Dans un arrêt du 26 novembre 2019 (n °18/20873), la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de se prononcer sur la transmission de la clause compromissoire à l’assureur non signataire de celle-ci par le mécanisme de la subrogation.

En l’espèce, un acheteur (« Acheteur ») a passé en 2006 plusieurs commandes de câbles équipés de douilles auprès d’une autre société (« Vendeur 1 »). Ces câbles devaient répondre à des spécifications techniques établies par deux bureaux d’études. Pour ce faire, le Vendeur 1 s’est fourni en douilles auprès d’une troisième société (« Vendeur 2 »). En 2007, l’un des bureaux d’études et l’Acheteur ont signé un accord de classification contenant une clause compromissoire dont le siège du tribunal arbitral serait New York (États-Unis). Il existait également une clause attributive de juridiction au profit d’une juridiction civile (le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse) liant l’Acheteur et le Vendeur 1, découlant des conditions générales d’achat de cette dernière.

En 2014, l’assureur du Vendeur 1 a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Paris le Vendeur 2 et ses assureurs, aux motifs que les douilles fournies ne correspondaient pas aux spécifications techniques précitées. Le Vendeur 2 et ses assureurs ont soulevé des exceptions d’incompétence matérielle et territoriale. Par jugement rendu le 28 janvier 2016, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté ces exceptions d’incompétence et s’est déclaré compétent pour connaître de l’affaire. Les assureurs du Vendeur 2 ont formé contredit de cette décision le 11 février 2016 devant la Cour d’appel de Paris. Dans leurs conclusions, ils critiquaient le rejet de l’exception d’incompétence matérielle tirée de l’existence de la clause compromissoire dans l’accord de classification.

La Cour d’Appel a infirmé le jugement de première instance pour les motifs suivants.

Tout d’abord, elle a estimé que l’assureur du Vendeur 2 n’était pas seulement subrogé dans les droits du Vendeur 1 mais aussi dans les droits des sociétés du groupe de l’Acheteur, signataire de la clause d’arbitrage, selon un protocole d’accord transactionnel définitif. Pour la Cour d’appel, « l’assureur (…), qui a indemnisé son assuré, (…), en vertu de la police le liant à ce dernier est légalement subrogé dans tous les droits de celle-ci, la créance lui étant transmise avec ses accessoires, ses modalités, ses exceptions ou ses limitations, et notamment avec la clause compromissoire, dont il est dès lors fondé à se prévaloir et qui s’impose à lui ».

Ensuite, la Cour d’appel a rappelé que, « dans le droit de l’arbitrage international, les effets de la clause compromissoire s’étendent aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat dès lors que leurs situations et leurs activités font présumer qu’elles avaient connaissance de l’existence et de la portée de cette clause ». Sur ce fondement, et prenant en compte la mission donnée par le Vendeur 2 au bureau d’étude de contrôler en usine la production de ses douilles afin de répondre aux exigences de l’accord de classification, la Cour d’appel a considéré que le Vendeur 2, pourtant non signataire de l’accord de classification, avait connaissance de la clause compromissoire et était lié par cette dernière.

Enfin, la Cour d’appel a jugé que la présence d’une clause attributive de juridiction dans l’un des contrats ne faisait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la clause compromissoire, de même qu’une telle clause n’était pas de nature à rendre la clause compromissoire manifestement inapplicable.

La position prise par la cour d’appel est intéressante en ce qu’elle admet, d’une part, l’extension de la clause compromissoire à une partie non signataire du contrat qui la contient et, d’autre part, la transmission de cette clause à son assureur subrogé dans ses droits. En réalité, cette solution était plutôt prévisible.

En effet, cet arrêt fait écho à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 décembre 2018[1] selon lequel, la clause compromissoire d’un contrat d’assurance était opposable à la victime qui exerçait une action contre l’assureur dès lors qu’elle était accessoire au droit d’action. Le raisonnement implicite de la Cour de cassation avait été le suivant : la victime qui agit dans le cadre de l’action directe contre l’assureur exerce un droit de l’assuré tiré du contrat d’assurance. Le bénéfice du contrat est transféré avec ses accessoires, au rang desquels figure la clause compromissoire. Ainsi, en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel dans l’arrêt du 26 novembre 2019 n’a fait qu’adapter le raisonnement de la Cour de cassation à l’assureur.

 

Cet article a été co-écrit par Marie-Claire Da Silva Rosa et Ioulia Tsoukanova

[1] Cass. Civ. 1, 19 décembre 2018, n° 17-28951