Le financement participatif (crowdfunding) a été pensé à l’origine comme un mode de financement désintéressé, caritatif. C’est ainsi que fut financée la Statue de la Liberté. Il a ensuite évolué, principalement grâce aux plateformes en ligne, pour devenir un placement comme un autre, à destination d’investisseurs qui ne sont plus seulement des particuliers ou, s’agissant de prises de participation, des « petits porteurs ». Ainsi, la part des dons est passée de 64% en 2011, à 29% en 2016. Cette participation se réduisait même à 12% en 2019[1], le net recul des dons (en proportion) étant dû à l’envolée des levées de fonds sous forme de prêts et d’investissements en capital.

Le régime français

Le financeur étant de plus en plus un investisseur et de moins en moins un donateur, il est devenu le sujet d’une certaine protection, dans la mesure où il était légitime qu’il attende un retour sur investissement à la hauteur des promesses annoncées. Le secteur se développant fortement, le cadre juridique fut également jugé trop rigide.

Ces nécessaires changements ont donné lieu à l’actuel régime français, issu de l’Ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif (l’« Ordonnance »), définissant le statut des acteurs à l’origine de ces produits.

L’Ordonnance, prévoit actuellement deux statuts :

  • Conseiller en Investissements Participatifs (CIP) ; et
  • Intermédiaire en Financement Participatif (IFP).

De ces deux statuts découlent les types de financements pouvant être proposés par les plateformes de crowdfunding :

  • Pour pouvoir proposer un financement sous la forme d’une souscription de titres financiers ou de minibons, la plateforme doit être immatriculée en tant que CIP (ou Prestataire de Services d’Investissement fournissant le service de conseil en investissement).
  • Pour pouvoir proposer un financement sous la forme d’un prêt (rémunéré ou non) ou d’un don, la plateforme doit être immatriculée en tant qu’IFP.

L’encadrement européen

Si la France a bien été la première, dans l’Union Européenne (« UE »), à s’être dotée d’un cadre règlementaire, elle ne fut toutefois pas la seule[2].

S’il est louable que les États membres aient entrepris de réguler le financement participatif à l’échelle locale, il s’ensuivait logiquement que les plateformes de crowdfunding puissent accéder, sans entraves, au marché unique.

Ainsi, le Parlement européen a adopté, le 5 octobre 2020, le règlement (UE) 2020/1503[3] (le « Règlement ») et la directive (UE) 2020/1504[4] (la « Directive »), du 7 octobre 2020, qui encadrent le financement participatif dans l’ensemble de l’UE.

Ces textes, qui formeront le nouveau cadre européen du financement participatif, seront applicables à compter du 10 novembre 2021.

En effet, les deux statuts de CIP et d’IFP sont propres à la France et ne sont donc pas facilement exportables dans d’autres États membres de l’UE. C’est là, la principale raison avancée en faveur de ce nouveau cadre européen pour le crowdfunding : permettre à chaque plateforme de proposer ses services dans les autres États membres en éliminant les disparités des différents régimes nationaux. Il suffit de lire, pour s’en convaincre, les considérants 6 et 7 du Règlement, lesquels pointent du doigt cette « fragmentation du cadre juridique ».

Parmi les autres raisons justifiant ce nouveau cadre européen, on peut noter la volonté de « diversifier le système financier et de le rendre moins dépendant des financements bancaires » afin de « limiter le risque systémique et le risque de concentration » (Considérant 1 de la Directive).

On peut s’interroger sur la validité de cet argument à l’aune de la réappropriation du phénomène crowdfunding par les banques commerciales, ces dernières ayant déjà racheté quelques-uns des grands noms du secteur. On peut se demander pourquoi la tendance s’inverserait, les économies d’échelle devenant plus faciles à réaliser une fois le régime uniformisé au niveau européen, favorisant ainsi les regroupements et les rachats de plateformes.

L’objectif est également de débloquer des capitaux gelés, aux fins de faciliter l’accès au financement pour les entreprises (Considérant 1 de la Directive). Ce motif semble justifié en France, l’épargne ayant la faveur des Français.

Les entreprises ayant le plus recours au crowdfunding sont les TPE/PME, les ETI et les start-ups, ces dernières notamment, à un stade précoce de leur existence. Le crowdfunding s’avère donc utile pour ces dernières, précisément lorsque les portes des banques leur sont difficilement ouvertes.

Le Considérant 3 du Règlement rappelle d’ailleurs que « le financement participatif peut contribuer à faciliter l’accès des PME au financement et à compléter l’union des marchés des capitaux (UMC). L’accès insuffisant au financement pour ces PME constitue un problème même dans les États membres où l’accès aux financements bancaires est resté stable tout au long de la crise financière ».

Les conséquences du nouveau cadre règlementaire

Ce nouveau cadre européen, ayant donc pour ambition de lisser les aspérités créées par les différentes réglementations nationales et de faciliter la prestation transfrontalière de services de financement participatif (Article 18 du Règlement), ne tolèrera pas de coexistence avec les actuels IFP et CIP, du moins pour ce qui est du financement rémunéré à destination des entreprises.

En effet, le crowdfunding sous forme de dons est exclu du champ d’application du nouveau cadre européen (Article 2(1) du Règlement). Le Règlement ne s’applique pas non plus aux porteurs de projets qui sont des consommateurs (article 1(2) du Règlement).

Le nouveau statut venant donc en remplacement des CIP et IFP (pour la France) est celui de Prestataire de Services de Financement Participatif (PSFP).

Pour opérer cette transition, les plateformes existantes ont jusqu’au 10 novembre 2022 (délai que la Commission européenne pourra prolonger d’un an) pour obtenir le statut de PSFP.

La distinction entre financement par le prêt et financement par l’investissement (en anglais : crowdlending et crowdequity) de notre actuel régime des IFP et CIP est maintenu, l’Article 2 du Règlement définissant le service de financement participatif comme :

  • la facilitation de l’octroi de prêts, étant précisé que la différence fondamentale avec l’octroi de prêt par les établissements de crédits est que les PSFP ne sont à aucun moment créanciers des porteurs de projets ; ou
  • le placement, sans engagement ferme, de valeurs mobilières et d’instruments admis à des fins de financement participatif émis par des porteurs de projets ou par une entité ad hoc, ainsi que la réception et la transmission d’ordres de clients portant sur ces valeurs mobilières et instruments admis à des fins de financement participatif.

Ce cadre européen s’appliquera aux financements participatifs de 5 millions d’euros ou moins sur une période de 12 mois (Article 1(1) du Règlement). Cela correspond au seuil de déclenchement, dans la majorité des États membres, de l’obligation de publier un prospectus pour une offre au public. En France, toutefois, le seuil est fixé à 8 millions d’euros, maximum autorisé par le Règlement Prospectus[5].

Pour rappel, le plafond actuel pour les financements octroyés via des CIP en France est lui aussi de 8 millions d’euros, sur une période de 12 mois, aux termes de l’article D411-2 du Code Monétaire et Financier (« CMF »). Sur ce point, le Règlement se trouve légèrement en retrait par rapport à notre régime national. On pourra donc regretter que l’ouverture de la possibilité de présenter des projets de crowdequity au-delà de nos frontières se fasse au prix d’une réduction du plafond de 3 millions d’euros, là où une telle possibilité aurait justement pu permettre de lever des sommes plus importantes.

En revanche, en matière de crowdlending, le Règlement constitue une avancée par rapport au plafond actuel imposé aux IFP, soit 1 million d’euros par projet (article D548-1, al.3 du CMF).

Il est à noter que la Directive exclut les PSFP du champ d’application de la directive « MIF 2 »[6], afin d’éviter qu’une même activité soit subordonnée à l’obtention de multiples agréments au sein de l’UE.

Le Règlement opère une distinction entre l’investisseur averti qui est défini par référence à MIF 2 et l’investisseur non-averti, preuve que les investisseurs institutionnels ont désormais vocation à financer des projets au côté des personnes physiques, « cibles » initiales du financement participatif.

Les investisseurs non-avertis seront soumis à un test de connaissances et à une simulation de leur capacité à supporter d’éventuelles pertes (Article 21 du Règlement). Ils bénéficieront également d’un délai de rétractation de 4 jours (Article 22 du Règlement).

Les PSFP fourniront leurs services sous la surveillance des autorités compétentes des différents États membres qui ont octroyé l’agrément (Article 30 du Règlement), alors que la proposition de règlement devait attribuer la délivrance des agréments à l’Autorité Européenne des Marchés Financiers («AEMF »).

L’AEMF pourra toutefois demander des informations pour s’assurer de la cohérence dans l’octroi des agréments. Elle tiendra par ailleurs un registre des PSFP.

Ces nouveaux PSFP seront soumis à des obligations organisationnelles, de transparence, de gestion des conflits d’intérêts, de diligence ou encore de gestion des réclamations[7].

Le Règlement comprend en annexe une fiche d’informations clés qui sera destinée aux investisseurs afin qu’ils mesurent les risques liés à ce type de financement.

Le crowdfunding est sans conteste, en France, un secteur en forte croissance, ayant dépassé en 2020, et pour la première fois, le seuil symbolique d’un milliard d’euros collectés[8].

Si l’on peut penser que cette hausse est due à l’élan de solidarité des donneurs en cette période de crise économique, elle traduit aussi et surtout la financiarisation du secteur.

Pensé initialement comme un moyen de récolter des dons, le financement participatif est aujourd’hui également un vecteur d’investissements. Les investisseurs institutionnels sont de plus en plus présents sur le marché et il n’est plus rare de voir des établissements de crédit entrer au capital de florissantes plateformes qui étaient encore des start-ups il y a quelques années. Le nouveau cadre européen issu du Règlement et de la Directive s’inscrit dans cette tendance et devrait même l’accentuer.

Quoique s’éloignant du crowdfunding « traditionnel », ce complément à l’union des marchés de capitaux (Considérant 3 du Règlement) devrait cependant permettre aux PME et aux jeunes pousses un accès plus facile au financement. Le crowdfunding a l’avantage considérable d’être non seulement une source de financement mais également un moyen de tester l’appétit du marché sur un projet précis doublé d’un formidable outil de communication.

Cet article a été rédigé par Véronique Collin et Robin Erhard

[1] https://financeparticipative.org/barometres-crowdfunding/

[2] Current State of Crowdfunding in Europe: An Overview of the Crowdfunding Industry in more than 25 Countries: Trends, Volumes & Regulations, Crowdfundinghub

[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32020R1503

[4] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/ALL/?uri=CELEX:32020L1504

[5] Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement Européen et du Conseil du 14 juin 2017 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé, et abrogeant la directive 2003/71/CE (https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2017/1129/oj )

[6] Directive 2014/65/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE

[7] https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/publication-du-reglement-europeen-relatif-au-financement-participatif-dates-cles-et-grandes-lignes

[8] https://financeparticipative.org/le-crowdfunding-depasse-le-milliard-en-2020/