Cass. soc 27 mars 2012, n° 10-19915

Par un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a validé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait consommé de la drogue hors de son temps de travail.

En mai 2007, la brigade de recherches de Papeete informait le président directeur général de la compagnie Air Tahiti Nui que 33 membres de son personnel navigant commercial avaient reconnu avoir consommé des stupéfiants.

Air Tahiti Nui procédait au licenciement des salariés concernés pour faute grave. Parmi les intéressés se trouvait Monsieur Nicolas R., qui avait avoué, dans le cadre de l’enquête préliminaire, avoir consommé à deux reprises de l’ice (méthamphétamine), de la cocaïne et de l’ecstasy, lors d’escales à Los Angeles en 2005.

Monsieur Nicolas R. contestait son licenciement en justice.

Débouté de ses demandes par le Tribunal du travail puis par la Cour d’appel de Papeete, le salarié s’est alors pourvu en cassation.
Il a notamment fait valoir que :

• son licenciement constituait une atteinte à sa vie privée, les substances illicites ayant été consommées hors de son temps de travail ;

• son état n’avait pas eu la moindre conséquence sur l’exécution de ses tâches.

La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement et, après avoir rappelé qu’ « un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail » elle a relevé :

• que le salarié appartenait au personnel critique pour la sécurité ;

• qu’il s’était nécessairement retrouvé sous l’emprise de stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions ;

• qu’il n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail ;

• qu’il avait fait courir un risque aux passagers de la compagnie.

En conséquence, son licenciement pour faute grave était justifié.

Si nous savions déjà que constitue une faute grave, le fait :

• de dissimuler du cannabis dans l’enceinte de l’entreprise ;

• d’entreposer du cannabis dans un véhicule de l’entreprise ;

• d’avoir cautionné le comportement d’un salarié qui consommait plusieurs fois par jour de l’héroïne et incitait ses collègues à utiliser des produits stupéfiants en leur vendant de la cocaïne ;

c’est, à notre connaissance, la première fois que la jurisprudence admet qu’un salarié puisse être licencié pour faute grave pour avoir consommé des stupéfiants hors de son temps de travail.

Cet arrêt est une confirmation de jurisprudence, puisque déjà le 3 mai 2011, la Cour de cassation avait admis qu’un motif tiré de la vie personnelle du
salarié pouvait justifier un licenciement disciplinaire, s’il constituait un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Il s’agissait alors d’un salarié, dont les fonctions professionnelles impliquaient la conduite d’un véhicule automobile et qui avait perdu tous les points de son permis de conduire, à la suite d’infractions au code de la route commises dans le cadre de sa vie personnelle. La Cour de cassation n’avait pas reconnu l’existence d’un manquement à une obligation du contrat de travail car les infractions ayant entraîné la perte des points avaient été commises hors du temps de travail.

La solution est ici différente, car selon la Cour, l’effet de la consommation de stupéfiants s’était nécessairement prolongé pendant l’exercice des fonctions.

La Cour aurait-elle admis l’existence d’une violation d’une obligation contractuelle si le contrat de travail du salarié n’avait pas explicitement comporté l’interdiction de consommer des stupéfiants ? Nous pouvons le supposer (ou au moins le souhaiter), car l’article L. 4122-1 du Code du travail impose aux salariés une obligation de « prendre soin en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

Toutefois, compte tenu de la motivation de l’arrêt, nous recommandons de prévoir explicitement une obligation de ne pas se trouver sous l’emprise de substances psycho-actives ou illicites dans les contrats de travail des salariés occupant des postes critiques en termes de sécurité (par exemple, salarié manipulant des machines ou des substances dangereuses ou salariés assurant le transport de passagers).

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 mars 2012, l’employeur n’a eu connaissance des faits que 2 ans plus tard, dans le cadre d’une procédure pénale. Se pose alors la question de la preuve : comment un employeur peut-il déceler la consommation de stupéfiants par ses salariés ? Si les effets de l’alcool sont généralement assez visibles (certains arrêts notent par exemple que le salarié « titubait, qu’il sentait l’alcool, qu’il était rouge violacé, qu’il présentait des troubles du langage »), ceux des stupéfiants peuvent être plus difficiles à déceler. Dans l’arrêt commenté, rien ne semblait d’ailleurs laisser deviner l’état du salarié.

Cette décision rappelle donc l’importance de la rédaction des contrats de travail et des systèmes de dépistage de la consommation de stupéfiants. Lire à ce sujet : Contrôles et dépistages des psychotropes sur le lieu de travail