Cass. Ass. Plén. 29/06/2007, pourvoi n° 06-18141
La pratique d’une activité sportive n’est pas sans risque mais ne justifie pas, pour autant une indemnisation sans condition. Ainsi en a décidé l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2007.
Un joueur de rugby blessé…
Au cours d’une rencontre sportive un joueur de rugby est grièvement blessé lors de la mise en place d’une mêlée. Il réclame réparation de son préjudice auprès des organisateurs du match, deux comités régionaux de rugby (Périgord-Agenais et Armagnac-Bigorre), et de leur assureur commun.
Condamnation au fond des organisateurs du match
Par un arrêt en date du 4 juillet 2006, rendu après cassation, la cour d’appel de Bordeaux a retenu la responsabilité des comités sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil. En effet, selon les juges du fond, il suffisait « à la victime de rapporter la preuve du fait dommageable et qu’elle y parvient en démontrant que les blessures ont été causées par l’effondrement d’une mêlée, au cours d’un match organisé par les comités » dans la mesure où « l’indétermination des circonstances de l’accident et l’absence de violation des règles du jeu ou de la faute établie sont sans incidence sur la responsabilité des comités dès lors que ceux-ci ne prouvent l’existence ni d’une cause étrangère ni d’un fait de la victime ».
Réunion de l’Assemblée plénière
Face à la résistance de la cour d’appel de renvoi, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a été invitée à déterminer si une faute du joueur est nécessaire pour retenir la responsabilité de l’association sportive du fait de ses membres ou si la démonstration d’un simple fait causal suffit.
La question, objet de nombreux débats, n’est pourtant que très succinctement tranchée par le présent arrêt.
Rappel de la relecture dynamique de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil
Sur l’exigence d’une faute de l’auteur du dommage pour retenir la responsabilité du fait d’autrui, deux théories s’opposent sur le terrain jurisprudentiel.
Rappelons que si l’article 1384 du Code civil institue des responsabilités spéciales (notamment en matière de responsabilité du fait d’autrui, celle des pères et mères, des artisans et des commettants), la jurisprudence a progressivement construit une responsabilité générale du fait d’autrui.
Amorcée, en 1991, suite au très célèbre arrêt Blieck, la première série d’arrêt rendus dans ce domaine portait sur la responsabilité du « gardien » d’une personne exerçant sur cette dernière le pouvoir permanent d’organiser, de diriger et contrôler son activité.
La deuxième série de responsabilité retenue sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil concernait la responsabilité de l’organisateur d’une activité collective spécifique. C’est ainsi qu’ont été jugé responsables du chef de leurs membres les associations sportives.
Les joueurs de rugby sont à l’origine de la jurisprudence ayant retenue la responsabilité des organisateurs de compétitions sportives du fait de leurs membres. En effet, par deux arrêts rendus le 22 mai 1995, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a condamné « les associations ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles elles participent, sont responsables, au sens de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion ; ayant retenu que les joueurs de l’association sportive participaient à une compétition sportive et que ce sont les joueurs de cette association qui ont exercé sur un joueur de l’autre équipe des violences, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de retenir la responsabilité de l’association sportive ».
Restait en suspend la question de savoir si la preuve de la faute de l’auteur du dommage devait être rapportée.
L’exigence d’une faute caractérisée
Dans un premier temps, pour condamner in solidum les deux organisateurs du match, la Cour d’appel d’Agen avait considéré que l’effondrement d’une mêlée « est nécessairement le résultat d’une faute, certes courante, mais volontaire et de nature technique ; il s’agit d’une violation des règles de positionnement de mise en mêlée ou d’une poussée irrégulière, d’une faute non dans le jeu mais contre le jeu ».
Visiblement hostile à l’exigence d’une faute du sportif, la Cour d’appel de Bordeaux, statuant sur renvoi, condamne les organisations, se contenant d’un simple fait causal.
Cette décision est censurée par l’Assemblée plénière qui rappelle que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion », mais subordonne la mise en œuvre de celle-ci à l’existence d’une « faute caractérisée par une violation des règles du jeu imputable à un ou plusieurs membres, même non identifié ».
Or, les contours de la notion de faute en matière sportive restent incertains, malgré la définition qu’en donne l’arrêt. En effet, si la faute peut être caractérisée par la violation d’une règle de jeu, toute atteinte aux règles du jeu (manquements purement techniques, atteinte involontaire…) ne constituent pas en soi, une faute sportive. A notre sens, seul un comportement brutal ou déloyal est de nature à engager une responsabilité, dans la mesure où la théorie de l’acceptation des risques tend à faire obstacle à toute demande de réparation d’un dommage provoqué par une simple violation des règles de jeu.