties, considérés comme exclus.

Force majeure

Le coronavirus a suscité un fort regain d’intérêt pour les clauses de force majeure. Les contrats anglo-saxons détaillent de manière très extensive les événements constituant des cas de force majeure avec des listes qui ont des airs d’inventaires à la Prévert. Par exemple, «  Force majeure events shall include, but not be restricted to, fire, flood, earthquake, explosion, accident, war, sabotage, terrorism, epidemic, quarantine restrictions, labor disputes, failures or delay in transportation, fuel or energy shortages, power interruptions, acts of God, acts, rules, or regulations of any government agency, or the order of any court or regulatory body.  »

Une fois cette liste de calamités posée, la clause précise souvent les effets de la force majeure : « Any force majeure event shall delay performance, unless such force majeure continues for a period in excess of sixty (60) days.  In such event, the Party seeking performance may cancel its obligations hereunder.  »

Une telle clause est-elle utile dans un contrat régi par le droit français ? En premier lieu, un fournisseur peut avoir avantage à définir l’événement de force majeure de façon large, en allant au-delà de la définition légale. Selon l’article 1218 du code civil, la force majeure est « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées… ». Ainsi, on pourrait argumenter que les conflits sociaux visés dans la clause ci-dessus ne sont pas toujours un événement de force majeure car dans certains secteurs, ils sont relativement prévisibles.

En deuxième lieu, il faut se demander quel est l’effet juridique de la force majeure. Selon l’article 1218, le contrat peut être suspendu ou bien résilié selon que l’empêchement est provisoire ou définitif. En pratique toutefois, il est inconfortable de rester trop longtemps « suspendu ». Les clauses anglo-saxonnes qui précisent le délai au-delà duquel la partie qui n’a pas reçu la contrepartie promise peut résilier le contrat, sont incontestablement utiles. Mais là encore, un minimum de réflexion s’impose car il est clair que la clause élargissant les cas de force majeure va favoriser le fournisseur au détriment de l’acheteur.

Clause de pénalité

Un autre concept typique des contrats anglo-saxons est celui de « liquidated damages », ces derniers ayant pour vocation de réparer de manière forfaitaire le préjudice résultant de l’inexécution.

En droit français, le caractère libératoire de la clause pénale conduit  également  à rendre a priori  irrecevable toute demande sur le même chef.

Depuis la réforme effectuée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le régime de la clause pénale est encadré par l’article 1231-5 du code civil qui prévoit que:

« Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre », hormis intervention du juge qui peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Toutefois, seuls les pouvoirs du juge étant expressément d’ordre public,  un doute subsiste sur la possibilité pour les parties  de déroger à ce caractère libératoire et forfaitaire.  Il sera donc prudent  d’éviter  une rédaction comme celle-ci, vue dans un contrat :

« without prejudice to any other available rights or remedies at law, equity or under Contract, including the right to claim actual damages, caused by delays or interruption of production starting from the first day of delay, Seller shall pay to Buyer as liquidated damages a lump sum equal to 1% of the value of the interrupted, delayed, partly or wholly non-performed or unsatisfactorily performed delivery, per day of delay, up to 10%.  »

En effet, cette clause qui semble a priori tout à l’avantage de l’acheteur (il pourrait apparemment, si la pénalité prévue s’avèrait insuffisante, obtenir une indemnisation suplémentaire puisque la clause précise « without prejudice to any other available rights or remedies…, including the right to claim actual damages »)  risque  de se retourner contre lui en l’empêchant d’obtenir une indemnisation supérieure à la pénalité prévue.

Clause de durée

L’accord de confidentialité cité ci-dessus comprenait également une clause de durée prévoyant que « The termination of discussions concerning the Transaction … will not release us from our obligations under this Agreement ».  On avait donc un engagement perpétuel qui ne pose pas de difficulté dans les pays de common law mais qui, selon le droit français, peut être résilié à tout moment moyennant un préavis raisonnable. On introduit ainsi involontairement une incertitude sur un aspect fondamental de l’accord et cette clause par laquelle la partie qui a divulgué ses informations se croit protégée pour toujours, se retourne, en fait, contre elle.

En conclusion, il peut s’avérer dangereux de reprendre telles quelles des clauses issues de contrats anglo-saxons.

En outre, dans l’hypothèse d’un contrat conclu entre une entreprise française et une entreprise anglaise par exemple, en cas de litige, les clauses relevées ci-dessus seront pour le juge français autant d’indices que les anglais ont cherché à imposer leur modèle de contrat. Et si ce juge est contrarié par la difficulté d’avoir à appliquer des concepts étrangers, il pourrait être tenté non pas de bouter les anglais, comme le fit Jeanne d’Arc en son temps, mais de les…débouter !