L’arbitrage est le mode de résolution des litiges privilégié pour solutionner des différends commerciaux internationaux. Or, le coût de ces procédures est de plus en plus élevé, particulièrement pour les PME et TPE, ou encore pour les pays en voie de développement. L’essor du financement de procédures contentieuses par des tiers, et notamment de procédures d’arbitrage, n’est que le reflet des besoins croissants des acteurs du commerce international.

Le financement par des tiers offre une solution à ceux qui, ayant une demande fondée à faire valoir, n’ont pas les moyens suffisants pour financer la procédure, ou ne souhaitent pas compromettre la santé financière de leur entreprise. [1]

Le financement de l’arbitrage par les tiers est un phénomène récent qui devrait se développer, nous dit-on. Alors que Paris est la capitale de l’arbitrage international par excellence, ce processus est encore peu connu en France par rapport aux États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne ou Australie, où il y est fréquemment recouru.

En quoi consiste le financement de l’arbitrage par un tiers ? [2]

Il s’agit d’un procédé par lequel un tiers, qui n’est pas partie au litige, prend en charge une partie ou la totalité du coût de la procédure. En contrepartie, le tiers qui finance se rémunère par un pourcentage sur les dommages et intérêts alloués par la sentence arbitrale.

Dès lors, la rémunération du tiers est conditionnée par une issue favorable de la procédure pour la partie financée, puisqu’elle résulte de la rétrocession d’un pourcentage convenu des résultats escomptés.

Ainsi, le financement par un tiers peut s’analyser en une privatisation de l’accès à la justice. Cette méthode de financement s’est jusqu’à présent révélée profitable tant pour le financeur que pour le financé, qui, en tout état de cause, partagent un dessein commun : celui d’une sentence favorable. L’impécuniosité du demandeur ne sera désormais plus un frein à la poursuite d’une demande recevable devant un tribunal arbitral. Si la fourniture des fonds lui permet d’accéder à la justice, le tiers financeur spécule sur la réalisation d’un investissement lucratif.

En fonction de la juridiction où l’accord est conclu il est possible de recourir à une diversité de financeurs. Il peut s’agir (i) de l’avocat même du client (lorsque ses règles déontologiques le permettent), (ii) une compagnie d’assurance, (iii) une banque ou encore (iv), une société de financement spécialisée.

La prise en charge des frais par un tiers peut intervenir à tout moment de la procédure et s’opère par la conclusion d’un contrat. La partie bénéficiaire des fonds conserve cependant la direction de la procédure d’arbitrage avec ses avocats.

Avant de financer une procédure, ces sociétés effectuent une analyse approfondie des chances de succès au vu des éléments des dossiers qui lui sont soumis. Elles évaluent les risques et les bénéfices potentiels qu’elles peuvent réaliser. Évidemment, ne sont financées que les procédures considérées comme ayant de réelles chances de succès et un bon retour sur investissement.

En revanche, dès lors qu’une prise en charge a été acceptée, l’investisseur assume les risques financiers liés à la procédure. En cas d’insuccès, elle ne peut prétendre à aucune rémunération et perd les fonds investis. Aucune obligation de remboursement n’est mise à la charge de la partie financée.

Le financement par un tiers en France [3]

Rien n’interdit le financement d’une procédure d’arbitrage par un tiers en France. Or, il est peu développé en pratique.

Ceci s’explique notamment par (i) le faible coût d’une action en justice en France par rapport à d’autres pays ; (ii) la disponibilité de diverses aides et assurances juridictionnelles ; (iii) l’interdiction des punitive damages ou encore, (iv) l’interdiction des pactes quota litis (honoraires déterminés uniquement en fonction du résultat d’une action).

A ce jour, il n’est fait état que d’une seule instance en France dans laquelle une Cour d’appel a été confronté à un tel mécanisme.

En 2006, la Cour d’appel de Versailles a eu à connaitre d’un contrat de financement de procès dans le cadre d’un arbitrage international. [4] Il s’agissait d’une société de droit australien, spécialisée dans le traitement de déchets, ayant initié une procédure d’arbitrage à l’encontre d’une société française à la suite de l’échec d’un projet de construction.

La société australienne avait conclu au préalable un contrat de financement intitulé « offer to secure the financing of litigation costs in exchange for an interest in the proceeds » avec une société de financement de droit allemand. Ce contrat était destiné à assurer le financement des frais de l’arbitrage en contrepartie d’une part sur les bénéfices du procès en cas de succès.

Le tribunal arbitral a rejeté les demandes de la société australienne et l’a condamné à rembourser les frais de procédure à la société française. La société de financement allemande a refusé de verser le montant auquel son partenaire australien a été condamné.

En première instance, le Tribunal de commerce a reconnu la validité du contrat de financement et a condamné la société allemande au paiement des sommes dues au titre de ce contrat. En appel, la Cour d’appel de Versailles a décliné la compétence juridictionnelle des tribunaux français, et ne s’est donc pas prononcée sur la validité du contrat de financement. En revanche, les juges ont souligné que « le contrat de financement de procès est sui generis et inconnu des États membres de l’Union à l’exception des pays de culture juridique germanique » et que le profit tiré de ce contrat « comporte un élément d’aléa essentiel ». [5]  Dans ce cas, selon les règles de droit international privé, le juge doit analyser la nature du contrat ou institution inconnue en droit français et essayer de l’adapter à un contrat ou institution existant dans notre système juridique. On reste sur sa faim…

Par ailleurs, un des principaux freins au développement du financement de l’arbitrage par les tiers en France découle de l’incompatibilité du procédé lui-même avec les règles déontologiques de la profession d’avocat. [6]

Ainsi, en France, et ce contrairement aux règles applicables aux États-Unis par exemple, il est fait interdiction à l’avocat d’être rémunéré intégralement par un honoraire de résultat. En France, l’avocat (ou son cabinet) ne peut donc pas prendre en charge les frais liés à l’arbitrage et se rémunérer exclusivement par un pourcentage du résultat escompté. Les honoraires d’avocat comprennent nécessairement une rémunération fixe pour les services rendus et ce indépendamment du résultat de la procédure. Il est cependant possible de fixer une rémunération variable au-delà de l’honoraire fixe.
Conformément au Règlement Intérieur National [7], un avocat ne peut percevoir de paiement que de son client ou d’un mandataire dûment désigné par celui-ci. Dès lors, en pratique, le tiers qui finance une procédure d’arbitrage en France doit livrer les sommes au client (partie à l’arbitrage) qui se chargera ensuite de payer les honoraires de ses avocats.

En outre, au moment de conclure un contrat de financement d’une procédure, la partie financée devra remettre à la société de financement des documents et informations confidentiels ou soumis au secret professionnel, afin que cette dernière puisse déterminer  les chances de succès de la demande. En France, le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public et ne peut être levé. [8] Ainsi, la gestion de la transmission d’informations à la société de financement devra être assumée directement par la société financée, qui devra adopter une approche particulièrement prudente.

Il n’y a aucune loi qui remet en question la validité d’un contrat de financement par un tiers ou qui interdit à un avocat de représenter un client qui en bénéficie dans le cadre d’un arbitrage international, sous réserve du respect des règles déontologiques, et que le contrat ait été valablement formé et ne contrevienne pas à l’ordre public.

Ces règles déontologiques ne sont applicables qu’aux avocats français. Les avocats étrangers qui représentent des clients dans une procédure d’arbitrage international en France n’y sont pas soumis.

Autres problématiques

Puisque le financement par tiers est une pratique récente et en plein essor, nous dit-on, d’autres problématiques se posent et restent sans réponses à ce jour. Ces risques potentiels, aussi bien que les bénéfices, intéressent les acteurs de la communauté de l’arbitrage international.

L’une des principales inquiétudes résulte de la divulgation d’informations et de documents confidentiels au tiers, que ce soit lors de la due diligence antérieure à la conclusion du contrat de financement, ou au cours de la procédure. Bien que des accords spécifiques de confidentialité soient conclus, c’est un risque que le client doit considérer au moment de recourir au financement par un tiers.

La société de financement, si elle n’acquiert pas les droits de la partie à l’arbitrage pourra en revanche, du fait de l’importance de l’enjeu financier, avoir tendance à s’immiscer dans la procédure. Cette ingérence, qu’elle soit directe ou indirecte, risque de créer des conflits d’intérêts, comme dans les cas où assureur et assuré sont impliqués dans la même procédure judiciaire et représentés par le même avocat.

Parce qu’il apporte les fonds nécessaires au financement de la procédure, le tiers acquiert un intérêt dans son issue. Ainsi, il existe un risque non négligeable qu’il cherche à s’immiscer dans la procédure afin de garder le contrôle sur son investissement, et ce, potentiellement en contradiction avec les intérêts de la partie financée. [9] C’est pourquoi, lors de la conclusion du contrat il convient de déterminer précisément les droits et obligations de chacun.

La divulgation ou non au tribunal arbitral et/ou à la partie adverse de l’accord de financement est une question ouverte.

Conclusion provisoire

Le financement de l’arbitrage par les tiers est en développement, même en France où il reste encore peu usité. Or, dans le cadre juridique actuel, au vu du développement et du succès de l’arbitrage en France, le recours au financement par des tiers devrait y connaitre un certain essor.
Bien qu’il implique des risques, y compris celui de faire de la justice un outil de spéculation, le financement par les tiers offre une réelle opportunité aux parties impécunieuses, soucieuses de faire valoir des demandes fondées et aux parties qui souhaitent préserver la santé financière de leur entreprise.

 


[1]  F-X. Train, « Impécuniosité et accès à la justice dans l’arbitrage international à propos de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 novembre 2011 dans l’affaire LP c/ Pirelli », (2012) 2 Revue de l’Arbitrage, pp. 267 – 305 ; R. Harfouche, J. Searby, « Third-Party Funding: Incentives and Outcomes », Global Arbitration Review, 2013 ; « Costs and third-party funding in international arbitration », Global Arbitration review, 27 avril 2010, Volume 5, Issue 2.
[2]  Pour une analyse complète voir L. Bench Nieuwveld, V. Shannon (Eds), « Third-party funding in international arbitration », Kluwer arbitration, 2012.
[3] L. Bench Nieuwveld, V. Shannon (Eds), « Third-party funding in international arbitration », Kluwer arbitration, 2012 ; P. Pinsolle, « Le financement de l’arbitrage par les tiers », (2011) 2 Revue de l’arbitrage, pp 385-414 ; M. de Fontmichel, « Les sociétés de financement de procès dans le paysage juridique français », (2012) Revue des sociétés, p 279 ; Global Arbitration review, « Third Part Funding – Case notes on third-party », 1 février 2008, Volume 3, Issue 1.
[4] CA Versailles, 1 juin 2006, No 05/01038.
[5] CA Versailles, 1 juin 2006, No 05/01038.
[6] Loi n° 71-1130 of 31 décembre 1971, Article 10 ; et Règlement Intérieur National, Article 11.3.
[7] Règlement Intérieur National, Article 11.3.
[8] Règlement Intérieur National, Article 2.
[9] Voir E. Bertrand, “The Brave New World of Arbitration : Third-Party Funding”, (2011) 3 ASA Bulletin, pp 607-6015; L. Bench Nieuwveld, V. Shannon (Eds), “Third-party funding in international arbitration”, Kluwer arbitration, 2012; Kantor, “Third-Party Funding in International Arbitration: An Essay About New Developments”, (2009) 24(1) ICSID Review 65.