CJUE, 17 septembre 2005, Aff. C-257/14

Dans un précédent article, nous évoquions l’interprétation du Règlement européen 261/2004 par les juridictions françaises qui semblait rendre toute exonération au titre des circonstances extraordinaires chimérique[1].

Il est vrai que les juridictions françaises se conforment à la jurisprudence européenne et à l’interprétation particulièrement stricte de l’article 5, paragraphe 3, du règlement n°261/2004 selon lequel « un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ».

En atteste un nouvel arrêt en date du 17 septembre 2015 de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Dans cette affaire, la Cour était saisie de dix questions préjudicielles par un tribunal néerlandais, preuve que l’interprétation de l’article 5 n’en finit pas de poser des difficultés d’application sept ans après le célèbre arrêt de principe C-549/07 – Wallentin-Herman du 22 décembre 2008.

En l’espèce, le tribunal d’Amsterdam était saisi d’une demande d’indemnisation en raison d’un retard de 29 heures d’un vol opéré par KLM entre l’Équateur et les Pays-Bas. Était en cause une panne moteur de l’appareil due à la défectuosité de certaines pièces. Il ressort de l’arrêt que les pièces n’avaient pas dépassé leur durée de vie moyenne, que le fabricant n’avait pas donné d’indications concernant des vices pouvant intervenir et surtout que les défauts n’avaient pas été décelés lors d’un entretien régulier effectué un mois avant le vol. Par ailleurs, les pièces de rechange nécessaires, indisponibles en Équateur, avaient dû être acheminées par avion depuis Amsterdam afin d’être ensuite montées sur l’avion concerné.

Ces diverses circonstances invoquées par KLM, pourtant non négligeables, s’avèrent indifférentes.

La Cour résume les différentes questions à celle de savoir si l’article 5, paragraphe 3, du Règlement n°261/2004, doit être interprété en ce sens qu’un problème technique, tel que celui en cause au principal, survenu inopinément, et qui n’est pas imputable à un entretien défectueux et qui n’a pas été décelé lors d’un entretien relève de la notion de « circonstances extraordinaires » et dans l’affirmative, quelles sont les mesures raisonnables que le transporteur aérien doit prendre pour y faire face. On sait que la survenance d’un problème technique ne peut être exonératoire qu’à la condition qu’elle se rapporte à la survenance d’un évènement qui n’est pas « inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maitrise effective de celui-ci du fait de sa nature ou de son origine » (C-549/07 – Wallentin-Herman).

À ce titre, la Cour relève que si la panne provoquée par une défaillance prématurée de certaines pièces d’un aéronef constitue un évènement inopiné, elle reste « intrinsèquement liée au système de fonctionnement très complexe de l’appareil ». Dans ces conditions, la Cour considère que la panne reste inhérente à l’exercice normal du transporteur aérien, confronté de manière ordinaire à ce type de problèmes.

Dès lors, seule pourrait être exonératoire l’hypothèse dans laquelle le constructeur de l’appareil ou une autorité compétente ait constaté que l’appareil en question, mais également d’autres aéronefs, ont été atteints d’un vice caché de fabrication affectant la sécurité des vols. Cela revient à priver toute panne isolée n’affectant qu’un appareil du qualificatif de circonstance extraordinaire.

Par ailleurs, la Cour énonce que la prévention d’une telle panne ainsi que la réparation occasionnée, y compris le remplacement d’une pièce prématurément défectueuse, n’échappent pas à la maitrise effective du transporteur aérien.

Là encore, cette interprétation rigoureuse si ce n’est rigoriste s’avère particulièrement lourde pour la compagnie aérienne dès lors que les pièces n’étaient pas disponibles en Equateur et qu’il s’avérait nécessaire de les acheminer par avion depuis Amsterdam.

À noter enfin que, dans cette affaire, le gouvernement français s’était opposé à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, circonstance prise que le droit équatorien prévoit déjà un régime d’indemnisation et d’assistance dont la requérante était susceptible de bénéficier. Cependant, la Cour estime que la simple possibilité pour le passager de bénéficier d’une indemnisation est insuffisante à exclure l’application du règlement ; preuve doit être rapportée que la finalité, les conditions et les modalités de mise en œuvre du droit à indemnisation reconnu par le pays tiers sont équivalentes à celles prévues par le règlement pour pouvoir exclure l’application de ce dernier.

Contact : stephanie.simon@squirepb.com  


[1] L’interprétation du Règlement européen 261/2004 par les juridictions françaises : une exonération chimérique au titre des circonstances extraordinaires ?