Anticipant les profonds changements à intervenir en matière de taux interbancaires de référence, l’International Swaps and Derivatives Association (« ISDA ») a publié le 23 octobre 2020 les tant attendus « IBOR Fallbacks Supplement » (le « Supplement »)[1] et « IBOR Fallbacks Protocol » (le « Protocol »)[2] qui entreront en vigueur le 25 janvier 2021[3].
Pour rappel[4], l’adoption du Règlement (UE) 2016/1011[5], dit « Règlement Benchmark », a sonné le glas des IBOR qui, après avoir bénéficié d’une période de transition supplémentaire de deux ans, disparaîtront à compter du 3 janvier 2022. Par ailleurs, l’article 28 (2) du Règlement Benchmark prévoit une obligation pour les entités surveillées[6] ayant recours aux indices de référence IBOR d’établir et de tenir à jour « des plans écrits solides décrivant les mesures qu’elles prendraient si cet indice de référence subissait des modifications substantielles ou cessait d’être fourni ».
La documentation contractuelle, élaborée par les organisations professionnelles, relative aux opérations de financement et de couverture faisant appel à l’utilisation de taux de référence comprend depuis longtemps des clauses dites de « fallback » (taux de repli) destinées à permettre la détermination d’un taux de substitution au cas où l’indice de référence serait indisponible.
Toutefois, ces clauses de « fallback » n’étaient initialement conçues que pour une indisponibilité temporaire, là où celle des IBOR à venir sera définitive puisque le Règlement Benchmark rend impossible l’utilisation de ces indices en raison de ses exigences quant aux méthodes de calcul de ces taux de référence et aux données utilisées à cette fin.
Le Supplement viendra donc compléter les 2006 ISDA Definitions et tous les dérivés conclus à partir du 25 janvier 2021 qui s’y réfèreront intégreront automatiquement les nouveaux taux de repli. Ces derniers seront désormais des « risk-free rates » (taux sans risque) tels que l’€STER, le SOFR ou le SONIA[7], lesquels sont déterminés sur la base d’opérations réelles et non en fonction de simples estimations, satisfaisant ainsi aux exigences du Règlement Benchmark.
Pour les dérivés conclus avant le 25 janvier 2021, les chambres de compensation prévoient d’incorporer les taux de repli dans leurs règlements, de sorte qu’ils s’appliquent également de manière automatique.
Enfin, pour les dérivés conclus avant cette date sans l’intervention d’une chambre de compensation, les parties qui souhaitent intégrer les taux de repli a posteriori pourront le faire en adhérant au Protocol directement via le site de l’ISDA – ledit Protocol ayant alors vocation à s’appliquer aux opérations pour lesquelles les contreparties auront toutes deux adhéré audit Protocol.
Aux termes de cette nouvelle documentation publiée par l’ISDA, trois événements (dénommés “Index Cessation Events”) sont de nature à entraîner le passage au taux de repli :
- Une déclaration publique ou publication par ou au nom d’un administrateur de l’IBOR considéré annonçant qu’il a cessé, ou cessera, de fournir cet IBOR de manière permanente ou indéfinie, et qu’au moment de la déclaration ou de la publication, aucun administrateur successeur ne continuera à fournir cet IBOR ;
- Une déclaration de la même teneur mais émanant cette fois-ci du régulateur de l’administrateur, de la banque centrale de la monnaie de l’IBOR considéré, d’une autorité de résolution ayant compétence sur l’administrateur ou d’un tribunal compétent ; et
- Dans le cas du LIBOR en dollar US, en livre sterling, en franc suisse, en yen japonais ou en euro, une déclaration publique ou publication par l’autorité de surveillance de l’administrateur du taux annonçant que (a) l’autorité de surveillance a déterminé que le taux n’est plus, ou ne sera plus à une date donnée, représentatif du marché sous-jacent et de la réalité économique que le taux est censé mesurer, et que cette représentativité ne sera pas rétablie, et (b) que l’autorité de surveillance a l’intention de déclencher les « fallbacks ».
A l’instar de l’ISDA, la Loan Market Association (la « LMA ») a également anticipé le basculement des IBOR vers les « risk-free rates » et depuis mai 2018, propose un modèle de clause de « fallback » à intégrer dans les conventions de crédit.
Or, en parallèle des dernières publications de l’ISDA, la LMA vient de publier une note avec une proposition de rédaction afin d’inclure dans la clause de « fallback », un nouvel événement susceptible d’entrainer le basculement vers un taux de repli : à savoir, le cas où un indice cesserait d’être représentatif de manière permanente. Cela sera par exemple vraisemblablement le cas du LIBOR puisque la Financial Conduct Authority (FCA), l’autorité britannique chargée de la surveillance du LIBOR, a annoncé qu’elle cesserait fin 2021 de soutenir la production de cet indice de référence[8].
La transition des IBOR vers les « risk-free rates » arrive donc à grands pas et il convient d’anticiper le plus tôt possible les changements qui s’imposeront.
L’ISDA rappelle d’ailleurs que les taux de repli du Supplement ne doivent pas être envisagés comme le moyen premier d’effectuer cette transition[9]. Il appartiendra donc aux parties de modifier de leur propre initiative les conventions (de produits dérivés, de crédit ou autres) se référant aux IBOR.
Si l’on aime bien rappeler la maxime « abundans cautela non nocet », la grande entreprise de « repapering » annoncée par beaucoup est loin de relever de l’excès de zèle et il convient dès à présent de s’atteler à la rédaction des avenants pour procéder à ces modifications.
Il conviendra enfin d’être tout particulièrement vigilant à ce que, dans les opérations de financement requérant des dérivés utilisés à des fins de couverture, le contrat de prêt et la documentation des dérivés comprennent des clauses de repli similaires. Le taux de repli choisi doit en effet être identique dans les deux opérations afin d’éviter une éventuelle discordance pouvant avoir de terribles conséquences financières, tant pour les emprunteurs que pour les prêteurs.
Cet article a été rédigé par Véronique Collin, Mathieu Lebourgeois, Robin Erhard
[1] Amendments to the 2006 ISDA Definitions to include new IBOR fallbacks (http://assets.isda.org/media/3062e7b4/23aa1658-pdf/)
[2] ISDA 2020 IBOR Fallbacks Protocol (http://assets.isda.org/media/3062e7b4/08268161-pdf/)
[3] ISDA Launches IBOR Fallbacks Supplement and Protocol (https://www.isda.org/2020/10/23/isda-launches-ibor-fallbacks-supplement-and-protocol/)
[4] Lire : « https://larevue.squirepattonboggs.com/la-disparition-des-indices-ibor.html »
[5] Règlement (UE) 2016/1011 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 concernant les indices utilisés comme indices de référence dans le cadre d’instruments et de contrats financiers ou pour mesurer la performance de fonds d’investissement et modifiant les directives 2008/48/CE et 2014/17/UE et le règlement (UE) n° 596/2014
[6] Parmi lesquelles, notamment, les établissements de crédit, les chambres de compensation ou encore les entreprises d’investissement ou d’assurance aux termes de l’article 3 du Règlement Benchmark
[7] Visant à remplacer respectivement le LIBOR en euro, en dollar US et en livre sterling
[8] FCA – Transition from LIBOR (https://www.fca.org.uk/markets/libor#:~:text=The%20interest%20rate%20benchmark%20LIBOR,taking%20to%20facilitate%20the%20transition.)
[9] ISDA – Understanding IBOR Benchmark Fallbacks (http://assets.isda.org/media/50b3fed0/47be9435-pdf/)