N’exagérons rien et laissons au Corriere della Sera ce jugement aussi inquiétant que peu nuancé. De l’oeuvre parcimonieuse de Tom Robbins, né en 1936 – huit volumes depuis 1971, le dernier paru en 2003 – six ont été traduits en français, parfois assez longtemps après leur parution aux USA. « Même les cow-girls ont du vague à l’âme » [1] date de 1976 et a eu le plus grand retentissement, peut-être grâce à son adaptation cinématographique par Gus Van Sant.

Pénétrer dans l’univers de Tom Robbins nécessite de laisser au vestiaire sa raison pure, d’accepter d’entrer dans des univers fantasmagoriques variés, de suivre l’exposé de théories parfois fumeuses portées par des personnages moyennement crédibles. Ce qui par contre devrait emporter l’adhésion du lecteur, c’est le pouvoir extraordinaire de l’écriture de notre auteur, maître infatigable de la comparaison incongrue et de la métaphore délirante et, partant, d’un humour ravageur.

Les idées sont celles de la contre-culture étatsunienne post-soixante-huitarde : s’y mêlent les combats féministes, les préoccupations écologiques, l’anticonsumérisme, le pacifisme… L’auteur prône l’épanouissement individuel au sein d’une nature préservée et généreuse, non sans une certaine complaisance pour des ésotérismes variés.

Qu’on ne craigne pas toutefois le didactisme prosélyte ou le roman à thèse, car la loufoquerie règne en maîtresse absolue : c’est sur les sentiers les plus improbables que l’on suit les pérégrinations de Sissy dont le destin est marqué, pour le meilleur et pour le pire par la présence à chacune de ses mains d’un pouce surdimensionné. Le plaisir palpable de l’écrivain – qui n’hésite pas à montrer le bout de son nez au milieu des péripéties burlesques ou dramatiques de son roman et qui affiche une créativité jubilatoire – se communique, avec une délicieuse empathie au lecteur qui accepte de le suivre, aux conditions ci-dessus mentionnées.

On retrouve les mêmes vertus et la même séduction avec l’héroïne de « Une bien étrange attraction » [2], son premier roman, qui date de 1971 et vient seulement d’être traduit en français. Nul doute qu’une fois entré dans l’univers jouissif de Tom Robbins, on ait du mal à en sortir.

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[1] Editions Gallmeister totem 2010, 454 p

[2] Editions Gallmeister Americana 2010, 392 p