La procédure de discovery recouvre en fait une phase procédurale d’investigation préalable à tout procès, dont l’objectif est de recueillir des éléments de preuves destinés à favoriser le déroulement du procès.

Cette procédure, bien ancrée dans la tradition juridique anglo-saxonne, façonnée par une procédure accusatoire où les parties ont un rôle majeur et le juge ne joue qu’un rôle d’arbitre, peut heurter les justiciables de pays civilistes peu familiers de ce genre de procédure intrusive. En effet, la procédure inquisitoire des pays civilistes confère au juge un rôle prépondérant dans la conduite de l’instance et l’administration de la preuve. La communication  des pièces par les parties se fait de manière spontanée et ne recouvre que les seules preuves permettant aux parties d’asseoir leur argumentation.

La discovery impose à l’inverse aux parties de produire tous les documents en relation avec le litige, qu’ils leur soient favorables ou non. Ce sont ainsi des centaines, voire des milliers de mails, contrats et documents en tout genre qui sont transmis à l’adversaire. Ce dernier, qui peut être un concurrent direct de la société, est alors susceptible de se retrouver en possession d’une multitude de documents sur l’organisation quotidienne de l’entreprise, son développement, ses clients et d’autres données sensibles, voire confidentielles. La discovery dans le cadre d’un procès peut alors se transformer en « fishing expedition ».

L’application de cette procédure de discovery ne se limite pas aux adversaires situés dans des pays de Common law, mais s’étend également à toute entreprise quel que soit son système juridique, y compris français.

La Convention internationale de la Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale du 18 mars 1970 était venue encadrer les actes d’intrusion et d’obtention de preuves à l’étranger en matière civile et commerciale. La Convention dispose notamment que « l’autorité judiciaire d’un État contractant peut, conformément aux dispositions de sa législation, demander par commission rogatoire à l’autorité compétente d’un autre État contractant de faire tout acte d’instruction ».[1] Elle exige en outre un lien précis et direct avec un litige engagé ou futur et pose certaines exigences de fond concernant les informations à fournir (liste limitativement énumérée des documents ou personnes à interroger) et la langue à utiliser. En cas de non-respect de ces exigences, les autorités locales peuvent refuser de faire droit à la demande de preuves.

Or, en pratique, les autorités judiciaires de certains pays anglo-saxons n’hésitent pas à contourner les garde-fous posés par la procédure de coopération internationale prévue par la Convention de La Haye dans des procédures de discovery.[2]

Conscient du contournement de la convention de la Haye, et dans un contexte économique tendu, le législateur français a souhaité renforcer la protection des entreprises françaises en adoptant la loi n°80-538 du 16 juillet 1980 (dite « loi de blocage »),[3] relative à la communication de documents et renseignements à des personnes morales étrangères. La loi de blocage interdit, sous peine de sanctions, la communication à des autorités étrangères d’information ou de documents d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique, notamment dans le cadre d’une discovery qui ne respecterait pas la procédure imposée par la Convention de la Haye.

Tout comme la Convention de la Haye, la loi de blocage est néanmoins restée largement insuffisante en pratique, une seule condamnation connue étant intervenue à ce jour sur son fondement.[4]  La jurisprudence américaine en a conclu que la loi de blocage ne constituait pas une justification valable pour ne pas transmettre les documents exigés au cours de l’instance aux États-Unis.[5]   En Angleterre, la High Court  a exprimé une position similaire, en rejetant le refus de communication opposé par une partie invoquant la loi de blocage au motif que celle-ci n’entraînait qu’un faible risque de condamnation.[6] 

Les entreprises françaises objet d’une procédure de discovery se retrouvent donc dans une impasse : être sanctionné en France pour avoir communiqué des informations « sensibles » ou confidentielles, ou aux États-Unis pour entrave à l’exécution d’une procédure de discovery. À cela s’ajoute les exigences en matière de respect des données privées qui découlent de la transmission de nombreuses informations, puisque la communication imposée par la discovery va parfois nécessiter de transmettre le disque dur ou d’autres données personnelles d’un salarié.[7] 

Les informations et/ou documents transmis par les entreprises françaises aux juridictions étrangères dans le cadre d’une procédure de discovery ne bénéficient pas des mêmes protections qu’en France, tel que notamment le secret bancaire. Il semblerait néanmoins que le juge américain reconnaisse le secret attaché aux correspondances entre l’avocat et son client.[8] 

Afin de protéger au mieux les entreprises, le législateur français a élaboré une proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, notamment en le définissant précisément.[9] Ce texte, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, se trouve cependant bloqué au Sénat depuis le 24 janvier 2012…

La solution viendra peut-être de l’Union Européenne. Fin 2013, une proposition de Directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites[10] a été soumise au Conseil et au Parlement Européen en vue de son adoption. Cette Directive permettrait d’assurer une meilleure protection des secrets d’affaires et des informations commerciales confidentielles et établirait une définition du secret d’affaires applicable à tous les membres de l’Union européenne.

À moins que la solution ne vienne directement des législateurs des pays anglo-saxons, comme en témoigne par exemple la réforme de la procédure de discovery au Royaume-Uni. La constatation que celle-ci était trop coûteuse, chronophage et trop complexe à gérer par la masse d’informations à traiter par les parties a en effet conduit le législateur à renforcer le contrôle du juge sur l’étendue de la divulgation des informations.[11] 
 

Quid de la recherche de preuves en France ?

Nous vous exposerons dans un prochain article la procédure de l’article 145 du Code de procédure civile qui permet la recherche de preuves avant tout procès.


[1] Article 1 Convention internationale de la Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale du 18 mars 1970. [2] Rapport de l’Assemblée Nationale, Bernard Carayon, 11 janvier 2012, n°4159. [3] Cette loi est venue modifier la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères. [4] Cass. crim. 12 décembre 2007, n°07-83228. [5] Société nationale industrielle aérospatiale v. United States District Court, 482 U.S. 522 (1987). [6] National Grid Electricity, High Court of Justice,11 avril 2013. [7] Le conflit de droits entre les règles de e-discovery et le droit européen de la protection des données à caractère personnel…entre le marteau et l’enclume, O. Proust et C. Burton, Lamy droit de l’immatériel, février 2009, n°46. [8] Graco v. Kremlin case in The recognition of foreign privileges in United States Discovery Proceedings, Kurt Riechenberg,  Northwestern Journal of International Law & Business, 1988. [9] Proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires N° 3985. [10] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52013PC0813&from=FR. Lire  également dans La Revue l’article de Stéphanie Faber : Réforme majeure du secret d’affaires en Europe [11] L’introduction au Royaume-Uni des Civil Procedure Rules, entrée en vigueur le 26 avril 1999 a ainsi réformé le régime de la preuve et permet au juge de contrôler d’avantages l’étendue de la divulgation (articles 3.1 Civil Procedure Rules) et suivant.