La politique de sanction des pratiques anticoncurrentielles [1] fait l’objet depuis de nombreuses années de débats houleux concernant notamment le caractère prévisible des sanctions, ou encore la responsabilité du groupe en cas d’infractions commises par une filiale.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 janvier 2010 [2] a plus particulièrement marqué la divergence majeure entre les modes de calcul des sanctions de l’Autorité de la concurrence et de la Cour d’appel.

Pour mémoire, le 16 décembre 2008 [3], le Conseil de la concurrence sanctionnait 11 entreprises de négoce et le principal syndicat professionnel de l’acier à hauteur de 574,5 millions d’euros pour s’être entendues, pendant près de 5 années consécutives afin de fixer les prix, se répartir les clients et les marchés. La Cour d’appel de Paris avait, le 19 janvier 2010, réduit le montant total des amendes à 75 millions d’euros, et ce bien qu’elle n’ait rien trouvé à redire sur la qualification des pratiques d’ententes poursuivies et qu’elle ait qualifié le dommage à l’économie de certain.

Plutôt que de former un pourvoi en cassation, le ministre de l’Économie avait alors commandé un rapport indépendant sur ces problématiques auprès de trois experts [4] . Leur rapport a été remis au ministre le 20 septembre 2010.

Après une présentation théorique des règles applicables en matière de sanction en droit français de la concurrence, le Rapport tente l’exercice périlleux de dresser une synthèse de l’état du droit positif en France ainsi qu’au niveau communautaire. Le Rapport s’intéresse également aux législations applicables au sein de certains États membres de l’Union européenne et aux États-Unis. Enfin, et avant de formuler ses recommandations, la mission présente une étude détaillée des principales critiques formulées à l’encontre du système actuel.
Les rédacteurs constatent tout d’abord que le principal instrument utilisé en France pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles est l’amende. C’est l’article L. 464-2 du Code de commerce qui détermine les éléments à prendre en considération pour l’établissement de son montant à savoir (i) la gravité de la pratique, (ii) l’importance du dommage causé à l’économie, (iii) la situation individuelle de chaque entreprise et éventuellement, (iv) la réitération. La mission constate aussi que ce dispositif laisse une grande latitude sur la méthode retenue pour le calcul de la sanction.

Ce Rapport propose ensuite un nouveau mode de calcul de la sanction, et s’intéresse par la même à l’imputabilité de la responsabilité (I). Il donne par ailleurs raison à l’Autorité de la concurrence sur la question de l’interprétation du plafond légal (qui est une des source de discorde avec la Cour d’appel de Paris) (II).

Vers une précision et une amélioration de la personnalisation des peines en droit de la concurrence?

Montant de base de l’amende strictement lié à la pratique anticoncurrentielle

Le Rapport recommande de définir un montant de base, pondéré ensuite par des circonstances atténuantes ou aggravantes, selon une méthode très proche de celle adoptée tant par la Commission européenne que par la majorité des pays européens.

Ce montant de base à prendre en compte devra selon le Rapport correspondre à un pourcentage de la valeur des ventes des produits ou services concernés par la pratique anticoncurrentielle (par exemple 5 à 15% de la valeur des ventes). Le Rapport propose donc d’abandonner l’utilisation du chiffre d’affaires total de l’entreprise sanctionnée comme montant de base.

Encadrement de la responsabilité de la mère pour les agissements de la fille

La pratique décisionnelle communautaire rend la tâche très difficile aux sociétés-mères qui tenteraient de prouver leur irresponsabilité pour des infractions commises par leurs filiales.

La Cour de justice de l’Union européenne avait ainsi rappelé en 2009 dans son arrêt Akzo [5] que « dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale (…), et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale ».

Le Rapport recommande pour sa part, « en accord avec la pratique de l’Autorité de la concurrence », lorsque cette dernière fait application du droit national, que la responsabilité de la société mère ne soit retenue que lorsque celle-ci :

• a été indifférente quant aux agissements de sa filiale,

• a été négligente dans la mise en œuvre au sein du groupe d’un programme sérieux de prévention des pratiques anticoncurrentielles,

• avait connaissance des pratiques ou

• a participé à l’infraction.

Cette proposition semble en effet répondre aux nombreuses critiques actuelles sur la jurisprudence communautaire susmentionnée. Si l’Autorité ne peut se départir de la position retenue par la Commission lorsqu’elle applique le droit communautaire, on peut toutefois s’interroger sur la marge de manœuvre dont elle dispose réellement lorsqu’il elle applique le droit national de la concurrence.

Interprétation conforme du plafond légal par l’Autorité de la concurrence

Le Rapport rappelle l’incohérence entre l’Autorité et la Cour d’appel de Paris pour le calcul de la sanction au sens de l’article L. 464-2 du Code de commerce. Comme Thierry Fossier, Président de la chambre de la régulation économique de la Cour d’appel de Paris l’avait réaffirmé lors d’une conférence organisée par la DGCCRF en mars 2010 [6], la Cour d’appel considère qu’il faut partir de la peine maximum pour établir le montant de l’amende pécuniaire. Le plafond de l’article L. 464-2 devient alors le point de départ du raisonnement sur le montant de l’amende.

Cette approche diffère nettement de celle de l’Autorité, soutenue par les auteurs du rapport, qui consiste à établir le montant de l’amende pécuniaire au travers de la seule analyse des critères d’appréciation de l’article L. 464-2 et, dans un deuxième temps seulement, vérifier que le plafond légal prévu par cet article n’est pas dépassé.

En définitive, les experts sont allés bien plus loin dans leur mission que la simple question du mode de calcul de la sanction. De nombreuses recommandations ressortent du Rapport sur l’appréciation de la sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles. Il est ainsi préconisé qu’un débat contradictoire sur la sanction soit mené plus avant dans la procédure devant l’Autorité. Il est de même fait mention de la possibilité de créer une commission séparée du Collège de l’Autorité de la concurrence. Parmi les nombreuses propositions, nous retenons enfin l’idée de diversifier les types de sanctions et notamment de pouvoir recourir à un sursis en cas de première infraction dans les cas les moins graves (ce qui exclurait les cartels).

L’Autorité de la concurrence doit à présent étudier ces propositions et décider de les intégrer ou non dans ses futures Lignes directrices sur sa politique en matière de sanctions, dont la publication a été demandée par le ministre de l’Économie, si possible avant la fin de l’année 2010.

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[1] A savoir principalement les ententes et abus de position dominante qui sont soumis aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et aux articles L. 420-1, L. 420-2 du Code de commerce. En France, s’ajoute à ces pratiques l’interdiction des prix trop bas visée à l’article L. 420-5 du Code de commerce.

[2] CA Paris, 19 janvier 2010, « affaire du négoce de l’acier », commentaire Guillaume Taillandier La Revue Février 2010.

[3] Conseil de la concurrence, 16 décembre 2008, « affaire du négoce de l’acier », Décision 08-D-32.

[4] Jean-Martin FOLZ, ancien président du directoire de PSA, Christian RAYSSEGUIER, premier avocat général près la Cour de cassation, et Alexander SCHAUB, avocat et ancien directeur général de la concurrence puis du marché intérieur à la Commission européenne.

[5] CJCE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel, aff. C-97/08 P, points 58 à 60.

[6] DGCCRF, 30 mars 2010, « Imputabilité, sanctions, groupe ».