Lorsque paraît, en 2006, Tout le monde s’en va (Stock 2008 et Le Livre de Poche), Wendy Guerra a trente-six ans et réside à Cuba. Placé sous le signe d’Anne Frank, citée en épigraphe, le roman comporte un Journal d’enfance portant les dates de 1978 à 1980 et un Journal d’adolescence daté 1986-1990.

L’enfant est confiée à son père alcoolique et brutal sur la décision d’un juge suite à un procès pour immoralité contre le compagnon de sa mère, un ingénieur suédois, adepte malvenu de naturisme. Par-delà l’évocation d’une enfance meurtrie faite de privations et de sévices, c’est la peinture d’un milieu d’artistes et d’intellectuels – la mère, de santé fragile, est journaliste à la radio – tantôt privilégiés, tantôt cibles d’un régime révolutionnaire dictatorial. L’adolescente est admise à l’École Nationale d’Art : elle découvre les difficultés de la création, la pénible formation militaire, les premiers amants. On croise Fidel et le Che. Images colorées et multiples d’élites choyées ou honnies dont beaucoup sont tentées par la fuite, quand d’autres, à l’instar de notre auteure, restent.

Mère Cuba (Stock 2009), le deuxième roman de Wendy Guerra, est une œuvre composite, un kaléidoscope de genres littéraires où alternent lettres, journaux, pièces radiophoniques, coupures de presse jusqu’à un roman dans le roman, en l’occurrence Le livre de ma mère que cette dernière a consacré à Célia Sanchez, une amie très proche de Fidel et dont l’histoire est très attachante.

La narratrice voit son émission de radio de la nuit, d’une rare virulence critique, censurée par les autorités. Dès lors, elle s’emploiera à retrouver la trace d’une mère enfuie à Paris puis à Moscou. Elle ramène à Cuba une malheureuse atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui choisira la mort. Le père de l’héroïne, un cinéaste dissident, meurt également alors que des hommages officiels l’ont déjà enterré de son vivant. Dans une écriture ardente et parfois baroque, l’écrivaine présente une couche sociale qu’elle connaît trop bien : la sienne, dans laquelle les passions, et d’abord celle de la liberté de créer se déchaînent d’autant plus qu’un système tente de les brider. Sous la fiction, on devine des traits d’une autobiographie déguisée.

On distingue tout aussi bien ce qui pousse Wendy Guerra à choisir pour son dernier opus : Poser nue à La Havane (Stock 2010), la figure célèbre d’Anaïs Nin. L’auteure d’un Journal universellement connu et qui fut l’œuvre de sa vie a en effet des racines cubaines. Le voyage qu’elle raconte doit bien plus à l’imagination débridée de la « biographe » qu’aux témoignages – rares mais touchants – de l’intéressée. Il est vrai que, éloignées dans le temps, tout rapproche pourtant ces deux femmes qui sont aussi deux artistes.

Ces trois premiers ouvrages où s’affirme chaque fois davantage une écriture originale et dans lesquels vivent les réalités contrastées et contradictoires d’un pays suspendu disent suffisamment qu’il faut compter dans la déjà riche littérature cubaine avec la voix de Wendy Guerra.