L’année 1492 est restée dans la mémoire collective espagnole comme une année de gloire. Le 12 octobre 1492, Christophe Colomb découvrait l’Amérique, inaugurant ainsi l’époque dorée de l’empire espagnol. Quelques mois plus tôt, le 2 janvier 1492, les rois Catholiques, Isabel et Fernando, ou Fernando et Isabel, « tanto monta monta tanto » occupaient la ville de Granade, marquant ainsi la fin de la « Reconquista ». Le dernier émir de Granade, Boabdil, depuis la cordillère des Alpujarras se retournait une dernière fois vers sa ville, désormais chrétienne, et pleurait, pendant que sa mère, la sultane Aixa lui adressait le connu « no llores como una mujer lo que no supiste defender como hombre ».

Mais, les « moriscos » n’ont pas été la seule communauté habitant la péninsule ibérique touchée par la « Reconquista », ni Boabdil le seul à avoir une raison de pleurer. 1492 est aussi l’année d’entrée en vigueur de l’Edicto de Granada, la loi par laquelle tous les juifs peuplant le royaume de Castille et le Royaume d’Aragon devaient, avant le 10 août de l’année, soit quitter le territoire (sous peine de mort), soit se convertir au catholicisme. Les historiens estiment qu’autour de 50 000 juifs séfarades ont été contraints de quitter le territoire dans des conditions misérables.

Ce n’est pas la page la plus glorieuse de l’histoire de l’Espagne…

522 ans plus tard, le royaume d’Espagne devenu démocratique, fait un geste pour sceller la réconciliation avec la communauté juive séfarade.

Le 7 février 2014, le gouvernement espagnol a annoncé une réforme pour faciliter davantage les conditions d’obtention de la nationalité espagnole pour les descendants des juifs séfarades expulsés d’Espagne à la fin du XVème siècle.

Pour rappel, les juifs séfarades bénéficiaient déjà d’un régime spécial relatif à l’obtention de la nationalité. Ainsi, les personnes pouvant accréditer une telle condition, ainsi que les ressortissants des pays latino-américains, Andorre, Portugal, Philippines et Guinée Équatoriale, pouvaient, en application des articles 21 et 22 du Code civil espagnol, obtenir la nationalité soit (i) par Lettre de naturalisation (octroyée discrétionnairement par le Conseil des ministres dans des cas exceptionnels), soit (ii) après avoir résidé de façon permanente pendant deux années consécutives en Espagne. Même si ce régime spécial dérogeant aux conditions applicables au reste du monde était déjà avantageux, il présentait des inconvénients importants, à commencer par l’obligation de résidence permanente pendant deux ans sur le territoire. Ensuite, la Lettre de naturalisation n’était délivrée que rarement (artistes, athlètes, etc.). Enfin et surtout, les candidats devaient renoncer irrévocablement à leur nationalité d’origine.

Le gouvernement espagnol avait auparavant déjà fait des gestes vis-à-vis de la communauté juive séfarade. Dans la mémoire collective, restent encore les milliers de juifs naturalisés in extremis par la voie du Décret Royal du 20 décembre 1924 dans les consulats espagnols à Budapest, Athènes, Paris, Sofia, Bucarest, Lisbonne et Bordeaux, pendant la période nazie. Ultérieurement, le Décret-loi du 29 décembre 1948 avait aussi assoupli les conditions d’accès à la nationalité.

Le projet de réforme du Code civil de 2014 a pour but de faciliter encore l’accès à la nationalité aux descendants des juifs jadis expulsés et presque oubliés, qui conservent néanmoins un lien spécial avec l’Espagne.  Le projet codifie les « circonstances exceptionnelles » justifiant la délivrance d’une Lettre de naturalisation.

La condition de juif séfarade originaire d’Espagne et son lien spécial avec l’Espagne pourront être établis par la méthode du faisceau d’indices, notamment :
 

  • « Par un certificat délivré par l’autorité rabbinique compétente, reconnue légalement dans le pays de résidence habituelle de l’intéressé.

 

  • Par la langue d’usage familial, ladino ou haketia, par le certificat de naissance ou par le ketubah, ou le certificat de mariage célébré selon le régime et les coutumes de la Castille.

 

  • Par le fait de figurer, pour l’intéressé ou ses ascendants directs, dans la liste de familles juives séfarades protégées par l’Espagne, référencées dans le Décret-loi du 29 décembre 1948, ou dans la liste de personnes naturalisées en application du Décret Royal du 20 décembre 1924.

 

  • Par les liens de parenté de l’intéressé avec les personnes mentionnées dans l’alinéa précédent.

 

  • Par la détention d’un diplôme d’études d’histoire et culture espagnoles.

 

  • Par la réalisation d’activités en faveur de personnes ou institutions espagnoles, si elles n’ont pas été faites de façon ponctuelle ou sporadique.

 

  • Par toute autre circonstance qui démontrerait clairement sa condition de juif séfarade originaire d’Espagne et son lien spécial avec l’Espagne. »

Le Secrétariat Général de la Fédération de communautés Juives d’Espagne est aussi habilité pour délivrer des certificats attestant la condition de juif séfarade originaire d’Espagne.

Par ailleurs, les candidats devront passer un examen de langue et culture espagnoles organisé par l’Instituto Cervantes, sauf si l’intéressé est né dans un pays hispanophone.

L’indice qui a probablement suscité le plus de polémique est le nom de famille typiquement juif séfarade du candidat, indice, pouvant compléter ceux mentionnés ci-dessus.  Fatalement, de fausses listes de noms de famille se sont rapidement répandues via les réseaux sociaux…

Les candidats auront trois ans pour entamer les démarches auprès de l’administration compétente. Par ailleurs, ils ne seront pas obligés de renoncer irrévocablement à leur nationalité d’origine.

Environ 3,5 millions de juifs séfarades, dont 1,4 millions en Israël, pourraient potentiellement bénéficier de cette réforme. D’autres communautés, notamment au Brésil et au Venezuela, suivent de près la procédure parlementaire de cette loi.

Certains ont voulu voir dans cette initiative législative de l’opportunisme de la part du gouvernement, le vote espagnol à l’assemblée de l’ONU en faveur de l’acceptation de la Palestine ayant fortement refroidi les relations hispano-israéliennes.

Quoiqu’il en soit, il s’agit d’une initiative louable réparant les préjudices subis par cette communauté, et nous ne pouvons que l’applaudir.

Contact : eduard.salsas@squirepb.com