L’espèce jugée par le TGI de Paris avait trait à la réalisation et à la future diffusion d’un docu-fiction relatif à l’affaire dite du "petit Grégory". Un des témoins dans cette affaire, ayant eu vent de ce projet, avait saisi le juge des référés sur le fondement de l’article 9 du Code civil pour demander une mesure d’interdiction de divulgation de cette œuvre au public, en raison de l’atteinte portée à l’intimité de sa vie privée et à son image. Le juge des référés a rejeté une telle demande dès lors qu’il n’y avait pas de risque d’atteinte à l’image puisque seuls des comédiens apparaissaient dans le docu-fiction. De plus, se fondant sur le principe selon lequel le droit à la vie privée cède devant le droit à l’information du public en matière d’affaire criminelle, les juges ont relevé que la remémoration de faits sous la forme de docu-fictions ne modifie pas l’équilibre fixé par les tribunaux entre liberté d’expression d’une part et besoin légitime des personnes concernées à un droit à l’oubli. En l’absence d’intention de nuire à la demanderesse de la part des auteurs, producteurs et diffuseurs, le risque d’atteinte à la vie privée de la demanderesse ne justifiait pas une mesure aussi grave et attentatoire à la liberté d’expression que celle de l’interdiction de diffusion.
Dans la seconde espèce, la Cour de cassation a au contraire privilégié le respect dû à la vie privée au détriment de la liberté d’expression. Il était question de la publication d’un roman policier mettant en scène des faits similaires à ceux s’étant produit dans un village et relatés dans la presse, ainsi que des personnages ressemblant aux protagonistes de l’affaire, en mêlant des épisodes réels de leur vie et une histoire inventée. Une habitante du village dans lequel ces évènements se sont produits, prétendant que le livre la présentait comme une prostituée "sans confusion possible pour un lecteur informé de l’affaire" a assigné l’auteur en référé pour allégations mensongères et attentatoires à la vie privée, en demandant la suppression des passages comportant les imputations incriminées. La Cour d’Appel a fait droit à sa demande, solution confirmée par la Cour de cassation, qui a retenu "qu’une œuvre de fiction, appuyée en l’occurrence sur des faits réels, si elle utilise des éléments de l’existence d’autrui, ne peut leur en adjoindre d’autres qui, fussent-ils imaginaires, portent atteinte au respect dû à sa vie privée".
Ces deux espèces, relativement proches, témoignent du difficile équilibre que les magistrats s’efforcent d’assurer, en fonction des espèces, entre le principe fondamental de la liberté d’expression, ici celui des auteurs de fiction, et la protection des droits de la personnalité que sont le droit à l’image et le droit à l’intimité de la vie privée des personnes.