CE., 1er avril 2019, n° 417652

L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a instauré la possibilité de recourir à la négociation collective dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que les accords négociés soient approuvés à la majorité des deux tiers du personnel. Cette approbation référendaire était également autorisée dans les entreprises de moins de vingt salariés lorsque le comité social et économique n’a pas été mis en place. L’ordonnance a été ratifiée par une loi du 29 mars 2018 et les dispositions légales qui en ont résulté sont codifiées aux articles L.2232-21 à L.2232-23 du Code du travail. Les modalités d’approbation par le personnel ont été déterminées par décret pris en Conseil d’État et codifiées aux article R. 2232-10 et suivants du Code du travail.

L’article 1er du décret n° 2017-1767 du 26 décembre 2017 relatif aux modalités d’approbation des accords dans les très petites entreprises était contesté par plusieurs syndicats (CGT, FO, CFDT et Solidaires) qui ont formé des recours pour excès de pouvoir contre ce décret. Les moyens de légalité externe soulevés, à savoir l’absence de contreseing du ministre de la Justice, ainsi que le non-respect des règles qui gouvernent l’examen par le Conseil d’État des projets de décrets, ont été écartés, à l’instar des moyens de légalité interne.

La constitutionnalité de dispositions légales en question à tort…

Sur le premier moyen de légalité interne, à savoir la méconnaissance, par les dispositions des articles L.2232-21 à L.2232-23 du Code du travail, des sixième et huitième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et qui sont relatifs au monopole syndical[1], les arguments avancés ont été écartés par le Conseil d’État. C’est à bon droit que le juge administratif a considéré qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier la conformité de dispositions législatives aux exigences constitutionnelles. Le Conseil d’État laisse toutefois la porte ouverte à une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des articles L.2232-21 à L.2232-23 du Code du travail.

… outre une intervention syndicale toujours possible…

Pour autant et par la suite, le juge administratif souligne que les dispositions légales en cause et leur décret d’application ont simplement pour objectif de pallier l’absence de représentation du personnel au sein des sociétés qui n’ont pas l’obligation d’en mettre en place, comme au sein des sociétés soumises à cette obligation mais qui en sont malgré tout dépourvues. En outre, aucune intervention syndicale n’est empêchée lorsqu’un projet d’accord est soumis à approbation référendaire. Le Conseil d’État précise ainsi que les sociétés dont l’effectif est compris entre onze et vingt salariés ont toujours la possibilité de négocier un accord collectif avec un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative[2]. Les salariés des sociétés de moins de onze salariés peuvent, quant à eux, toujours consulter une organisation syndicale pendant le délai minimal de quinze jours[3] entre la remise à chaque salarié du projet d’accord soumis à approbation référendaire, et la date à laquelle le vote sur la réponse à la question référendaire doit se tenir. Les dispositions légales et règlementaires ont simplement pour objectif de permettre à toutes les sociétés de négocier des accords collectifs ce qui est, pour le Conseil d’État, la raison d’être de ces dispositions qui ne méconnaissent donc pas l’article 11, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur le droit de mener des négociations collectives avec l’employeur.

… et d’importantes garanties exigées

Un syndicat considérait également qu’en laissant à l’employeur seul le droit de déterminer les modalités de déroulement de la consultation référendaire, le décret attaqué aurait méconnu les dispositions de l’article L.2232-21 du Code du travail. Le Conseil d’État a toutefois considéré qu’il n’en était rien, d’importantes garanties étant en tout état de cause exigées pour qu’un employeur puisse valablement organiser l’approbation référendaire d’un accord. Les principes généraux du droit électoral doivent être respectés et le caractère personnel et secret du vote doit également être garanti. L’employeur doit préciser les modalités d’organisation du vote référendaire, qui doivent en tout état de cause être transmises au moins quinze jours avant le vote référendaire et en même temps que l’accord soumis à approbation, ce qui permet aux salariés de consulter une organisation syndicale sur lesdites modalités d’organisation. L’employeur doit a minima préciser les modalités de transmission de l’accord soumis à approbation, les modalités d’organisation et le déroulement du vote référendaire, l’employeur étant tenu de s’occuper de l’organisation matérielle du vote. La question à laquelle il appartient aux salariés de répondre doit être portée à leur connaissance au moins quinze jours avant le jour du vote référendaire qui doit nécessairement se dérouler hors sa présence et sur le temps de travail[4].

Il résulte de l’arrêt du Conseil d’État que l’objectif recherché par les articles L.2232-21 à L.2232-23 du Code du travail et R.2232-10 à R.2232-13 du Code du travail, à savoir ouvrir la négociation collective aux employeurs de moins de vingt salariés dépourvus de représentation du personnel en entourant ce mode de négociation de nombreuses garanties, est atteint. Toutefois, l’employeur de moins de vingt salariés qui entendrait organiser l’approbation référendaire d’un accord collectif devra être très rigoureux sur les modalités d’organisation qu’il imposera afin que l’ensemble des garanties règlementaires soient respectées. Toute irrégularité du processus de vote emporterait invalidité de l’accord qui aura été approuvé, et les conséquences pourraient alors être particulièrement dommageables pour des sociétés de moins de vingt salariés qui ont trop longtemps été privées d’un droit effectif à la négociation collective.

Contact : jean-sebastien.lipski@squirepb.com

[1] Alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix »

Alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises »

[2] Article L. 2232-23-1 du code du travail

[3] Article L. 2232-21 du code du travail

[4] Articles R. 2232-10 et R. 2232-11 du code du travail