Projet après projet, il a été envisagé d’introduire en droit français le principe dit de « mitigation of loss », principe né dans les pays anglo-saxons et selon lequel un juge pouvait limiter le montant des dommages et intérêts alloués à une personne si celle-ci a aggravé son dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de le limiter.
On se souviendra ainsi de deux projets essentiels :
– le projet Catala prévoyait en son article 1373 un principe selon lequel « lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, de réduire l’étendue de son préjudice ou d’en éviter l’aggravation, il sera tenu compte de son abstention par une réduction de son indemnisation, sauf lorsque les mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique » ;
– le projet Terré proposait d’introduire la disposition suivante : « sauf en cas d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne, le juge pourra réduire les dommages et intérêts lorsque le demandeur n’aura pas pris les mesures sûres et raisonnables propres à limiter son préjudice ».
La différence entre ces deux projets était subtile : alors que le projet Terré se limitait à la non-aggravation du préjudice, le projet Catala envisageait d’imposer le principe de réduction de son préjudice.
Le 29 avril 2016, le Garde des Sceaux a rendu public un avant-projet de réforme du droit de la responsabilité, soumis à une consultation publique de 3 mois. Parmi les articles marquants de cet avant-projet, figure l’article 1263 qui consacre le principe de non-aggravation du dommage dans les termes suivants : « En matière contractuelle, le juge peut réduire les dommages et intérêts lorsque la victime n’a pas pris les mesures sûres et raisonnables, notamment au regard de ses facultés contributives, propres à éviter l’aggravation de son préjudice ».
L’introduction de cette disposition répond manifestement à plusieurs objectifs : d’une part, un alignement du droit français sur d’autres systèmes juridiques proches, notamment de l’Union européenne, d’autre part, elle s’inscrit dans le devoir de loyauté envisagée à l’article 1383 de l’avant-projet de réforme.
Cet « alignement » n’est toutefois que partiel puisque le principe de non-aggravation du dommage est limitée à la matière contractuelle et ne s’étendra donc pas à la matière délictuelle.
Les contours de ce principe devront toutefois être précisés, notamment :
– la notion de « mesures sûres et raisonnables » sera certainement appréhendée de manière éminemment casuistique par les magistrats ou par les experts judiciaires qui pourraient être éventuellement saisies de cette question de ce qu’auraient été ou seraient de telles mesures ;
– l’équation entre (i) la réduction des dommages et intérêts, (ii) les facultés contributives et (iii) la non-aggravation du préjudice devra être maniée avec beaucoup de dextérité pour que le principe de proportionnalité soit également respecté ;
– enfin, face à plusieurs types de préjudices, il conviendra alors selon nous d’envisager toute réduction poste de préjudice par poste de préjudice.
De manière plus générale, la mise en œuvre de cette disposition restera très casuistique.
L’introduction du principe de non-aggravation du préjudice mérite selon nous d’être saluée tant du point de vue de l’harmonisation de notre droit par comparaison avec d’autres systèmes et dans un objectif de compétitivité de la place de Paris que s’agissant d’une forme de moralisation des rapports contractuels.
En toute hypothèse, cette nouvelle disposition, si elle entre en vigueur, ouvrira un champ des possibles infini quant à son application par les juridictions. De belles décisions en perspective donc…
Contact : stephanie.simon@squirepb.com