Dans un communiqué de presse du 14 février 2018, la Commission Européenne a annoncé, dans le cadre de la stratégie pour un marché unique numérique, un projet de règlement pour améliorer l’équité des pratiques commerciales des plateformes en ligne vis-à-vis des entreprises et les commerçants qui les utilisent, « Platform to business » ou « P2B ». Ainsi, le législateur européen entend intervenir sur deux axes fondamentaux : d’une part, renforcer les obligations d’équité, de transparence et de prévisibilité des plateformes vis-à-vis de leurs utilisateurs professionnels et d’autre part, favoriser le recours à des moyens alternatifs de règlement des différends. Les nouvelles règles sont étayées par une analyse d’impact qui intègre les éléments probants et les avis des parties prenantes recueillis pendant deux ans à l’occasion d’un exercice de collecte d’informations.

  1. Objectif

L’objectif essentiel de ce futur règlement est de rééquilibrer le rapport de force entre de puissantes plateformes, et les vendeurs professionnels qui les utilisent.

Il est intéressant, à certains égards, de mettre en parallèle ces dispositions avec l’article L. 111-7 du code de la consommation sur la loyauté des plateformes vis-à-vis des consommateurs introduit par la Loi pour une République Numérique, règlementation dite « P2C » (Platform to Consumer).

  1. Acteurs concernés et champs d’application territorial

Le règlement couvre les plateformes d’intermédiation en ligne et les moteurs de recherche généralistes fournissant leurs services à des entreprises qui sont établies dans l’UE et qui proposent des produits ou des services à des consommateurs également établis dans l’UE. En fait ce texte a vocation à s’applique dans l’Espace Economique Européen.

Les moteurs de recherche concernés sont ceux qui facilitent les recherches sur le web à partir d’une interrogation sur un sujet donné et donnent comme résultats des liens correspondant à la demande formulée.

Les plateformes d’intermédiation en ligne comprennent des places de marché du commerce électronique agissant pour le compte de tiers, des boutiques d’applications, des médias sociaux ouverts aux entreprises (et des outils de comparaison de prix).

Sont exclus :

  • les services de publicité et de paiement en ligne, les services d’optimisation pour les moteurs de recherche et les services qui connectent du matériel informatique et des applications, dès lors qu’il n’y a pas d’intermédiation d’une transaction directe entre une entreprise et un consommateur, ainsi que les intermédiaires intervenant entre des entreprises uniquement (comme les plateformes d’échanges publicitaires en ligne).
  • les détaillants en ligne, comme les magasins d’alimentation (supermarchés) et les détaillants de marques, dans la mesure où ces détaillants en ligne ne vendent directement que leurs propres produits, sans faire appel à des vendeurs tiers, et n’interviennent pas dans la facilitation de transactions directes entre ces vendeurs tiers et les consommateurs.

Dans le droit de la consommation français la plateforme en ligne est définie comme toute personne physique ou morale proposant à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur (i) le classement ou le référencement algorithmique de biens ou services ou (ii) la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service.

  1. Interdiction de certaines pratiques déloyales des plateformes
  • Plus de clarté pour les conditions générales d’utilisation

La plateforme doit avoir des conditions générales d’utilisation « CGU » plus claires, précises et intelligibles pour les vendeurs professionnels, afin que ceux-ci puissent y consentir de façon éclairée.

Cette disposition intervient dans un contexte où le juge invalide fréquemment de nombreuses clauses issues des CGU de grands acteurs du numérique.

La plateforme doit notifier toute modification des CGU auprès de ses utilisateurs et le respect d’un délai de préavis ne pouvant être inférieur à 15 jours à compter de la notification des modifications.

  • Fin des suspensions de compte soudaines et inexpliquées

Le projet de règlement suit les prescriptions de la récente recommandation 2018/334 de la Commission européenne du 1er mars 2018 relative à la lutte contre les contenus illicites en ligne, et notamment son considérant 20 selon lequel les fournisseurs de contenu doivent être informés de la décision de retirer un contenu stocké à leur demande ou d’en rendre l’accès impossible et avoir la possibilité de contester la décision au moyen d’une contre-notification.

Le règlement interdit par principe toute suspension ou suppression du compte d’un vendeur opérée sans motif. Parallèlement, le vendeur professionnel faisant l’objet de la sanction doit disposer d’un moyen de recours contre celle-ci. Il dispose également d’un droit au rétablissement de sa situation antérieure, dans l’hypothèse où la sanction aurait été infligée par erreur ou suite à un dysfonctionnement de la plateforme.

  1. Plus de transparence
  • Transparence concernant le fonctionnement des algorithmes de classement

Les places de marché et les moteurs de recherche doivent indiquer les principaux paramètres qu’ils utilisent pour classer les biens et les services sur leurs sites, afin que ces derniers puissent exercer entre eux une concurrence saine.

Cette disposition est le symétrique de l’article L. 111-7 II. 1° du Code de la consommation français selon lequel l’opérateur de plateforme en ligne est tenu de délivrer au consommateur une information claire, transparente et loyale sur les modalités de classement, référencement et déréférencement des biens ou services proposés. Il en résulte que la plateforme devra désormais faire preuve de transparence, tant vis-à-vis du consommateur que du vendeur professionnel.

  • Transparence sur certaines pratiques

Dans l’hypothèse où la plateforme mettrait également à disposition du consommateur ses propres produits ou services ou qu’elle aurait conclu avec des partenaires commerciaux des accords afin de les traiter plus favorablement, celle-ci sera également tenue d’informer les autres vendeurs professionnels sur la nature et le contenu des avantages concédés à elle-même ou à ses partenaires.

Cette disposition reprend pour le compte des professionnels l’article L. 111-7 II. 2° du Code de la consommation qui dispose que la plateforme en ligne doit informer le consommateur de l’existence de toute relation contractuelle, lien capitalistique ou rémunération à son profit dès lors qu’ils influencent le référencement ou le classement des produits ou services.

Elles devront également indiquer les données qu’elles collectent et la manière dont elles les utilisent, et en particulier comment ces données sont partagées avec leurs partenaires commerciaux. En ce qui concerne les données à caractère personnel, les dispositions du RGPD s’appliqueront.

  1. Règlement des différends

Le projet de règlement favorise grandement le recours aux modes alternatifs de règlements des différends.

  • D’abord, la plateforme est dans l’obligation de mettre en place un système de plaintes interne et spécifique aux vendeurs professionnels. L’idée est ainsi de favoriser la communication entre la marketplace et ces derniers sans avoir immédiatement recours au juge. Les plaintes pourraient concerner un manquement légal imputé à la plateforme, mais également des questions technologiques liées à la fourniture de services en lignes qui causeraient un préjudice au vendeur ou des mesures prises par la plateforme qui lui seraient défavorables.
  • Toujours dans cette optique de déjudiciarisation des litiges, le nouveau règlement prévoit l’obligation pour l’opérateur de plateforme en ligne d’indiquer expressément dans les conditions générales d’utilisation des organismes de médiation susceptibles de mettre fin au litige entre celui-ci et le vendeur professionnel. Ce dernier ne devrait pas avoir à supporter plus de la moitié du coût total de la procédure.

Seules les plus petites plateformes, en termes d’effectifs ou de chiffre d’affaires, seront exemptées de ces obligations.

  1. Action des associations professionnelles

Dans les cas où la plateforme manquerait aux obligations édictées au sein du règlement, Les associations professionnelles pourront intenter une action en justice afin d’obtenir la cessation de tout manquement aux règles, soit auprès de l’autorité judiciaire, soit auprès d’une autorité publique ayant été spécialement investie pour régler ce type de litige aux fins de faire cesser ou d’interdire ledit manquement.

Face à une infraction aux nouvelles règles, les entreprises n’auront ainsi plus à craindre de représailles et la procédure devant les tribunaux leur coûtera désormais moins cher.

En outre, les États membres pourront, s’ils le souhaitent, désigner des autorités publiques dotées de pouvoirs répressifs, auxquelles les entreprises pourront faire appel.

  1. Prochaines étapes

Les nouvelles règles entreront en application 12 mois après leur adoption et publication, et elles feront ensuite l’objet d’un réexamen dans un délai de 18 mois, afin de s’assurer qu’elles restent en phase avec le marché en évolution rapide. L’UE a également mis en place un « Observatoire des plateformes en ligne » pour suivre l’évolution du marché et la mise en œuvre effective des règles.

 

L’ARCEP dans Le Post n° 27 – Février / Mars 2019 a salué comme « un premier jalon fondateur pour l’ouverture des terminaux » le fait que la réglementation s’applique aux application mobiles. Dans son communiqué de presse du 22 février 2019, elle précise que « les magasins d’applications sont au cœur du champ d’application du règlement, mais aussi les assistants vocaux, désormais intégrés dans la définition des moteurs de recherche en ligne. Quant aux systèmes d’exploitation, l’Arcep constate avec satisfaction qu’ils sont mentionnés comme des moyens techniques pouvant être utilisés par les plateformes en ligne pour mettre en avant leurs propres services ».