Dans le cadre de la stratégie de croissance Europe 2020 et dans le but de favoriser la compétitivité de son économie, l’Union européenne a récemment conclu un certain nombre de traités internationaux ayant pour objectifs de faciliter les échanges commerciaux entre les pays signataires de ces traités et de promouvoir les investissements sur son territoire.[1]
Le dernier en date, particulièrement controversé, dont les termes sont toujours en cours de négociation, est le Traité Transatlantique du Commerce et de l’Investissement entre l’Union Européenne et les États-Unis (dit « TTIP »).
Le TTIP, de quoi s’agit-il ?
En cours de négociation depuis 2013 dans le plus grand secret, le TTIP a tout de même déjà fait couler beaucoup d’encre. La signature, en octobre 2015, de la version transpacifique du partenariat (dit « TPP ») conclue entre les États-Unis et une dizaine de pays du pacifique n’a fait qu’attiser la controverse, surtout en Europe, comme en témoigne la récente manifestation réunissant plus de 35 000 opposants le 23 avril dernier à Hanovre.
Le projet (s’il aboutit) vise à créer une zone de libre-échange transatlantique entre les États-Unis et l’Union Européenne. Ce projet est tout particulièrement porté par Barack Obama, qui a à nouveau plaidé en sa faveur lors de son déplacement à Hanovre le dimanche 24 avril dernier.
L’ambition, qui n’est pas nouvelle, est la création d’un marché commun qui favorise une plus grande libéralisation des échanges commerciaux et financiers en « éliminant les obstacles inutiles au commerce et à l’investissement y compris les obstacles non tarifaires existants », ainsi que la croissance et l’emploi de chaque côté de l’Atlantique. Cela passerait notamment par un allègement des droits de douanes, une convergence règlementaire et un assouplissement des règlementations applicables.
Il s’agit en outre d’instaurer un nouveau mécanisme de règlements des litiges entre les entreprises investisseuses s’estimant flouées et les États (voir ci-dessous). Même si les deux côtés de l’Atlantique ne s’accordent pas nécessairement sur la forme que doit prendre ce mécanisme de règlement des différends États-Investisseurs, il est largement calqué sur l’arbitrage.
Suite au 12ème cycle de négociations du TTIP ayant eu lieu à Bruxelles du 22 au 26 février 2016, un 13ème se tenait fin avril à New York, avec l’objectif affiché par les États-Unis d’aboutir à un accord avant la fin de l’année.
Selon les quelques informations publiques disponibles sur la teneur du TTIP, il s’articule autour de trois axes de coopération principaux : l’accès aux marchés (1), la coopération réglementaire (2) et l’établissement de règles communes (3).
- Faciliter l’accès aux marchés
Trois types de mesures permettraient, selon les termes de la Commission, de faciliter les échanges et favoriser la compétitivité des sociétés européennes :
– La réduction des droits de douane sur les échanges commerciaux entre les deux continents: Les droits de douanes seraient à ce jour appliqués sur la moitié des marchandises échangées entre les États-Unis et l’Union européenne. Pour ces marchandises, les droits de douane applicables sont particulièrement variables, allant de 1% pour les matières premières, à au-delà de 100% pour certaines denrées alimentaires. L’objectif annoncé est de supprimer ces droits de douane prohibitifs.
– Faciliter les investissements et l’échange de services: Selon la Commission, les services représentent environ 60% de l’économie dans l’Union européenne. Le TTIP a l’ambition d’établir de nouvelles règles communes avec les États-Unis, notamment dans les secteurs des télécommunications, du transport maritime, ou encore des services financiers.
– Un accès favorisé aux marchés publics, en éliminant les obstacles et encourageant l’ouverture des marchés publics aux entreprises des deux continents sur chacun des marchés.
- Une coopération réglementaire plus étroite
Afin de faciliter le libre-échange et les exportations, le traité prévoit une plus grande coopération entre les autorités européennes et américaines afin de réduire notamment les formalités administratives et les coûts, et uniformiser les normes applicables entre les États-Unis et l’Europe dans de nombreux secteurs (de l’agroalimentaire, des cosmétiques et des substances chimiques aux produits d’ingénierie et des technologies de l’information et télécommunications, en passant par les produits pharmaceutiques et dispositifs médicaux, les pesticides, les textiles et les véhicules).
Cette convergence passerait par une harmonisation des exigences applicables aux produits fabriqués sur les deux continents pour assurer une plus grande compatibilité, en élaborant de nouvelles règles et révisant celles qui limitent les échanges, notamment les barrières non tarifaires et les obstacles techniques au commerce.
Un organisme de coopération réglementaire serait chargé de la mise en application des dispositions prévues au traité et de continuer cette coopération une fois les négociations terminées.
Des réserves pourraient être formulées afin de préserver le droit d’adopter de nouvelles réglementations et éviter un affaiblissement des niveaux de protection existants, notamment en matière de protection des consommateurs ou de l’environnement.
- Définir des règles communes pour améliorer la coopération et fixer des standards internationaux
Alors que les règles diffèrent dans de nombreux secteurs de l’économie, l’objectif de ce troisième volet du traité est d’établir de nouvelles règles et standards communs qui permettraient d’exporter, d’importer et d’investir plus facilement.
Procédures douanières, accès à l’énergie, développement durable, appellations d’origine… les mécanismes qui diffèrent aujourd’hui de part et d’autre de l’Atlantique seraient unifiés.
Il s’agit notamment de garantir aux entreprises un accès plus libre et durable à l’énergie et aux ressources naturelles, d’attirer les investisseurs en assurant une protection de ces investissements par la création d’un système de règlement des différends (voir ci-dessous), garantir un retour sur investissement dans la recherche, aider les consommateurs à identifier l’origine des produits ou encore permettre aux PME (moins de 250 salariés) de bénéficier des avantages du traité.
Les défenseurs du TTIP assurent qu’il ne fera que favoriser la croissance et l’emploi de part et d’autre de l’Atlantique. Toutefois, de nombreuses voix s’élèvent pour critiquer un accord trop libéral et manquant de réciprocité, tant dans sa négociation que dans ses termes. Ses détracteurs craignent une révision à la baisse des acquis sociaux, sanitaires et environnementaux (OGM, traçabilité, gaz de schiste etc.), qui sont considérés comme des barrières au commerce et aux investissements par les partisans du TTIP.
Malgré l’objectif avoué de la Commission européenne de faire bénéficier les PME d’un tel traité, d’autres critiquent la réelle valeur ajoutée qu’il représente pour les PME européennes qui exportent principalement vers les autres pays européens, et qui pourraient au contraire se voir affaiblies par l’avantage concurrentiel dont bénéficieraient les entreprises américaines sur le marché européen, notamment au regard de la faiblesse du dollar.
En tout cas, ce qui surprend surtout à ce stade, c’est l’opacité des négociations et le manque de transparence sur les termes mêmes de l’accord. La publication, le 2 mai dernier, par l’ONG Greenpeace de certains documents de négociation restés jusqu’alors confidentiels, pourrait perturber encore un peu plus l’avancée des négociations du traité.
La rivalité entre l’Union Européenne et les États-Unis cristallisée par la protection des investissements et le nouveau mécanisme de règlement des différends
La mise en œuvre d’un nouveau mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États cristallise les divergences entre l’Union Européenne et les États-Unis.
L’enjeu est de taille ; ce traité aurait pour effet de remplacer les nombreux traités bilatéraux de protection et de promotion des investissements dont les membres de l’Union européenne sont déjà signataires.
Bien que les États-Unis et l’Union Européenne s’accordent sur la nécessité d’un encadrement de la protection des investissements, ils s’opposent sur la forme qu’il doit prendre et ses modalités. Alors que les États-Unis seraient a priori plutôt favorables à une approche arbitragiste basée sur le traité bilatéral d’investissement type des États-Unis[2] et inspiré du système prévu au TTP conclu en octobre dernier[3], l’Union Européenne a pour sa part proposé la création d’un système juridictionnel public des investissement, c’est-à-dire un tribunal permanent international qui interviendrait pour tout différend relatif aux investissements.
À cet égard, une proposition de la Commission en date du 16 septembre 2015, approuvée par l’Union Européenne, a été transmise le 12 novembre 2015 aux États-Unis. Tout en affirmant l’importance de préserver le pouvoir des États à légiférer dans l’intérêt public, la proposition de la Commission contient des définitions plus précises des notions phares de l’arbitrage d’investissement afin d’assurer une interprétation uniforme par le tribunal créé, et des mécanismes visant à simplifier et rendre plus efficaces les procédures arbitrales.
La proposition comprend notamment la création d’un système de « double degré de juridiction arbitrale » en cas de litige entre les investisseurs s’estimant floués et les États.
En cas d’échec d’une résolution amiable et après avoir formé une demande d’avis auprès de l’Union Européenne, le demandeur pourrait saisir un tribunal permanent qui statuerait sous l’égide des règlements d’arbitrage CNUDCI ou CIRDI.
Ce tribunal serait composé de quinze juges nommés parmi des juristes reconnus pour leurs compétences en droit international public et droit international des investissements, pour une durée de six ans renouvelables. Cinq juges seraient nationaux d’un État membre de l’Union européenne, cinq juges des États-Unis, et cinq de pays tiers.
Le TTIP instaure également un second degré de juridiction en créant une Cour d’appel permanente, qui serait compétente pour entendre les appels des sentences délivrées par la Cour permanente de première instance dans des cas limitativement énumérés, tels que (i) l’erreur d’interprétation ou d’application de la loi applicable; (ii) l’erreur manifeste dans l’appréciation des faits, y compris l’appréciation du droit interne pertinent; (iii) les fondement prévues à l’article 52 de la Convention CIRDI (vice dans la constitution du tribunal, excès de pouvoir, corruption, inobservation d’une règles de procédure, ou défaut de motif).
L’objectif est de substituer ce système juridictionnel tant aux systèmes existants par l’intermédiaire des traités bilatéraux d’investissements qu’aux juridictions nationales des États concernés, en interdisant les procédures parallèles. À terme, la création d’un tel tribunal permanent pourrait également remplacer d’autres mécanismes de règlement des litiges existants, y compris avec des pays tiers.
Il convient de noter toutefois que la Commission européenne se positionne d’ores et déjà en affirmant de manière explicite que le droit des États de légiférer dans l’intérêt public, notamment dans le domaine social, environnemental, ou en matière de sécurité et de santé publique devra prévaloir sur l’impact économique que les mesures pourront avoir sur les investisseurs. La signature de l’accord ne devrait ainsi pas être interprétée comme un engagement d’une partie signataire (en l’occurrence un État) à la fixité de son cadre juridique et réglementaire.
Qui dit traitement juste et équitable ne signifie pas nécessairement obligation de stabilisation législative, même si cela tendra à favoriser une plus grande stabilité. Un changement de cadre législatif, réglementaire ou juridique devrait ainsi rester ouvert, même si cela peut avoir un impact négatif sur les investissements ou sur les attentes des investisseurs en termes de profits.
Malgré un système se voulant accessible et efficace, les craintes se concentrent notamment sur le possible effet prohibitif qu’aurait le recours obligatoire à l’arbitrage pour les PME, à commencer par les coûts des procédures.
A l’heure actuelle, le projet de l’Union européenne du 12 novembre 2015 permet à tout le moins d’imaginer à quoi pourrait ressembler le mécanisme de règlement des différends en matière d’investissements, même si la proposition n’a pas reçu l’approbation des États-Unis.
Contact : laure.perrin@squirepb.com
[1] On peut notamment noter les traités de libre-échange signés entre l’Union Européenne et Singapour en 2014, et le Vietnam et le Canada en 2015.
[2] Voir “Model Bilateral Investment Treaty”. [3] Les États-Unis n’ont à ce jour par encore officiellement pris position par écrit.