Alors que certains ne cachent pas leur joie, nous rappelons l’historique de l’application de cet article (ce qui a de quoi rendre optimiste), mais aussi le contexte particulier de cette décision (ce qui oblige à une certaine prudence !)

Le formalisme rigoureux et général du Code

Le législateur français a instauré depuis longtemps une série de règles d’ordre public en vue de protéger l’auteur, considéré a priori comme faible, contre les exploitants (souvent des intermédiaires bien nécessaires) de ces œuvres. C’est ainsi que le Code de la propriété intellectuelle (CPI) impose un certain formalisme à toute cession de droits patrimoniaux (art. L131-2, L.131-3 et L.131-6), prohibe la cession globale d’œuvres futures (art. L.131-1) ou encore fait de la rémunération proportionnelle le principe et du forfait l’exception.

L’article L.131-3 exige que « la transmission des droits de l’auteur » énumère explicitement la nature des droits cédés et exprime la détermination du domaine d’exploitation quant à son étendue, sa destination et son application spatiale et temporelle.

Les clauses de cession de droits rédigées de telle sorte à minimiser tout risque de remise en question sont donc devenues de plus en plus longues et fastidieuses notamment dans les contrats de commande ou de travail. Le rédacteur doit en effet au moins envisager (i) la liste des œuvres cédées, (ii) la nature de chacun des droits cédés (droit de reproduction, représentation au public, adaptation, traduction, commercialisation…), (iii) la définition précise du domaine d’application dont bénéficie le cessionnaire (cession exclusive, durée, espace concerné, supports concernés -prévisibles ou non-) (iv) le moment de la cession et (v) la contrepartie et le mode de détermination de la rémunération. L’article L.131-3 ne requiert pas que la cession soit rédigée par écrit, mais en l’absence d’écrit, comment prouver le respect de ces obligations ?

Enfin, pour achever la présentation sommaire de ces dispositions légales, il convient de préciser qu’elles figurent toutes dans un chapitre intitulé « Dispositions générales » du CPI qui précède un chapitre « dispositions particulières à certains contrats ». Pas de doute donc, ces prescriptions s’appliquent à tous. Elles constituent le socle de la protection de l’auteur par le formalisme sur lequel des dispositions encore plus rigoureuses peuvent s’ajouter pour certains contrats seulement.

Le formalisme exclu en l’absence de l’auteur

La jurisprudence semble avoir montré depuis plusieurs années une nette volonté d’assouplir le formalisme des cessions de droits en écartant l’application de l’article L.131-3 dans certaines situations puis en reconnaissant la possibilité de cessions implicites.

En premier lieu, la Cour de cassation considère depuis 1993 que l’article L.131-3 du CPI ne régit que « les seuls contrats consentis par l’auteur dans l’exercice de son droit d’exploitation, et non ceux que peuvent conclure les cessionnaires avec des sous-traitants ». Exit donc le formalisme de l’article L.131-3 quand l’auteur n’est pas lui-même et directement partie au contrat de cession. Cette solution a de quoi étonner car rien dans le texte de la loi ne permet de justifier une telle restriction de son champ d’application. En fait, il faut retrouver l’esprit de la loi : contrecarrer la faiblesse de l’auteur par des dispositions protectrices à son égard.

« Cessante ratione legis, cessant ejus dispositio » (la loi n’a pas lieu d’être appliquée lorsque disparaît sa raison d’être) dit l’adage latin. Ainsi, une disposition légale conçue pour protéger une personne physique réputée en état de faiblesse n’a pas à régir les relations commerciales entre deux sociétés commerciales.

Le formalisme exclu dans les arts appliqués ?

La jurisprudence a également écarté l’application de l’article L.131-3 lorsque la logique industrielle primait sur la création artistique. Ainsi, la cour d’appel d’Angers a, en 2001, jugé que « les dessins, graphismes et découpes de [la société en charge de cette mission par contrat], qui entrent dans la phase de conception qu’elle a elle-même définie, constituent des œuvres de l’esprit (…) et sont sa propriété. L’article L.122-7 [du CPI] en permet la cession totale du droit de reproduction, et la preuve d’une telle cession peut se faire par tout moyen en matière commerciale » .

Comme le relève un auteur, « il peut sembler, en effet, incohérent que des solutions élaborées en contemplation de l’art pur régissent des relations d’entreprise dans le domaine des arts appliqués » . Dès lors, si le formalisme de l’article L.131-3 n’est plus exigé, c’est l’ensemble du contexte, les termes du contrat et le comportement (si possible persistant) des parties, qui permettront au juge de déterminer si oui ou non, cession de droits il y a eu.

Grandeur et décadence de l’article L.131-3 du CPI

Le 21 novembre dernier, la Cour de cassation est venue enfoncer un peu plus le clou. L’affaire concernait un créateur de mode, salarié et associé d’une petite entreprise dont il avait été licencié. Ce créateur a assigné en contrefaçon son ex-associé pour avoir exploité ses modèles sans son autorisation expresse. La cour d’appel de Paris avait rejeté l’argumentation de l’auteur et estimé que l’article L.131-2 du CPI imposait que la cession des droits fasse l’objet d’un écrit uniquement dans les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle et qu’ainsi la cession du droit d’auteur sur un modèle n’était soumise à aucune exigence de forme.

La Cour de cassation confirme cette approche. En fait, elle va même plus loin tant ces termes sont rédigés de manière générale : « Attendu qu’après avoir justement énoncé que les dispositions de l’article L.131-3 du CPI, que ne visent que les seuls contrats énumérés à l’article L.131-2 (…), ne s’appliquaient pas aux autres contrats, la cour d’appel a pu jugé que la cession d’exploitation sur des modèles n’étaient soumise à aucune exigence de forme (…) ».

Voilà comment un article de loi qu’aucune disposition ne vient restreindre dans son champ d’application (au contraire, nous avons relevé que cet article figurait à titre de « disposition générale ») trouve sa portée considérablement amoindrie.

En l’espèce, le salarié s’était associé à un investisseur au sein d’une société commerciale « dans le cadre d’un projet de partenariat ambitieux » et « à seule fin d’exploiter ses créations ». Dans ces circonstances, les juges du fond ont pu déduire une cession des droits d’exploitation, ce que confirme la Cour de cassation.

La prudence reste de mise…

Si la portée de l’article L.131-3 du CPI et l’exigence de formalisme dans les cessions de droits ont été régulièrement rognées, la prudence semble devoir être néanmoins de mise.
Soulignons que l’arrêt du 21 novembre 2006 n’a pas vocation, semble-t-il, à être publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ce qui laisse penser que la Cour le considère moins comme une décision de principe que comme une décision d’espèce.

Par ailleurs les décisions de justice appliquant strictement l’article L.131-3 y compris dans les domaines les plus caractéristiques des arts appliqués sont nombreuses. La cour d’appel de Paris a ainsi récemment rappelé les termes de l’article L.131-3 en matière de cession de droits sur un logiciel .

Enfin, il est souvent difficile de savoir de manière certaine et par avance si la cession de droits envisagée interviendra dans le domaine de l’art pur ou de l’art appliqué, et si l’auteur cédant doit être considérée comme réputé faible ou non. Ainsi, les clauses à rallonge dans les contrats de travail ne devraient pas disparaître de si tôt…