« J’ai foulé la terre de mon royaume d’enfance » écrit Alain Mabanckou (né en 1966) dans Lumières de Pointe-Noire[1] où il relate le voyage qu’il a effectué au pays qui l’a vu grandir, vingt-trois ans après qu’il l’a quitté pour faire ses études de droit en France. Le lecteur feuillette l’album de famille au fil du récit car de nombreuses photos personnelles illustrent le texte et la proximité qui en résulte est tout simplement bouleversante. Cette vertu de partage faite de sincérité et de simplicité est chose rare tant l’autofiction toujours à la mode aujourd’hui a pu conduire à des excès où explosent l’impudeur et l’esbroufe. On découvre bien évidemment une civilisation très particulière où le tribalisme reste vivant et les langues multiples, où la polygamie crée des familles ramifiées ou hasardeuses, où les croyances les plus variées et les moins rationnelles se développent en animisme, féticheurs, grigris et autres superstitions. Au milieu d’une riche galerie de personnages hauts en couleurs se détachent deux portraits particulièrement touchants, celui de la mère de l’auteur et celui de son père nourricier.
Dès lors que l’on aura fait connaissance avec un peu tout le monde, on les retrouvera comme des familiers dans Demain j’aurai vingt ans[2], une véritable autobiographie que le narrateur entame dès son plus jeune âge avec cette fois toutes les interrogations, les mystères, les découvertes et les fascinations qui caractérisent ces années. Le régime politique, le système scolaire et la vie sociale des années 70-80 au Congo-Brazzaville constituent un arrière-plan de grand intérêt et l’émotion reste intacte lorsque réapparaît la figure lumineuse de la mère, abandonnée par le géniteur de l’enfant et dès lors devenue incapable de procréer encore. Hommage est rendu à la langue française dans laquelle s’exprime l’auteur à travers par exemple la figure idolâtrée de Georges Brassens.
Dans Black Bazar[3], œuvre de fiction, c’est à Paris que l’on retrouve des héros africains d’origines diverses mais qui partagent le souci de l’élégance vestimentaire; il y a aussi parmi eux un apprenti-écrivain… Leur regard aiguisé, sans méchanceté toutefois, décèle ici ou là les petits ou grands travers de la société française mais le vrai raciste est un Martiniquais bon teint… L’humour est dans ces menues choses-là et dans une langue savoureuse et spirituelle. Cependant la gravité n’est jamais loin.
Le dernier titre paru, Petit Piment[4], onzième roman d’Alain Mabanckou marque un retour à Pointe-Noire. Il reprend ou transpose des éléments racontés précédemment : rivalités ethniques et jeux de pouvoir, éducation idéologique des Pionniers de la Révolution socialiste scientifique (sic!), polygamie, corruption, une œuvre plus politique certes mais néanmoins vigoureusement romanesque.
C’est un horizon nouveau que dessine cet écrivain franco-congolais, apportant à la littérature francophone un regard lucide et généreux sur un continent qu’il a quitté, sans cesser de le faire vivre dans ses œuvres.
[1] Seuil 2013, 304 p. + Points 2014, 247 p. [2] Gallimard 2010, 384 p. + Folio 2012, 416 p. [3] Seuil 2009, 246 p. + Points 2010, 264 p. [4] Seuil 2015, 288 p.