Le régime des acteurs du Web est défini dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (ou « LCEN ») du 21 juin 2004 et date de 2000 (il était auparavant intégré à la loi sur l’audiovisuel). Il sent donc bon le « Web 1.0 », ce Web dans lequel l’internaute était un consommateur passif du contenu qu’il allait chercher.
La loi prévoit trois régimes de responsabilité : un pour les fournisseurs d’accès, un pour les hébergeurs qui fournissent les serveurs « ouverts » dans lesquels sont stockés les contenus, et un pour les éditeurs de ces contenus qui en sont l’auteur et/ou ont décidé de le mettre en ligne. En principe, lorsqu’un contenu illicite est présent sur un site Web, c’est l’éditeur qui est responsable. L’hébergeur doit simplement cesser promptement de permettre l’accès à ce contenu dès lors qu’il a connaissance de son caractère illicite.
Lorsque la « grande loi de l’Internet » est publiée en juin 2004, le Web a déjà connu une double révolution des usages : d’une part, la mise en ligne de « sites perso » s’est considérablement démocratisée avec l’apparition des blogues et il existe déjà de nombreux services qui proposent aux internautes de contribuer à un contenu collectif en postant des vidéos (YouTube), des photos (ClickR) ou en contribuant à la connaissance collective (Wikipedia).
Le modèle économique source de responsabilité
YouTube ou ClickR sont-ils seulement des hébergeurs (il ne fait pas de doute qu’ils sont techniquement des hébergeurs) ou aussi des éditeurs, en leur qualité de fournisseur de service ?
Trois décisions de justice ont tenté d’apporter une réponse à cette question :
Le 7 juin 2006, Tiscali s’est vu qualifié d’éditeur par la Cour d’appel de Paris pour son service d’hébergement de pages personnelles . La raison : Tiscali propose à des annonceurs des espaces payants sur les pages personnelles.
Le 22 juin 2007, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la société américaine Myspace, fournisseur d’un service de « social networking » car « en imposant une structure de présentation par cadres qu’elle met manifestement à la disposition des hébergés et diffusant à l’occasion de chaque consultation, des publicités dont elle tire manifestement profit, elle a le statut d’éditeur et doit en assumer les conséquences ».
Plus récemment, le TGI de Paris a condamné DailyMotion pour avoir permis la diffusion en streaming du long-métrage « Joyeux Noël » de Christian Caron. Cette décision se distingue des deux précédentes en ce qu’elle ne qualifie pas le fournisseur de services d’éditeur mais d’hébergeur. En revanche, elle considère que cet hébergeur ne pouvait ignorer que des vidéos illicites étaient mises en ligne grâce à son service et qu’il lui appartenait donc « d’en assumer la responsabilité sans pouvoir rejeter la faute sur les seuls utilisateurs dès lors qu’elle leur a fourni délibérément les moyens de la commettre ». Ce jugement ajoute que l’absence d’obligation générale de rechercher les faits ou circonstances révélant des activités illicites trouve sa limite lorsque lesdites activités sont « générées ou induites par le prestataire lui-même ». Il incombe dès lors à l’hébergeur de procéder à un contrôle a priori.
Rien ne permet d’établir une hiérarchie entre ces décisions qui ont toutes prononcé la condamnation du fournisseur de service. Si l’affaire Tiscali est résolument antérieure aux deux suivantes, la seule proximité des dates et le fait qu’elles émanent de la même juridiction ne permet pas de faire prévaloir la décision DailyMotion, plus récente, sur « l’affaire Myspace ».
Le grand point commun de ces décisions est de consacrer l’application de la théorie du risque-profit aux activités du Net. Cette théorie, dégagée à la fin du XIXème siècles par plusieurs éminents juristes, implique que celui qui tire profit d’une activité doit en supporter les charges et donc à réparer l’ensemble des dommages que cette activité peut causer. Cette théorie a été élaborée afin de soutenir l’instauration d’un régime favorable à l’indemnisation des accidents du travail dans le contexte bien particulier de la révolution industrielle.
Ainsi, puisque DailyMotion et Myspace génère des profits grâce à leur activité de mise à disposition de plateformes de partage de contenus « postés » par les internautes, ils doivent en supporter les risques. En outre, le prestataire doit chercher à minimiser la réalisation du risque intrinsèque de l’activité, c’est pourquoi DailyMotion doit procéder à un contrôle a priori des contenus.
Les décisions MySpace et DailyMotion procèdent donc d’une démarche différente pour aboutir à un résultat sensiblement identique : Que le fournisseur de service soit éditeur ou hébergeur, il est a priori responsable des contenus illicites mis à disposition. C’est là selon nous un régime en tous points contraire à la volonté du législateur. En effet, la LCEN a cherché à établir un équilibre entre les intérêts des ayants-droits et ceux des professionnels de l’Internet en vue notamment de leur permettre d’exercer leur activité de manière responsable mais sereine, et surtout dans une relative sécurité juridique.
DailyMotion aurait interjeté appel de ce jugement. On attend l’arrêt d’appel avec impatience…