A l’issue de ma formation d’avocate à Londres – qui m’a conduite à passer quelques mois au 4, avenue Vélasquez, Squire Sanders m’a offert de rejoindre son bureau moscovite pour un semestre. Sans hésitations, je me suis envolée vers Moscou début Septembre, intriguée à l’idée de travailler en Russie, curieuse de retrouver une ville visitée quinze ans plus tôt à l’occasion d’échanges scolaires et non sans avoir glissé dans mes bagages un livre de grammaire russe datant du lycée… A la réflexion, un dictionnaire bilingue et une bouillotte auraient été plus indiqués.

Impressions

Moscou frappe par ses contrastes extrêmes : modernité et vétusté, changement et tradition, fortune et indigence. L’impression produite par ces oppositions est pénétrante tout comme celle de démesure dont on ne peut manquer d’être saisi, que ce soit d’un point de vue architectural ou sociétal.

Moscou est une ville organisée de façon concentrique autour du Kremlin, à proximité duquel sont situés nos bureaux, et dont le plan fait penser à une toile d’araignée. Il est aisé de s’y repérer – du moins en centre ville – que l’on lise le russe ou non. Les distances sont par contre trompeuses et ce qui peut sembler être à proximité sur la carte est souvent plus éloigné qu’il n’y paraît – plus encore lorsque l’on se laisse aller à observer l’architecture environnante. Le cœur de la ville, enserré par les « boulevards » puis par Sadovoye Kol’tso, recèle des trésors architecturaux souvent cachés tels que de superbes constructions art déco, de nombreuses églises aux multiples dômes et des hôtels particuliers. Les constructions soviétiques présentent également un intérêt – au moins historique. Nombre de ces édifices sont en triste état. On constate cependant un regain d’intérêt pour l’esthétique architecturale de la ville et des bâtiments ont été récemment rénovés ou sont en cours de rénovation. Au cours de ces dernières années, quelques immeubles ultramodernes ont été érigés en périphérie du centre, modifiant la ligne d’horizon de la ville visible depuis le campus de l’université et le parc des Jeux Olympiques de 1980 que j’avais conservé en mémoire. Ville en transition, d’ici quelques années, Moscou offrira assurément un tout autre visage.

Le renouveau de Moscou nécessite, au-delà de la réhabilitation du parc immobilier, des investissements publics d’ampleur, notamment en matière d’infrastructures. Ainsi, rien n’est plus désagréable qu’une averse à Moscou ! Il n’y a, en effet, pas, ou presque pas, de système d’évacuation des eaux dans les rues… A la moindre ondée, et elles sont légions à l’automne qui est la saison des pluies, de larges et profondes flaques se forment. Les piétons non avertis deviennent les cibles aisées des éclaboussures d’automobilistes peu scrupuleux. Il faut dire qu’à Moscou, la voiture est reine et gare aux promeneurs inattentifs. Cet aspect de la vie dans la capitale russe n’a pas changé au cours de ces quinze dernières années mais est temporisé par l’existence de nombreux passages piétons souterrains sous les voutes desquels se trouvent de petites échoppes dont on se demande de quoi elles vivent et les bouches de métro, lui-même rapide et efficace. Le centre ville est le théâtre quotidien d’embouteillages monstres, malgré les nombreux périphériques successifs et des voies très larges (les rues principales ont rarement moins de six voies et j’ai pu compter jusqu’à neuf voitures de front dans chaque sens de circulation sur certaines portions de Sadovoye Kol’tso, le second anneau intérieur). La circulation en centre ville est intense à toute heure, et il n’est pas inhabituel d’entendre au milieu de la nuit les sirènes accompagnant les gyrophares bleus signalant le droit de priorité de certains privilégiés, au grand dam du voisinage. Ce « droit de bouchon » fait d’ailleurs l’objet d’un mécontentement grandissant qui se traduit parfois par des actions coup de poings drôles mais périlleuses telles que celles d’effrontés portant un seau bleu sur la tête qui se jettent sous les roues des véhicules usant de leur sirène, au risque non seulement de se faire renverser mais aussi de se faire agresser par des chauffeurs toujours costauds et peu enclin à l’humour, comme en témoignent les vidéos disponibles sur Internet.

Vivre en centre ville n’est pas de tout repos mais couteux. La ville est en effet bruyante et nombres d’expatriés sous-estiment les nuisances sonores lors du choix de leur premier logement. De plus, les loyers sont élevés : ainsi, le montant à payer pour un studio à proximité immédiate du Kremlin dépasse les tarifs en vigueur dans les meilleurs quartiers de Londres ou Paris, alors même que le niveau de vie moyen et la qualité des logements proposés sont moins élevés. Faire ses courses en centre ville est aisé compte tenu de la pléthore de petits centres commerciaux et commerces et de leurs longues heures d’ouverture. L’industrie agro-alimentaire russe étant encore peu développée, de nombreux produits sont importés et l’on trouve des tas de marques et produits français. Cependant, l’éventail des marchandises offertes reste assez limité, la qualité est souvent décevante et les prix élevés. En matière d’habillement ou de cosmétique, Moscou offre la même diversité de choix qu’un centre urbain d’Europe de l’ouest, peut-être même davantage. Par contre, là encore, les tarifs sont plus élevés et la classe moyenne n’hésite pas à se rendre à Paris, Londres ou Munich afin d’effectuer ses achats.

Les russes sont souvent difficiles d’approche et il n’est pas aisé de s’intégrer, surtout si l’on ne parle pas la langue. Moscou est une ville où l’on mélange peu vie privée et professionnelle. La communauté des expatriés est diversifiée et très active et les opportunités de rencontres sont permanentes. Elles permettent de faire la connaissance de russes xénophiles qui prennent plaisir à vous initier à leur culture, riche et chaleureuse, ou à partager leurs expériences. Ainsi, en rejoignant un club de conversation russe et un club de randonnée, je me suis créé, au-delà des contacts que j’avais déjà sur Moscou grâce à Squire Sanders et à mes études, un réseau social varié et stimulant en quelques semaines à peine. Moscou offre une scène culturelle variée et active, que ce soit de par ses musées, si nombreux qu’il semble impossible de les dénombrer, ses théâtres, salles de concert, galeries, cirques, clubs… On trouve des librairies vendant des ouvrages classiques mais aussi les dernières parutions, en langue anglaise, française, espagnole, allemande… Plusieurs cinémas proposent des projections de films étrangers en version originale. Ainsi, au-delà de films américains ou anglais, ont été à l’affiche au cours de ces trois derniers mois des films brésiliens, japonais, allemands, français ou encore du Moyen-Orient… Il y a également une grande variété de restaurants, même si là aussi, les tarifs ne sont pas toujours en adéquation avec les prestations ni avec le niveau de vie moyen.

Présence française

Lors de mon arrivée, j’ai été surprise de l’ampleur de la communauté française à Moscou, que ce soit par l’intermédiaire de grandes enseignes telles qu’Auchan, Leroy Merlin ou Decathlon et des marques de luxe, mais aussi en raison du nombre de français vivant à Moscou et du dynamisme de cette communauté. Il est ainsi courant d’entendre du français en se baladant en ville ou dans les restaurants. Il est également intéressant de constater que les russes apprécient la France et sa culture : ainsi il y a de nombreux restaurants français ou d’inspiration française, les gens parlent souvent le français et aiment le pratiquer. Lors d’un festival du cinéma français organisé par l’Institut Français, j’ai ainsi été stupéfaite par le nombre et l’engouement des jeunes russes assistant aux projections.

Moscou est une capitale hors norme à bien des égards. Il est impossible de s’y ennuyer, tant il y a de choses à y faire et ces derniers mois ont été riches de découvertes. La ville offre aussi de nombreuses opportunités commerciales. Mais Moscou reste une capitale qui ne reflète pas son pays. Les russes disent souvent qu’il y a Moscou et qu’il y a la Russie. Moscou est une expérience à part et je vous invite à venir la partager.

Article écrit par Julie-Anne Lucchetti

Qui est Julie-Anne Lucchetti ?

Après des études à l’Université Paris II Panthéon-Assas, où elle a notamment obtenu un Master 2 en Droit Public Approfondi, puis une conversion au droit anglais, Julie-Anne Lucchetti a rejoint Squire Sanders en août 2009 en tant qu’avocate stagiaire (Trainee Solicitor). Elle est désormais inscrite au barreau anglais et exerce à Londres et Moscou dans le domaine du droit des fusions acquisitions et des investissements de type private equity.

Julie-Anne a étudié en Suède dans le cadre du programme ERASMUS et a travaillé près d’un an en Slovaquie au sein d’un cabinet d’avocat d’envergure internationale.