Le 14 décembre 2018, les nouvelles Règles sur la Conduite Efficace des Procédures en Arbitrage International (« les Règles de Prague ») ont été adoptées. Disponibles en cinq langues (anglais, portugais, russe, espagnol et chinois), elles ont vocation à répondre aux attentes relatives à la durée et aux coûts de l’arbitrage international.
Le point de départ de ce travail est le constat fait par les rédacteurs des Règles de Prague que les IBA Rules (les « Règles de l’International Bar Association sur l’Administration de la Preuve dans l’Arbitrage International ») avaient tenté de rapprocher les règles prévalant dans les pays de Civil Law et ceux de Common Law ; elles étaient néanmoins plus proches du droit anglo-saxon avec les écueils correspondants, notamment les coûts et la durée des procédures.
Dans le prolongement de la tradition civiliste de procédure inquisitoire qu’on oppose à l’approche accusatoire des IBA Rules, les Règles de Prague mettent particulièrement l’accent sur le rôle actif des tribunaux arbitraux. Elles couvrent cependant d’autres aspects que l’administration de la preuve et traitent plus largement de l’intervention des tribunaux arbitraux dans la procédure.
Sous l’égide des Règles de Prague, les tribunaux arbitraux deviennent acteurs et non plus simples spectateurs de la justice qu’ils administrent. Il s’agit là d’une possible mutation de la procédure arbitrale dont on mentionnera les tenants les plus significatifs.
L’article 2 souligne tout d’abord le rôle proactif du tribunal arbitral dont l’un des attributs est d’organiser une conférence sur la gestion de la procédure afin de circonscrire le litige le plus rapidement possible (articles 2.1 et 2.2). Les arbitres sont par ailleurs invités à faire part aux parties de leurs observations préliminaires dès cette conférence (article 2.4 e).
L’article 3 encourage le tribunal arbitral à établir les faits qui lui paraissent nécessaires à la résolution du litige. Il peut, de sa propre initiative, demander la production de documents, désigner des experts, ordonner l’inspection de lieux ou toute autre mesure qu’il estime appropriée (article 3.2).
Les Règles de Prague s’intéressent également aux preuves écrites. L’article 4.1 dispose que chaque partie doit produire le plus tôt possible les documents sur lesquels elle s’appuie. De surcroit, l’article 4.2 exhorte les parties et le tribunal arbitral à éviter de demander la production de documents à l’autre partie. Une demande motivée peut pourtant être formulée auprès du tribunal arbitral au moment de la conférence sur la gestion de la procédure, à laquelle il pourra être fait droit si une telle production apparaît effectivement nécessaire (articles 4.3). Cette requête est également susceptible d’être formulée postérieurement à la conférence de gestion mais le tribunal arbitral pourrait la refuser s’il estime que la partie était en mesure de le demander lors de cette conférence (article 4.4). La production sera en tout état de cause limitée à des documents spécifiques, importants pour la résolution du litige, qui ne relèvent pas du domaine public et qui sont en possession ou sous le contrôle de la partie adverse (article 4.5).
L’article 5 limite par ailleurs le nombre de témoins qui seront entendus. Le tribunal arbitral décide des témoins qu’il souhaite voir témoigner oralement (articles 5.2 et 5.3). Les parties peuvent malgré tout soumettre les déclarations écrites de leurs témoins soit de leur propre initiative, soit sur invitation du tribunal arbitral (articles 5.4 et 5.5). Une partie a la possibilité d’insister pour interroger oralement un témoin adverse dont la déclaration écrite aurait été fournie et le tribunal arbitral devra faire droit à cette demande sauf s’il justifie son refus par des motifs pertinents (article 5.7).
Les Règles de Prague consacrent par ailleurs le principe iura novit curia. Le tribunal arbitral a le droit de relever d’office des moyens qui n’ont pas été soulevés par les parties dès lors qu’elles ont pu faire valoir leurs observations sur ce point (article 7.2).
L’article 8.1 entend favoriser la résolution des litiges en l’absence d’audience. Une audience peut toutefois être organisée, à la requête d’une des parties ou à l’initiative du tribunal arbitral lui-même, de la manière la plus efficace possible en ayant recours le cas échéant aux moyens de communication modernes (article 8.2).
Enfin, le tribunal arbitral peut assister les parties dans la résolution amiable de leur différend notamment grâce à une médiation où l’un des arbitres se convertira alors en médiateur (articles 9.1 et 9.2). En cas d’échec, cet arbitre pourra continuer sa mission juridictionnelle avec l’accord des parties ou, à défaut, il devra se déporter (article 9.3).
Les Règles de Prague apportent une perspective différente à l’arbitrage international et constituent une alternative aux IBA Rules. Elles pourraient spécialement intéresser les parties de tradition civiliste dans la mesure où la procédure arbitrale serait alors plus proche de celle de leurs juridictions étatiques tout en conservant la flexibilité recherchée dans ce type d’instance.
Leur application dans le cadre des arbitrages ad hoc ne devrait pas poser de difficulté. En revanche, dans le cadre d’arbitrages institutionnels, il conviendra de tenir compte non seulement de la lex arbitri mais aussi du règlement d’arbitrage applicable en l’espèce.
Plus important encore reste la question de la réception des sentences appliquant les Règles de Prague par les juridictions nationales dans le cadre des recours en annulation ou lors des requêtes en exequatur. En effet, les Règles de Prague permettent, entre autres, d’exclure certains moyens de preuve, de donner différentes forces probantes aux preuves fournies et de refuser certaines demandes des parties. D’un outil il ne faudrait pas qu’elles se convertissent en arme dans le cadre de contentieux relatifs, par exemple, au principe du contradictoire ou au respect par les arbitres de la mission qui leur a été confiée.
Les Règles de Prague constituent une initiative qu’il faut saluer car elles tentent d’apporter des solutions à des besoins grandissants en matière d’arbitrage international. Reste à savoir comment cette nouvelle opportunité sera appréhendée par les praticiens.