Dans cette affaire, un ensemble contractuel complexe faisait intervenir plusieurs sociétés. Alcatel, fabricant français de mobiles, collabore avec le belge AME pour la fabrication d’une puce électronique. Ce dernier conclut avec l’américain Amkor un contrat de vente de composants électroniques, qui comportait une clause compromissoire désignant un tribunal arbitral situé aux Etats-Unis. Amkor était liée à un fabricant de composant coréen (Anam) par un contrat prévoyant lui-même une convention d’arbitrage. Des désordres étant apparus, Alcatel et son assureur AGF assignent devant les juridictions françaises la société Amkor, ses deux filiales françaises et la société Anam, en paiement de dommages-intérêts. Les défendeurs contestent alors la compétence de la juridiction étatique en s’appuyant sur la clause compromissoire. Deux questions sont posées à la Cour : la transmission et l’extension de la clause compromissoire.

1. La transmission de la clause compromissoire dans une chaîne de contrat

La Cour introduit certaines nouveautés par rapport à l’état du droit antérieur.

1.1. L’état du droit antérieur

Est-ce qu’une clause prévoyant la compétence d’un tribunal arbitral peut s’imposer au sous-acquéreur d’un bien, alors même qu’il ne l’a pas négociée, peut-être même en a-t-il ignoré l’existence ?

Le droit français reconnaît, en matière d’arbitrage international, la validité de la transmission d’une telle clause au sous-acquéreur. Jusqu’ici, il limitait cependant cette possibilité à l’hypothèse d’une chaîne homogène de contrats translatifs de propriété (ce qui revient à l’hypothèse de ventes successives : vente+vente). En effet, la Cour, s’inscrivant dans la logique du droit français de l’époque, affirmait dans l’arrêt Peavey : « Dans une chaîne homogène de contrats translatifs de marchandises, la clause d’arbitrage international se transmet avec l’action contractuelle, sauf preuve de l’ignorance raisonnable de l’existence de cette clause ». Ainsi, l’on aboutissait à la solution, souvent incohérente, selon laquelle tout ensemble contractuel translatif de propriété mais dans lequel intervenait un contrat d’entreprise, rendait la chaîne « hétérogène » et « rompait » la transmissibilité de la clause.

Mais, afin d’apporter indulgence et souplesse à une solution radicale pour la partie se voyant imposer une clause d’arbitrage qu’elle n’avait jamais négociée, la Cour introduisait la notion d’ « ignorance raisonnable » de la clause. Cette réserve était synonyme de barrière de protection en faveur du sous-acquéreur qui pouvait s’opposer à la clause compromissoire en apportant la preuve de son ignorance raisonnable. La transmission de la clause compromissoire était donc subordonnée à l’absence d’ignorance raisonnable de celle-ci.

1.2. La solution dégagée par la Cour de cassation en 2007

Avec l’arrêt du 27 mars 2007, la Cour étend la solution Peavey aux chaînes hétérogènes de contrats translatifs de propriété et introduit l’automaticité de la transmission. Désormais, la même solution prévaut en présence d’un contrat d’entreprise dans l’ensemble contractuel, la clause compromissoire se transmettant « de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne ». La fin de la distinction entre chaîne hétérogène ou homogène de contrats contribue à l’uniformisation des solutions et donc à la cohérence du système.

La Cour introduit également une grande et dangereuse nouveauté dans son arrêt de mars 2007, quand elle omet sciemment de reprendre la réserve d’ « ignorance raisonnable » de la clause par le sous-acquéreur, réserve qui figurait dans l’arrêt Peavey. Cette omission est certainement en harmonie avec la théorie de l’accessoire, qui permet une « transmission objective » de la clause compromissoire, sans exiger l’acceptation même tacite du bénéficiaire de la transmission des droits substantiels. Mais retirer la protection de l’ « ignorance raisonnable », n’est-ce pas augmenter le risque d’imprévisibilité du droit, et imposer une clause potentiellement dangereuse au sous-acquéreur d’un bien ? Bien que plus cohérente, la solution de la Cour porte un sévère coup à la sécurité juridique. Il aurait probablement été plus judicieux d’étendre la solution aux chaînes de contrats hétérogènes tout en maintenant la protection de l’ignorance raisonnable.

Dans une optique d’élimination des entraves à la libre circulation des conventions d’arbitrage en présence d’un mécanisme de transmission des obligations telle que la chaîne de contrats, la Cour facilite également l’extension du cercle des personnes concernées par une clause compromissoire.

2. L’extension de la clause compromissoire

Une clause d’arbitrage peut étendre ses effets au-delà des parties qui l’ont souscrite, d’une part, par l’effet de sa transmission avec un certain nombre de droits auxquels elle s’attache, et d’autre part, par l’effet de son extension rationae personae, à des parties qui ne l’ont pas formellement signée. Aussi bien les arbitres, que la jurisprudence française, acceptent d’étendre une clause arbitrale mais à des degrés différents.

2.1. Une position arbitrale pragmatique

Certaines sentences arbitrales admettent parfois l’extension d’une clause signée par le membre d’un groupe de sociétés à une autre société du groupe. Toutefois, les arbitres ont le plus souvent refusé ce mécanisme, la simple appartenance à un groupe ne suffisant pas. Ils préfèrent le plus souvent se fonder sur l’idée d’une acceptation tacite, voire même présumée de la clause, qui se déduit de la participation plus ou moins active de la société au stade de la négociation, exécution ou résiliation du contrat. A cet égard, dans la sentence Dow Chemical , les arbitres retiennent que « la clause compromissoire expressément acceptée par certaines des sociétés du groupe doit lier les autres sociétés qui, par le rôle qu’elles ont joué dans la conclusion, l’exécution ou la résiliation des contrats contenant ladite clause, apparaissent selon la commune volonté de toute les parties à la procédure, comme ayant été de véritables parties à ces contrats ou comme étant en premier chef concernées par ceux-ci et par les litiges qui peuvent en découler ». Les arbitres requièrent ainsi une participation active de la société dans le contrat en question pour accepter de lui étendre les effets d’une clause compromissoire. Cette solution respecte la notion de personnalité morale distincte au sein d’un même groupe de sociétés. L’extension du cercle des personnes concernées par la clause demeure circonscrit.

2.2. Une position française moins libérale qu’auparavant

En affirmant que « la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter », la Cour, semble-t-il revient sur une ancienne position plus libérale en la matière. Allant plus loin que les arbitres, la jurisprudence française étendait souvent à la société-mère, une convention d’arbitrage signée par une société du groupe, en se fondant sur le principe de « validité et d’efficacité propres » de la convention d’arbitrage, et s’appuyant sur l’existence d’un groupe formant « un ensemble de sociétés […] liées dans une unité économique soumise à un pouvoir unique » . La Haute juridiction française adoptait une position très libérale en faveur de l’arbitrage international, mais peu soucieuse de la personnalité juridique des sociétés.

Dans l’arrêt du 27 mars 2007, on ne retrouve pas dans le dispositif de la Cour, la référence à la « validité et efficacité propres » de la convention d’arbitrage, caractérisant sa jurisprudence antérieure. Les juges confirment l’extension de l’effet de la clause compromissoire au-delà des personnes signataires, mais en se basant sur l’implication des sociétés dans l’exécution du contrat. Ils se fondent non plus sur la notion d’unité économique du groupe, mais sur l’acceptation tacite due à cette implication. Dans la présente affaire, cette acceptation est même pratiquement expresse, considérant que les deux filiales de la société-mère américaine étaient présentes lors de l’agrément de la société belge AME. Concernant l’extension de la convention d’arbitrage aux tiers, la Cour ne fait que réitérer la règle matérielle désormais classique, selon laquelle « la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter ». Elle permet ainsi aux filiales de la société-mère américaine de se prévaloir de la compétence arbitrale, d’autant plus qu’en l’espèce, la cour d’appel relève à bon droit que ces premières étaient présentes lors de l’agrément des sous-traitants. La jurisprudence française s’aligne sur la jurisprudence des arbitres internationaux.

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Avec l’introduction de l’automaticité de la transmission de la clause compromissoire d’une part, et l’implication directe dans l’exécution du contrat faisant partie d’un ensemble plus vaste d’autre part, la Cour de cassation fait peser sur les extrémités d’une chaîne de contrat, une obligation de vigilance accrue quant au contenu des contrats en présence. La prévisibilité des relations contractuelles, principe fondamental du droit commercial international, s’en trouve amoindrie.