On se souvient du formidable film danois « Le Festin de Babette », basé sur une nouvelle de Karen Blixen, qui obtint en 1988 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Le Festin de Babette dépeint une femme (remarquablement interprétée par Stéphane Audran) qui, à la fin du XIXème siècle, a fui Paris et la Commune pour se retrouver dans un petit village danois dirigé par un pasteur luthérien. Elle est engagée comme servante par les deux filles du pasteur qui n’ont pas vraiment les moyens de s’offrir ses services mais comprennent que Babette n’a nulle part où aller. Le seul lien que Babette conserve avec Paris est un billet de loterie. Quinze ans plus tard, elle gagne le gros lot et décide d’offrir un dîner à ceux qui l’ont accueillie. L’invitation est reçue avec une certaine réticence dans cette communauté très religieuse mais la splendeur des mets et des vins gagnera le cœur des invités, en particulier celui d’un général qui racontera que la dernière fois qu’il a dégusté un tel repas, c’était dans un restaurant parisien, « Le Café Anglais », où œuvrait une célèbre cuisinière disparue depuis…

Indications géographiques

Les huîtres

Le réveillon français traditionnel commence généralement par des huîtres, qui sont consommées crues et vivantes – le meilleur moyen de s’assurer qu’elles sont fraîches et ne vont pas vous intoxiquer. Certains ont un peu de mal à accepter que l’on puisse manger un animal vivant mais les français ne sont pas les seuls. Au Japon, l’autre pays de la gastronomie, on mange des petits poissons vivants. Au moins, les huîtres ne remuent pas…

En France, les huîtres sont élevées dans plusieurs régions de la côte atlantique et aussi, dans une moindre mesure, de la côte méditerranéenne, mais l’une des zones de production les plus connues est celle de Marennes-Oléron. La qualité de ces huîtres étant reconnue depuis longtemps, les producteurs ont ressenti le besoin d’obtenir une certaine forme de protection juridique et Marennes-Oléron est la seule indication géographique protégée pour les huîtres françaises.

Les indications géographiques établissent des droits de propriété intellectuelle pour les produits dont les qualités sont spécifiquement liées à une certaine zone de production. Il existe trois types d’indications géographiques, l’Appellation d’Origine Protégée (AOP), l’Indication Géographique Protégée (IGP) et l’Indication Géographique (IG).

« Huîtres Marennes Oléron » est une Indication Géographique Protégée. Pour bénéficier de cette indication, les huîtres doivent être produites et conditionnées dans une certaine zone (l’île d’Oléron et la zone autour de Marennes) et doivent être élevées en « claires » et non en pleine mer.

En 1970, les huîtres françaises ont été décimées par une maladie mais les producteurs ont pu reprendre leur activité avec des huîtres mères venues du Japon. Ce qui signifie que toutes les huîtres de Marennes-Oléron que nous mangeons aujourd’hui sont, en fait, japonaises.

La production d’huîtres est traditionnelle mais la science moderne a tout de même son rôle à jouer. Une grande partie des huîtres que l’on trouve actuellement sur le marché français sont des « triploïdes », avec plus de chromosomes que ceux des huîtres naturelles ce qui les rend stériles. Cette stérilité leur permet de grandir plus vite et d’être consommées toute l’année. En revanche, les huîtres naturelles se reproduisent en été et produisent alors une laitance qui les rend peu attrayantes pour de nombreux consommateurs. Ces procédés de production (qui ne sont pas techniquement des modifications génétiques puisqu’il n’y a pas d’ajout de nouveaux gènes) peuvent bien sûr être brevetés et l’institut de recherche Ifremer a déposé des brevets en 1995 et 2007.

Le foie gras

Lors du réveillon, après avoir mangé les huîtres, vous dégusterez probablement du foie gras de canard. Le foie gras est produit dans plusieurs régions de France mais les producteurs du Sud-Ouest ont réussi à obtenir une Indication Géographique Protégée (IGP). Il existe une liste détaillée des conditions à remplir pour qu’un foie gras puisse se prévaloir de l’appellation « Foie gras du Sud-Ouest ». Tout d’abord, il doit bien sûr être produit dans une zone géographique spécifique. En outre, le canard doit être issu d’un canard mâle appartenant à l’une des deux espèces autorisées, le colvert et le mallard et être gavé au maïs pendant une période de temps très précise.

Le plat principal – Impressionnez vos invités avec une recette brevetée

La cuisine est un art et les artistes bénéficient de la protection du droit d’auteur. Les chefs cuisiniers peuvent-ils bénéficier d’un droit de propriété intellectuelle ?

Le droit d’auteur n’est pas la protection la plus efficace. Si un livre de cuisine peut bien sûr être protégé par le droit d’auteur, il existe de nombreuses façons de décrire la manière de préparer un plat et la recette elle-même est considérée comme une technique. Certains chefs ont donc essayé d’obtenir une protection par brevet. Comme pour toute invention brevetable, la recette devra être nouvelle et résoudre un problème technique.

Si vous voulez impressionner vos invités, pourquoi ne pas essayer l’une des quatre recettes brevetées par le plus étoilé des chefs français, Joël Robuchon ? Vous pourrez servir, au choix, une papillotte de pigeon et foie gras au chou vert , une soupe de laitue maraîchère à la crème d’oignons, une soupe chaude de foie gras à la gelée de poule ou bien un plat  à base de sandre et de saumon. Et vous pourrez suivre ces recettes sans crainte de poursuites en contrefaçon puisque les quatre brevets ont expiré il y a plusieurs années.

N’oubliez pas le fromage !

Le Général De Gaulle s’est un jour plaint de l’impossibilité de gouverner un pays qui compte 365 fromages. Le fromage a bien sûr toute sa place sur la table du réveillon. On sait que chaque fromage exprime le meilleur de lui-même pendant une période précise de l’année. Pour le réveillon, nous recommandons le brie farcie aux truffes ou le Mont d’Or. Le brie de Meaux, le brie de Melun et le Mont d’Or sont des Appellations d’Origine Contrôlée.

Pour finir en beauté: champagne et feu d’artifice

Traditionnellement, les Français boivent du champagne à minuit en admirant le feu d’artifice. Là encore, la propriété intellectuelle peut avoir son mot à dire.

La dénomination « Champagne » est une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) et les producteurs de champagne s’attachent à la faire respecter. Ainsi, lorsque Yves Saint-Laurent a lancé un nouveau parfum nommé Champagne en 1993, ils n’ont pas apprécié et ont obtenu une décision de la Cour d’appel de Paris, qui a estimé qu’Yves Saint-Laurent tentait de tirer profit de la réputation et de l’image du Champagne (Cour d’appel de Paris, 15 décembre 1993, n° 93/25039). Ce parfum est encore vendu aujourd’hui sous le joli nom d’Yvresse.

Enfin, si le feu d’artifice que vous admirerez en sirotant votre champagne vous paraît particulièrement sophistiqué, peut-être s’agit-il d’une création originale susceptible d’être protégée par le droit d’auteur.

Si l’on en croit nos amis anglais, à la fin de la pandémie, la moitié de la population sera alcoolique et les autres seront devenus de fins cuisiniers. Quoi qu’il en soit, nous vous souhaitons une très heureuse année 2021 !

Cet article a été publié en anglais le 30 décembre 2020
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