Avis n° 13-A-08 du 11 mars 2013 relatif aux conditions de mutualisation et d’itinérance sur les réseaux mobiles

L’Autorité de la concurrence a rendu le 11 mars 2013 un avis dans lequel elle appelle à l’extinction progressive de l’accord d’itinérance conclu entre Free et Orange (accord dont l’existence avait été très critiquée par SFR et Bouygues Telecom dès que Free s’était avéré un concurrent redoutable pour ceux-ci.

Saisie par les autorités publiques de cette question (et plus globalement de la problématique de la mutualisation des infrastructures dans ce secteur), l’Autorité de la concurrence livre dans son avis une analyse intéressante de l’état de la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile et des moyens de la préserver à l’heure où les opérateurs font face à des choix technologiques importants et porteurs d’investissements substantiels (le déploiement de réseaux de 4ème génération notamment).

À ce titre, l’Autorité de la concurrence rappelle très pédagogiquement que les opérateurs du marché de la téléphonie mobile peuvent se faire concurrence tant par les infrastructures que par les services qu’ils offrent (mais qui sont largement sous-tendus par les infrastructures en cause).

La concurrence par les infrastructures, modèle traditionnellement utilisé dans le secteur des télécommunications, implique que chaque opérateur construise, possède et utilise son propre réseau. A l’inverse, la concurrence par les services permet aux nouveaux entrants d’utiliser une partie ou la totalité du réseau des opérateurs historiques. L’utilisation de ce dernier modèle a notamment permis le développement des opérateurs mobiles virtuels qui ont eu à cœur d’offrir des innovations commerciales intéressantes pour le consommateur pour exister à côté des opérateurs de réseaux. [1]

L’affirmation de la préférence pour une concurrence par les infrastructures

L’Autorité de la concurrence souligne dans son avis que l’animation de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile nécessite une concurrence par les infrastructures, laquelle promeut l’innovation et la différenciation et qui s’avèrera plus pérenne qu’une concurrence par les services. L’Autorité de la concurrence fait ainsi écho à la directive de la Commission européenne du 25 novembre 2009 relative aux réseaux et services de communications. [2]

L’autorité de la concurrence insiste même sur le fait qu’elle considère cette concurrence par les infrastructures comme étant le modèle le plus « juste » vis-à-vis des trois opérateurs historiques qui ont construit leurs infrastructures sans pouvoir se reposer sur celles d’un autre.

En ce sens, l’accord d’itinérance conclu entre Orange et Free confère un important avantage concurrentiel à ces dernières à l’heure où l’ensemble des opérateurs téléphoniques devraient investir dans un réseau de quatrième génération (4G) : En effet, Orange améliore l’utilisation de son réseau et donc la rentabilité de celui-ci tandis que Free bénéficie à bon compte d’un réseau performant.

Le mal nécessaire d’une concurrence limitée aux services

Il n’en demeure pas moins que l’accord d’itinérance conclu par Free avec Orange à compter de 2012 semblait le seul moyen pour permettre à celui-ci de remplir son rôle d’animateur de la concurrence sur le marché : sans celui-ci, il n’aurait en effet pu apparaître comme un opérateur crédible face aux trois opérateurs de réseaux déjà en place et disposant d’une couverture très complète.

Dès lors, face à ces situations particulières, l’Autorité de la concurrence et l’ARCEP sont prêtes à reconnaître les bénéfices de l’introduction d’une concurrence par les services (i.e. accords de mutualisation ou d’itinérance) au sein du modèle de concurrence par les infrastructures.

S’agissant d’accords de coopération horizontale entre concurrents, dans la mesure où ces derniers ne détiennent pas un objet anticoncurrentiel, il ressort de la jurisprudence européenne [3] que l’Autorité de la concurrence ou les juridictions compétentes doivent apprécier in concreto leurs possibles effets anticoncurrentiels.

Ceux-ci seront plus ou moins forts selon la coopération mise en œuvre (la mise en commun d’infrastructures passives est plus indolores que la mise en commun d’infrastructures actives voire le partage de fréquences), le pouvoir de marché des participants à la coopération et l’espace de la coopération (zones de couverture plus ou moins denses).

Ces accords pourraient en effet conduire à fausser le jeu de la concurrence en renforçant ou en affaiblissant la position de certains opérateurs et en induisant de très forts échanges d’informations entre ceux-ci (en cas de partage de fréquences notamment). En outre, la possibilité pour un opérateur téléphonique d’utiliser les infrastructures de ses concurrents réduit de manière considérable les incitations à investir et innover, ce qui peut, à long terme, nuire à la concurrence.

Que faire dès lors du contrat d’itinérance Free – Orange ?

L’Autorité de la concurrence considère que Free aurait tout intérêt à investir dans la construction de son propre réseau mais que des incitations stratégiques l’encouragent à prolonger le contrat d’itinérance conclu avec Orange. Celui-ci lui permet en effet de ne pas supporter la charge financière des investissements nécessaires à la construction d’infrastructures et de pouvoir ainsi saisir d’autres opportunités.

La stratégie du coucou en quelque sorte.

C’est à ce titre que l’Autorité de la concurrence critique fortement l’attitude de Free lors de l’attribution des fréquences pour la 4G, considérant en effet que l’échec de Free dans l’attribution des fréquences, pourtant essentielle dans la perspective d’être en mesure de déployer la 4G dans des zones denses, procède d’une stratégie inadaptée qui a conduit free à être le moins disant lors des enchères.

Dès lors, l’Autorité refuse tout octroi d’un blanc-seing à Free via l’approbation a priori d’un accord d’itinérance qui viendrait compenser cet échec mais considère au contraire que la solution à cette situation passera par une réallocation des fréquences.

Si l’on peut se féliciter du fait que l’avis de l’Autorité de la concurrence éclaircisse le fonctionnement actuel du marché oligopolistique de la téléphonie mobile, on peut néanmoins s’interroger sur la capacité de Free à maintenir sa politique de bas prix face aux investissements qui seront donc nécessaires au développement de sa propre infrastructure.


[1] Autorité de la concurrence, 21 janvier 2013, Avis relatif à la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO) sur les marchés de la téléphonie mobile en France, n° 13-A-02.
  [2] Directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques.
Considérant n° 54 : « La concurrence peut être favorisée au mieux grâce à un niveau économiquement efficace d’investissements dans les infrastructures nouvelles et existantes, complété si nécessaire par une réglementation visant à instaurer une concurrence efficace dans les services de détail. »
  [3] TPICE, 2 mai 2006, O2 (Germany) GmbH & Co. OHG c/ Commission, Aff. T-328/03.