Cass. soc. 19 janvier 2011 n°09-67463
La Cour de cassation a rendu le 19 janvier 2011 un arrêt non publié au bulletin dont la portée est néanmoins importante (pourvoi n°09-67463).
Son attendu de principe sera disséqué par les universitaires et les praticiens :
« Mais attendu que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Cette décision fait incontestablement écho à un premier signe donné par la Cour de cassation le 3 février 2010 (pourvoi n°08-44107) « peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés… »
La Cour confirme ainsi que, même s’ils s’inscrivent dans une ligne tolérée – voire suggérée – de management et même s’ils ne visent pas un salarié plus que d’autres, certains comportements de direction d’équipe engagent la responsabilité civile (et potentiellement pénale) de leurs auteurs.
On savait déjà (bien entendu) que l’intention de nuire du harceleur n’est pas une condition d’existence du harcèlement, tout au plus une circonstance aggravante.
Les comportements caractérisant une situation de harcèlement sont aujourd’hui bien identifiés (isolement de la cible, critiques publiques, technique du chaud et du froid etc.). Si ces comportements sont une composante intégrée d’une « méthode de management » ou de « gestion » c’est-à-dire, au fond, qu’ils s’appliquent indifféremment à toute une équipe par exemple, soit par déclinaison d’une culture d’entreprise, soit par effet du style idiosyncratique d’un manager, ils sont néanmoins répréhensibles[2].
Analysons les faits de l’espèce : Madame X travaille dans le restaurant japonais d’une chaîne d’hôtels prestigieuse et fait état d’humiliations, de brimades à caractère racistes, de refus infondés et tardifs de dates de congés payés alors qu’employée depuis de nombreuses années, elle a exercé sa fonction d’une façon satisfaisante et reconnue par sa hiérarchie.
En arrêt de travail depuis 2004, elle soutient que son inaptitude (ayant entraîné son licenciement) est lié au stress subi dans son travail et au harcèlement moral à l’origine d’une grave dépression. Le cadre en cause avait, aux dires de plusieurs témoins, un « management dur » et formulait des critiques fondées mais de « façon blessante » et souvent devant les collègues de travail ce qui peut avoir des « effets dévastateurs sur des personnes fragiles », mais Madame X n’était pas particulièrement visée.
La cour d’appel relève que la généralité de l’attitude du responsable ne constituait pas une excuse et qu’il lui appartenait « en tenant compte de la personnalité de la salariée », de ses 32 années d’ancienneté et d’un certain âge « d’assumer ses responsabilités envers celle-ci ».
Les moyens du pourvoi sont inefficace se fondant sur le fait que « Madame X n’avait pas été spécialement victime de l’attitude du responsable » et l’entreprise a donc été condamnée.
L’enseignement de cet arrêt est à rechercher dans les contours sans cesse remodelés de l’obligation prétorienne de sécurité de résultat.
L’employeur – à qui cette situation avait été signalée – se devait de faire cesser la situation de « mise en danger » de la salariée quand bien même le « management dur » du cadre incriminé ne la visait pas spécifiquement.
Cet arrêt est ainsi plus riche d’enseignement que sa non publication au bulletin laisserait à penser : l’affirmation selon laquelle le manager aurait dû prendre en compte les éléments spécifiques de la situation du salarié (personnalité, ancienneté, qualité des services antérieurs, état de santé) peut, à première vue, sembler imposer à l’employeur une obligation impossible d’adaptation du management à chaque individu.
Mais ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas, pour la Cour, d’ouvrir la porte à une notion exclusivement subjective du harcèlement fondée sur la seule perception du salarié. Cet arrêt vise à établir que certains comportements sont, par leur caractère irrespectueux des personnes, générateur de harcèlement et doivent, à ce titre, être condamnés : si certains salariés les supportent, d’autres, en revanche, sont conduits vers la dépression. Ainsi, ces comportements ne relèvent pas de ce que l’on pourrait appeler un « style de management » qui, lui, reflète la personnalité du manager.
En poussant la logique de la Cour et en tentant d’en tirer un enseignement pratique, il est probablement possible d’affirmer que, dans la situation d’espèce visée par l’arrêt, le cadre en question n’aurait jamais dû être promu à des fonctions managériales ou, à tout le moins, aurait dû être formé à un management respectueux des personnes, si tant est que cela relève de la formation…
Cet arrêt sonne comme un avertissement fait aux employeurs : le « style » de management s’arrête là où commence le harcèlement et si, à l’évidence, il peut exister autant de « style de management » que de personnalités de manager, le recours à cette notion est hors sujet quand la ligne rouge du respect des personnes est franchie.
Le sous-titre de notre article emprunté à La Fontaine et déjà repris par Marie Peze [3] illustre cet arrêt, dont l’importance n’est pas négligeable, et l’effort considérable de pédagogie et de formation qu’ont à faire les employeurs auprès de leurs managers ainsi que l’attestent concurremment les déclarations du Ministre du travail et une récente enquête de la DARES.
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[1] Jean de La Fontaine « Les animaux malades de la peste »
[2] Rappelons ici que le harcèlement collectif n’est, à ce jour, pas reconnu.
[3] Dans un ouvrage publié en 2008 et consacré au phénomène de la souffrance au travail.