Le « Veganuary » (traduisez en français le « Janvier Végan ») a été à l’origine de bien des succès pour les végans du Royaume-Uni.

La boulangerie anglaise Greggs a versé des primes à ses salariés pour célébrer le succès de son friand végan, KFC a lancé son burger de « poulet » végan, et pour couronner le tout, l’Employment Tribunal (l’équivalent du Conseil de Prud’hommes au Royaume Uni), a érigé le « Véganisme éthique » au rang de « Croyance protégée par la loi ».

Le contexte de l’affaire

Un salarié avait envoyé des courriers électroniques à tous ses collègues par lesquels il dénonçait les pratiques non éthiques du plan d’épargne retraite auquel son employeur, The League Against Cruel Sport [1], avait souscrit pour ses employés.

L’association avait mis en demeure le salarié d’arrêter d’envoyer ce type de courriers électroniques. En dépit de cette mise en demeure, le salarié avait continuer à envoyer des courriels de même nature.

Par la suite, le salarié a été licencié au motif qu’il refusait de se conformer aux directives de ses supérieurs hiérarchiques, ce qui était de nature à établir une grave insubordination.

Il était important pour l’association de faire cesser les agissements de son salarié car cette dernière considérait que ces courriers électroniques pouvaient être constitutifs d’une activité de conseil financier exercé par un de ses salariés, sans pour autant que ce dernier y soit autorisé, outre le fait qu’il n’était pas qualifié pour ce faire. En effet, au Royaume Uni, lorsqu’un employeur a souscrit à un régime de retraite que nous qualifierions de sur-complémentaire en France, les salariés sont en droit de ne pas y souscrire, ou de se désaffilier. Par conséquent, un salarié qui tente de dissuader ses collègues de rester affiliés au régime souscrit par l’employeur afin que ces derniers décident éventuellement d’en changer, ou de simplement se désaffilier, peut éventuellement être considéré comme exerçant, dans une certaine mesure, des fonctions de conseil financier.

Le salarié estime quant à lui avoir subi un traitement injuste en raison de ses croyances, ce que l’association conteste fortement.

Le salarié estimait en effet que son contrat de travail avait été rompu en raison de ses « croyances véganes », et a donc saisi les juridictions compétentes au Royaume Uni. Il estimait en outre avoir été licencié abusivement par son employeur.

La question posée à l’Employment Tribunal lors d’une audience préliminaire était de savoir si le « véganisme éthique » est une croyance philosophique qui, en cette qualité, devait donc être protégée par la loi.

En Angleterre, pour un dossier potentiellement complexe, une audience préliminaire peut être programmée préalablement à l’audience finale, afin notamment qu’un jugement soit rendu sur des questions qui doivent être tranchées avant que le litige principal puisse être jugé.

Le 24 février prochain, l’audience principale devrait se tenir afin que l’Employment Tribunal se prononce sur le bien-fondé du licenciement, point qui n’est pas ici traité, aucune décision n’étant encore rendu sur cet aspect.

Le véganisme, une croyance protégée

À titre liminaire, il convient de noter que toute l’affaire repose sur le fait que le véganisme du demandeur est un « véganisme éthique », donc bien plus exigeant que le « véganisme » classique[2].

Devant l’Employment Tribunal, le salarié a fait valoir avec succès que la section 10 de l’Equality Act 2010, qui transpose l’article 9 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, est applicable au véganisme éthique.

La section 10 constate que la liberté de manifester ses convictions doit être exercée sans discrimination. Pour soutenir que le véganisme doit être protégé, le salarié s’était fondé sur l’analyse de « Grainger » qui déterminer les conditions en vertu desquelles une croyance doit être protégée, à savoir qu’elle doit :

  • Être une croyance véritable ;
  • Être une croyance et non un point de vue ;
  • Être une croyance envers un aspect important et considérable de la vie humaine et du comportement ;
  • Atteindre un certain niveau d’importance, de cohésion et de pertinence ; et
  • Mériter le respect dans une société démocratique et être compatible avec la dignité humaine.

L’Employment Tribunal a jugé que le « véganisme éthique » satisfaisait à l’ensemble de ces conditions, ce qui n’a pas manqué de faire du bruit au Royaume Uni.

Il convient bien évidemment d’analyser cette décision avec précaution.

En effet, en « common law », la charge de la preuve est très lourde pour démontrer qu’une croyance mérite d’être protégée. En outre, le jugement ayant été rendue par l’Employment Tribunal et en première instance, il ne constitue pas un précédent jurisprudentiel qui s’impose.

En outre, l’association n’a pas fait appel de cette décision et il est fort probable que la question ne sera pas à nouveau soumise aux tribunaux ou à tout le moins, pas dans l’immédiat, la situation jugée étant très spécifique. Si tel devait toutefois être le cas, ce jugement est probablement une des prémices de la façon dont les futurs juges pourraient aborder la question si elle devait se présenter à nouveau.

Il est donc d’ores et déjà recommandé aux employeurs basés au Royaume Uni de prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir toute situation de discrimination directe ou indirecte à l’encontre des salariés végans.

 

Cet article a été co-écrit par Francesca Bexon et Jean-Sébastine Lipski

 

[1] La Ligue contre les sports cruels

[2] Le demandeur a témoigné en détail sur l’étendue de sa croyance et son influence sur ses choix quotidiens. Alors que le véganisme se concentre sur le régime, son véganisme éthique impliquait qu’il ne prenait pas le bus de peur qu’il n’entre en collision avec des insectes, qu’il n’achetait pas de vêtements ou produits cosmétiques comprenant des matières animales, il préférait les cartes bancaires aux billets car ces derniers sont traités avec des matières animales. Il est également très présent au sein de la communauté végane, et il intervient quand il pense que les principes du véganisme éthique sont enfreints. En conséquent, le véganisme éthique ne consistait pas seulement à éviter de manger de la viande ou des produits animaux, c’est un mode de vie du demandeur.