Avis de la CNIL sur le décret du 21 mai 2013

La transparence est on ne peut plus tendance, notamment dans le secteur de la santé.
Un décret du 21 mai 2013 [1] a pour objet de mettre en œuvre, outre l’extension des mesures déjà existantes de la loi « anti cadeaux » [2], les nouvelles dispositions du Code de la Santé Publique (CSP) visant à exposer aux yeux du public toute relation entre les entreprises du médicament et les professionnels de santé qui pourrait être considérée comme génératrice de conflit d’intérêt. Ceci dans le but de « renforcer la sécurité » des consommateurs.

Le dispositif « transparence », en permettant l’accès des citoyens aux informations qu’il vise, leur assure une appréciation objective des relations entre professionnels de santé et industrie et  « contribue à dissiper tout soupçon éventuel quant à l’indépendance notamment des professionnels de santé, des sociétés savantes et de la presse spécialisée ». [3]

Face à ce projet de grand étalage de linge propre et sale, la CNIL a été consultée pour identifier les limites qui devraient être introduites pour protéger les données « personnelles ».

« Décret transparence » ou « Sunshine Act à la française »

Le décret du 21 mai 2013 vient préciser les modalités de « transparence » et « d’information du public » sur les relations (avantages procurés ou conventions conclues) entre les entreprises produisant ou commercialisant les produits à finalité sanitaire et cosmétique et certains acteurs de la santé.
Ce décret est pris en application de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 « relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ».

Entreprises et personnes concernées

Il s’agit, d’une part, des :

  • entreprises du médicament (laboratoires pharmaceutiques ou d’autres entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique)
  • entreprises assurant des prestations associées à ces produits

et, d’autre part, des parties contractantes ou bénéficiaires d’avantages :

  • professionnels de santé et associations ou fondations les regroupant
  • étudiants se destinant à ces professions et associations les regroupant
  • établissements de santé
  • fondations, sociétés savantes et sociétés ou organismes de conseil intervenant dans le secteur des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme
  •  entreprises éditrices de presse, éditeurs de services radio ou de télévision et éditeurs de service de communication au public en ligne 
  • éditeurs de logiciels d’aide à la prescription ou à la délivrance
  • associations d’usagers du système de santé 
  • personnes morales assurant la formation initiale des professionnels de santé ou participant à cette formation

Avantages ou liens d’intérêt

Tout avantage, en espèces ou en nature, d’une valeur supérieure ou égale à 10 euros sera rendu public.
Ces avantages peuvent être directs ou indirects, c’est-à-dire accordés au bénéficiaire concerné lui-même ou accordés à ses proches ou à des groupements dont il serait membre.

La nature de cet avantage (qui peut prendre par exemple la forme d’un repas, une invitation, un livre, etc.) ainsi que l’existence de conventions (par exemple des conventions de recherche ou de collaboration) seront également rendus publics (mais pas les conventions elles-mêmes).

Sont exclues les conventions conclues dans le cadre des relations commerciales ou salariales.

Modalités de la transparence

Publication sur un site unique

Les informations vont être publiées sur un site unique. [4]

Dans l’attente de la mise en place de ce site, ces informations seront publiées sur le site internet des ordres professionnels concernés et sur le site internet des entreprises concernées par le dispositif ou leur syndicat professionnel.

Durée

Publication pendant une durée de 5 ans (sauf pour les conventions d’une durée supérieure à 5 ans)
Archivage : 10 ans  à compter de la dernière modification

Avis de la CNIL

www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/la-transparence-des-liens-dinterets-dans-le-secteur-de-santeen-questions/

Légitimé

Dans sa délibération du 21 mars 2013, la CNIL reconnait la légitimité du traitement en raison de la volonté de lutter contre les conflits d’intérêts dans le secteur par le biais de la transparence.

Elle insiste cependant sur le fait que cet intérêt légitime doit être « concilié avec la protection des données personnelles des professionnels et étudiants concernés par le dispositif ».

Seuil

A ce titre, elle a recommandé que le seuil de déclanchement de la publication ne soit pas de zéro euro comme cela était initialement prévu.

Prévention contre l’indexation par les moteurs de recherche

Mais surtout elle a demandé que des mesures techniques soient prises pour « empêcher l’indexation par les moteurs de recherche externes au site. » « En effet, à partir du moment où une information a été indexée par un moteur de recherche, il est très difficile de s’assurer du respect des durées de conservation prévues par les textes et, pour les personnes concernées, d’exercer leur droit de rectification ». [5]

Cette demande s’est traduite dans le décret par l’article Art. R. 1453-7.CSP « L’autorité responsable du site internet public unique prend les mesures techniques nécessaires pour assurer l’intégrité du site sur lequel elle rend publiques les informations mentionnées à l’article R. 1453-3, leur sécurité et la protection des seules données directement identifiantes contre l’indexation par des moteurs de recherche. »  

Les données directement identifiantes étant les nom et prénom de la personne et l’identifiant personnel dans le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS).

La CNIL suggère même les moyens à mettre en œuvre, comme par exemple, de « placer un fichier dénommé  » robots.txt  » à la racine du site internet pour empêcher l’indexation par les moteurs de recherche ou encore de mécanismes visant à s’assurer qu’une requête est bien émise par un internaute (intervention humaine) et non par un programme informatique. On parle ainsi de  » CAPTCHA  » visuel et/ou auditif qui consiste en une suite de chiffres ou de lettres ou d’opérations à reproduire ou à effectuer manuellement.  On peut aussi générer des images pour ces données au lieu de les conserver sous forme de texte, l’image ne pouvant être indexée par un moteur de recherche externe ». [6]

Information sur l’absence de droit d’objection

A la demande de la CNIL l’article R. 1453-7.CSP précise que le site internet doit informer de « la possibilité pour la personne d’exercer son droit de rectification des informations les concernant et l’absence d’application du droit d’opposition. »

S’il n’est pas certain que cette abondance d’information va vraiment éviter ou permettre d’identifier les situations de conflits d’intérêt, il est évident en revanche qu’il faut éviter qu’elle ne puisse avoir un impact non prévu sur les personnes concernées. Face aux préoccupations soulevées par le « Big Data», les capacités de stockage sans cesse accrues et les outils de plus en plus sophistiqués d’analyse des données, la demande la CNIL d’une forme de « droit à l’oubli » semble nécessaire, même si son efficacité pourra être vite dépassée par les avancées technologiques.


[1]   Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme
  [2] Modification de l’article L. 4113-6 du CSP (issue de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 dite « loi anti-cadeaux ») l’étendant aux étudiants ainsi qu’aux associations représentant ces étudiants
  [3] Circulaire du 29 mai 2013
  [4] Cette publication reproduit les modalités de transparences adoptées par le Décret n° 2012-745 du 9 mai 2012 dans le cadre de  la déclaration publique d’intérêts que doit faire une personne prenant des fonctions auprès d’instances officielles dans le secteur de la santé. Cette déclaration qui fera l’objet d’un publication sur un site, doit faire apparaître les liens (directs ou par personne interposée) qu’elle a ou a eu durant les cinq années précédant sa prise de fonctions avec des personnes morales dont l’activité entre dans le champ des missions de santé publique ou de sécurité sanitaire de l’organisme auprès duquel elle travaille
  [5]  Il s’agit d’ailleurs de s’aligner sur ce qui a été prévu pour la déclaration publique d’intérêt sus visée.
  [6] Ceci est d’ailleurs repris par une circulaire du 29 mai 2013

Membre de voxFemina – Paroles d’Experts au Féminin