Cass. Civ. 3ème 30 janvier 2008 – n°06-14641
Maître d’ouvrage de droit belge ; Entrepreneur principal de droit allemand ; Contrat principal de droit suisse ; Sous-traitant de droit allemand ; Contrat de sous-traitance soumis au droit allemand ; Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ; Action directe envers le délégué ( français ) du maître de l’ouvrage ; Loi de police et Convention de Rome.
L’arrêt n° 06-14641, rendu par la troisième chambre de la Cour de cassation, en date du 30 janvier 2008, rappelle, avec intérêt, les règles de droit, protectrices du sous-traitant qui sont applicables, même en présence d’un contrat de sous-traitance soumis à loi du pays de l’entrepreneur principal, pour la réalisation de travaux de construction en France.
La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ( « la Loi de 1975 » ) est en effet, opposable à un maître d’ouvrage, dès lors qu’il s’agit, comme en l’espèce, de travaux réalisés en France, contre et outre des règles différentes qui pourraient être tirées de la loi applicable au contrat de sous-traitance pour permettre au maître de l’ouvrage d’échapper à ses obligations, particulièrement en cas d’exercice d’une action directe à son encontre par tel sous-traitant impayé de ses prestations.
Dans le prolongement d’un arrêt antérieur du 30 novembre 2007 ( Chambre mixte / n° 06-14006 ), la Cour de cassation réaffirme que la loi [ d’ordre public ] de 1975 est une loi de police au sens des dispositions combinées de l’article 3 du Code civil et des articles 3 et 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ( n° 80 / 934 / CEE ) qui détermine la loi applicable aux obligations contractuelles.
Une société de droit belge, maître de l’ouvrage, avait confié à une société de droit allemand, la conception, la livraison, le montage et la mise en service de machines et d’équipements pour une unité de fabrication de panneaux de fibres, située en France. Le contrat principal était régi par le droit suisse des obligations. Une société de droit français interviendra en qualité de maître d’ouvrage délégué.
L’entrepreneur principal avait, ensuite, sous-traité à une société également de droit allemand le montage des machines. Le contrat de sous-traitance était régi par le droit allemand.
Le sous-traitant de premier rang sous-traitera, à son tour, divers travaux dont le montage de certaines machines, à une société de droit allemand, par un contrat soumis, également, au droit allemand.
Le sous-traitant de premier rang a fait l’objet, en Allemagne, d’une procédure de faillite, et l’un des sous-traitants de second rang a engagé à l’encontre du maître d’ouvrage délégué de droit français, une action en paiement direct des sommes qui lui restaient dues.
Pour débouter le sous-traitant de sa demande en paiement formée contre le maître d’ouvrage délégué, l’arrêt de la cour d’appel retient, à tort, que le marché principal liant deux sociétés de droit étranger était soumis, conventionnellement, à la loi suisse et que les contrats de sous-traitance passés étaient soumis à l’application de la loi allemande.
D’après la cour d’appel ces lois, suisse ou allemande, ne conféraient pas au sous-traitant une action directe lui permettant d’obtenir, auprès du maître de l’ouvrage, le paiement de tout ou partie des créances qu’il détenait à l’encontre de l’entreprise principale.
La cour d’appel, sanctionnée par la Cour suprême, considérait que ces lois, stipulées par les différents contrats, n’étaient pas contraires à l’ordre public international français et que l’article 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance n’était pas une loi de police régissant impérativement la situation au sens de l’article 7-2 de la Convention de Rome.
Or la Loi [ d’ordre public ] de 1975 est une loi de police (voir également arrêt n°07-10763 du 08 avril 2008) .
Le maître de l’ouvrage et / ou son délégué ne peuvent pas ignorer, les sous-traitants déclarés ( l’article 3, de la Loi de 1975, fait une double obligation à celui-ci « d’accepter » les sous-traitants et « d’agréer » leurs conditions de paiement ), ni même les sous-traitants dont il aurait connaissance.
C’est le sens qu’il y a lieu d’attacher au visa explicite, par l’arrêt de cassation, de l’article 14-1 de la Loi de 1975, dont les dispositions visent, en tout premier lieu, « les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics », mais aussi et par extension, depuis l’intervention de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, les marchés « privés ».
« Le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ( … ), mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations » qui consistent à « faire accepter [ tel ] sous-traitant [ connu ] et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l’ouvrage ». Ce dernier doit, en outre, « exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution » prévue, « à peine de nullité du sous-traité », par les dispositions de l’article 14 de la Loi.
La loi d’ordre public a vocation à protéger les sous-traitants [ des risques d’impayés ] de manière absolue. L’article 15 de la Loi de 1975 est sans échappatoire (« Sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la ( … ) loi »).
L’arrêt du 30 janvier 2008 rappelle, à destination des acteurs économiques étrangers qui exécutent des contrats en France, contre et outre la loi contractuelle, les règles impératives et protectrices de tous les sous-traitant, même étrangers.
Loi [d’ordre public] n° 75 – 1334 du 31 décembre 1975, telle que modifiée, relative à la sous-traitance ( extraits ) :
Article 1er : [ Définition de la sous-traitance et champ d’application ]
« ( … ), la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage.
Les dispositions de la présente loi sont applicables aux opérations de transport, ( … ). »
Article 12 : [ Action directe / Principes ]
« Le sous-traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l’ouvrage.
Toute renonciation à l’action directe est réputée non écrite.
Cette action directe subsiste même si l’entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites. ( … ) . »
Article 13 : [ Action directe / Limites ]
« L’action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l’ouvrage est effectivement bénéficiaire.
Les obligations du maître de l’ouvrage sont limitées à ce qu’il doit encore à l’entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure prévue à l’article précédent. ».