CE 9 novembre 2016, n° 393902

La décision du Conseil d’État du 9 novembre 2016 (n°393902) était particulièrement attendue en ces temps troublés où l’État est sur le devant de la scène dans différents dossiers de santé publique.

Pour mémoire, dans un arrêt du 31 juillet 2015, la Cour administrative d’appel de Paris avait retenu la responsabilité de l’État en ces termes :

« l’abstention de prendre les mesures adaptées, qui ne pouvaient être que la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Médiator, auxquels il n’a été procédé respectivement qu’en 2009 et 2010, doit être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de l’État […] et à impliquer que celui-ci doive être, le cas échéant, condamné à réparer les conséquences dommageables en ayant résulté » (cf. notre précédent article : Médiator ou quand l’État se fait rattraper).

Dans le cadre du recours formé tant par la requérante que par le ministère des Affaires sociales, plusieurs questions de principe ont été soulevées devant le Conseil d’État.

1. La faute de l’État confirmée

La requérante considérait que la période retenue s’agissant d’une faute de l’État était insuffisante.

La Cour administrative d’appel avait en effet considéré que l’État avait commis une faute à partir du 7 juillet 1999 consistant à ne pas prendre les mesures qui s’imposaient au vu de l’état des connaissances scientifiques s’agissant de la prise de Médiator®, c’est-à-dire sa suspension ou son retrait. À cette date, en effet, une réunion s’était tenue au sein de l’Autorité nationale pour la sécurité des médicaments (« ANSM ») dans le cadre de laquelle de nouveaux éléments d’information avaient été discutés pour conclure au danger du benfluorex et au déséquilibre des bénéfices / risques du Médiator®.

La requérante estimait quant à elle que cette faute pouvait être caractérisée dès juillet 1995, date à laquelle une réunion du comité de pharmacovigilance de l’ANSM s’était tenue, au cours de laquelle avait été évoqué le fait que le centre régional de pharmacovigilance de Besançon avait relevé que le benfluorex possédait « une structure voisine de celle des anorexigènes »

Sur ce point, le Conseil d’État ne modifie pas l’analyse et confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel en retenant que la négligence de l’État peut être qualifiée de fautive à compter du 7 juillet 1999.

2. Une exonération partielle de l’État

De son côté, le ministère des Affaires sociales, de la santé et du droit des femmes a contesté l’approche (pouvant paraître) radicale de la Cour administrative d’appel de Paris qui avait considéré que la faute de l’État à compter de 1999 était de nature à engager sa responsabilité. À ce titre, l’État était tenu d’indemniser l’intégralité des conséquences dommageables en résultant.

Le ministère a ainsi tenté de se prévaloir de la faute du laboratoire pour obtenir une exonération totale de l’État en considérant que l’État ne peut voir sa responsabilité engagée qu’en raison des « fautes commises par des personnes publiques ou privées avec lesquelles il collabore étroitement dans le cadre de la mise en œuvre d’un service public ».

Le Conseil d’État n’admet pas cette position « jusqu’au-boutiste » et considère que certes dans une telle hypothèse, l’État est tenu d’assumer les conséquences des fautes commises par les entités avec lesquelles il collabore. Cependant, en présence de fautes commises tant par l’État dans le cadre de sa mission de police sanitaire relative aux médicaments que par le laboratoire pharmaceutique, une responsabilité partielle ou totale de l’État peut être retenue.

Le Conseil d’État casse l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 31 juillet 2015 dont la conclusion impliquait pour l’État une responsabilité totale à charge pour lui de se retourner contre le laboratoire pharmaceutique.

Au total, si le Conseil d’État refuse de considérer que l’État pourrait s’exonérer de toute responsabilité, il admet en revanche le principe d’un partage de responsabilité ; il appartiendra à la Cour administrative d’appel de Paris de déterminer la part de responsabilité de l’État.

Cette position ne nous semble pas s’inscrire dans une simplification des mécanismes d’indemnisation pour les victimes ; en effet, si la victime pourra obtenir la condamnation de l’État, en cas de responsabilité de celui-ci devant le juge administratif, l’indemnisation consécutive pourra être limitée en cas d’exonération partielle. Il appartiendra alors à la victime de saisir les juridictions judiciaires pour obtenir la condamnation du co-responsable, lui faisant porter la charge d’un « double procès ».
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