En 1235, à Kurukanfuga dans le cercle de Kangaba au Mali, situé à 90 Km de Bamako, l’Empereur du Mali, Soudjata réunit les différents rois et chefs de provinces afin de définir les règles fondamentales de son empire. Kurukanfuga est un site touristique du Mali. Il suscite actuellement des intérêts historiques et culturels comme en témoignent les rencontres et forums internationaux qu’il a abrité ces dix dernières années. Récemment, il a été classé au patrimoine culturel national.
« Chacun a droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique », « il y a cinq façons d’acquérir la propriété: l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession ». Tels sont les termes de la charte de Kuruganfuga. Tout y est affirmé avec une précision et une concision surprenante. Les dispositions portent sur le droit de la propriété, le droit pénal, le droit de la famille, le droit civil, et même le droit constitutionnel…
Alors que certains articles paraissent archaïques, d’autres contiennent des principes fondamentaux, encore d’actualité aujourd’hui. Il s’agit d’un véritable code juridique des droits et libertés privées et publiques régissant notamment les rapports entre les membres de la communauté, au sein d’un vaste espace qui pourrait rivaliser avec les Etats fédéraux modernes.
Cette charte, tout en prévoyant l’organisation sociale, enseigne notamment la tolérance « ne faites jamais de tort aux étrangers », la fraternité « venons en aide à ceux qui en ont besoin » et le respect ainsi que la place faite aux femmes et la promotion de leurs droits. « N’offensez jamais les femmes, nos mères », « les femmes en plus de leurs occupations quotidiennes doivent être associées à tous nos gouvernements ».
Cette charte orale, datant du Moyen Âge, démontre parfaitement que la pensée juridique africaine a un caractère humaniste et protecteur des droits sociaux et politiques des femmes et révèle également toute la prématurité de l’esprit démocratique existant au sein des sociétés de l’ouest Africain au 13ème siècle. Il a été transmis à l’oral, par « les maîtres de la parole », les « griots » (caste spécialisée dans la conservation et la transmission de la mémoire d’une société tant dans ses aspects historiques que culturels).
La tradition orale explique que cette charte est inconnue en dehors de l’Afrique. Toutefois, une analyse de ses articles et des sources concordantes laissent à croire qu’elle est d’inspiration religieuse et empreinte des influences et croyances et coutumes rapportées de l’Egypte ancienne ou de l’empire du Ghana (IXe et Xe siècle), en tout cas, elle serait le résultat condensé de l’essentiel des valeurs sociétales de cet ensemble historique et géographique.
Elle a fait l’objet d’une retranscription écrite en 1998 (cf. www.afrika.com) grâce aux griots de la Ville de Kankan (Guinée) lors d’une soirée culturelle faisant suite à la rencontre organisée par le Centre d’études linguistiques et historiques par tradition orale (CELHTO), ainsi que Intermédia Consultants, société de droit sénégalais, et regroupant des traditionnistes mandingues du Burkina-Faso, de Guinée, du Mali et du Sénégal.
Ce texte de 44 articles est un « trésor vivant » pour l’Afrique (cf. L’article « Résolution traditionnelle des conflits au Mali »). Elle a été proclamée au Moyen Âge, plus de cinq siècles avant la déclaration universelle des droits de l’homme (1789), une vingtaine d’années seulement après la Charte des libertés d’Angleterre (1215) et plus de cinq siècles avant la déclaration des droits aux Etats-Unis (1787).
Cette Charte a été précédée par celle du Manden (cf. ci-dessous) qui abolissait l’esclavage pour la première fois dans l’histoire du monde. Certains ethnologues conviennent à dire qu’elle constitue une avancée notoire car, contrairement à celle de Kurukanfuga, elle avait pour objet de régir le Mali alors qu’il n’était encore qu’un royaume, puisqu’elle fût proclamée dès l’intronisation de Soundjata en 1222 et ceci bien avant toutes les déclarations d’abolition et anti-esclavagiste connues de nos jours.
Quant à la Charte de Kurukanfuga, des controverses subsistent entre les ethnologues quant à ses positions sur le statut de l’esclave qu’elle maintient selon certains ; d’autres sources considèrent qu’elle entame une abolition de l’esclavage en maintenant des brigades anti-esclavagistes issues de la charte du Manden.
Pour apporter une piste de réflexion à ce débat, notons que Kurukanfuga a introduit une égalité entre le temps de travail de l’esclave et celui des hommes libres en lui octroyant un jour de repos par semaine de même qu’elle lui reconnaît le droit à la propriété à travers le distinguo entre l’esclave et son bien : « On est maitre de l’esclave et non du sac qu’il porte » .
Par ce nouveau statut de l’esclave, on perçoit, sans s’opposer à ceux qui soutiennent que la charte ne mentionne pas expressément l’abolition de l’esclavage , qu’elle tend vers l’abolition. Il faut garder à l’esprit que la charte de Kurukanfuga reste, comme toute constitution politique, un instrument permettant de concilier des intérêts divergents et de gouverner des royaumes signataires, tous esclavagistes à l’exception du Manden. Ainsi, la volonté politique sous-jacente vise à une évolution progressive consensuelle des droits de l’esclave sans créer des conflits d’intérêts faisant échouer ce projet de constituer un vaste ensemble durable. Ceci est démontré par la survivance de la charte huit siècles après dans la plupart des pays de l’Afrique occidentale.
La charte de Kurukanfuga a servi de critère prépondérant dans le choix le Mali comme pays devant présider la Communauté des Démocraties, de 2005 à 2007, devant l’Afrique du sud. « Cette distinction portée sur le Mali est notamment du, selon le rapport de la présidence malienne, par le passé d’un pays qui s’est doté d’une charte de gouvernement en 1236 à Kurukanfuga, avant l’ère des constitutions modernes. » ( Le Républicain – quotidien malien – du 06/07/2009)
Enfin, Kurukanfuga s’impose à travers sa Charte comme un « fossile juridique », d’une valeur sans égale, redonnant, à l’Afrique, toute sa place dans l’émergence et la construction de la conscience juridique universelle.
Charte du Manden
Les chasseurs déclarent : […]
L’esclavage n’est pas non plus une bonne chose ;
Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là,
Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour y prélever des esclaves ;
C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable
Pour allez le vendre ;
Personne ne sera non plus battu,
A fortiori mis à mort,
Parce qu’il est fils d’esclave.
L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
"D’un mur à l’autre", d’une frontière à l’autre du Manden ;
La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.