Il y a 10 ans déjà, le club de football de Charleroi, en Belgique, soumettait une demande de cotation à la Commission des opérations de bourse à Paris, qui refusait la demande au motif que le club sportif manquait de stabilité financière. En France, le premier à solliciter l’introduction en bourse de son club fut le Président Scherrer du Football Club Nantes-Atlantique, mais les autorités lui opposèrent une fin de non recevoir, puisque les sociétés sportives françaises ne pouvaient faire appel public à l’épargne. Ce n’est qu’à la suite de la saisine par une demi-douzaine de dirigeants de clubs français de la Commission européenne au début des années 2000, ainsi qu’un intense lobbying auprès du Ministère des Sports, que cette réforme se mit en marche. Le 14 décembre 2005, la Commission européenne donnait en effet raison aux clubs plaignants, constatant le manquement de la loi française quant à la libre circulation des capitaux. Ceci lançait la procédure formelle devant la Cour de Luxembourg, qui aurait pu, à terme, condamner la France en manquement.

La loi du 30 décembre 2006 apporte donc les aménagements nécessaires au dispositif réglementaire en autorisant les sociétés sportives à créer des actions « au porteur » et à émettre ou céder dans le public des « instruments financiers donnant accès au capital ou aux droits de vote » . L’Olympique Lyonnais, présidé par le « visionnaire » Jean-Michel Aulas, déposait immédiatement son dossier auprès de l’Autorité des marchés financiers. Le 9 février, OL Groupe, la société holding, fêtait son inscription en bourse et demeure à ce jour le seul club français côté.

Beaucoup de clubs professionnels dans l’Hexagone sont-ils pour autant en mesure de profiter de cette nouvelle faculté et de la manne financière supposée l’accompagner ? Non, et ce pour deux raisons : la première concerne leurs formes sociales ; la deuxième relève de l’environnement économique.

Les sociétés sportives, crées en 1999 par le Ministre de l’époque, Marie-Georges Buffet, existent aujourd’hui sous trois formes : la société à responsabilité limitée à associé unique (entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée ou EUSRL), la société anonyme à objet sportif (SAOS) et la société anonyme sportive professionnelle (SASP).

Cependant, la tradition de l’association (sans EUSRL) comme fondement de la pratique sportive s’est perpétuée. Bien qu’il pèse sur ces associations sportives une obligation de constituer une société commerciale pour gérer les activités de l’association dès lors que certains seuils annuels de recettes ou de rémunérations sont dépassés, de nombreuses associations sportives jouent sur le calcul des 3 ans pour temporiser au maximum avant d’opérer la création de société requise. De même, en dépit de la possibilité qui leur est offerte de créer néanmoins une société sans avoir atteint ces seuils, beaucoup de clubs professionnels choisissent de continuer à opérer uniquement sous forme d’association. Cette réticence n’existe pas uniformément dans tous les sports. Ainsi, les clubs de rugby mettent généralement en place une structure de société puisque ce statut leur est plus favorable en termes d’aides à la formation de jeunes joueurs. Dans certains sports les clubs continuent à opérer avec le statut de la société d’économie mixte , ce qui est financièrement intéressant puisque cela permet d’accéder aux deniers publics. C’est le cas par exemple de Chalon-sur-Saône, club de basket-ball qui a atteint cette saison les demi–finales de la Pro A, ou encore de certains clubs majeurs de handball.

La nouvelle loi précise que le document de base remis aux autorités boursières doit comporter les « informations relatives [au] projet de développement d’activités sportives et d’acquisition d’actifs destinés à renforcer [la] stabilité et [la] pérennité tels que la détention d’un droit réel sur les équipements sportifs ». L’aspect sportif va de soi – il s’agit d’essayer de se qualifier pour les compétitions les plus prestigieuses (et lucratives), telle la « Ligue des Champions » – mais l’originalité de la loi réside dans le volet « acquisition d’actifs ». Rappelons qu’en France très peu de clubs sont propriétaires de leur stade, équipement qui appartient souvent à la commune ou au département. Pour prendre l’exemple du football, seule l’A.J. Auxerre en Ligue 1 possède son antre, ce qui contraste avec la situation dans divers pays européens tels l’Angleterre.

Pour obtenir l’approbation de la bourse parisienne, mieux vaut donc élaborer un projet sérieux de mise en valeur des actifs. C’est ainsi que Lyon a avancé un projet d’« OL Land », complexe qui associe le futur stade qu’il envisage de bâtir à un nouveau centre commercial. Certains médias qualifient déjà ce projet de « sportainment » (contraction des termes anglais « sport » et « entertainment »), faisant écho aux grands « shows » sportifs américains que sont les matches de basket-ball ou de football américain. En effet, ce sont ces actifs concrets et tangibles qui constituent la partie « valeur sûre » de la valorisation du titre. Et inversement, afin de financer ces projets coûteux, les sociétés sportives se tournent vers les marchés financiers pour lever des fonds.

En 2005, lors de l’examen du projet de loi visant à autoriser la cotation en bourse de sociétés sportives, une idée originale de Jean-Marc Ayrault, finalement non retenue par le législateur, avait été reprise par le Ministre de l’époque, Jean-François Lamour. Il s’agissait de constituer une société holding du club sportif, qui serait détentrice d’actions d’une part dans une société sportive (par exemple une SASP) et d’autre part dans une société titulaire d’un droit réel sur les équipements sportifs et autres installations. La cotation aurait été réalisée au niveau de cette deuxième entité, car elle aurait de fait comporté un aléa sportif moindre et un actif conséquent.

Sans évoquer l’aspect éthique qu’invoquent certains critiques, beaucoup considèrent que sport et bourse ne sont pas compatibles puisque le sport, par essence même, comporte un facteur d’aléa qui effraie et incommode les acteurs financiers. Ils s’imaginent ainsi que les actions ne sont achetées que par des amoureux du sport qui souhaitent soutenir leur équipe fétiche. Ces craintes contribuent au faible engouement des clubs sportifs français pour la cotation en bourse, alors que ces derniers accusent déjà un certain retard en la matière. Cotation boursière et sport ne sont pourtant pas aussi incompatibles qu’il n’y paraît de prime abord.

Certes, l’aléa sportif demeure relativement élevé, et de fait le cours de l’action OL Groupe a perdu plus de 14% en 5 jours suite à l’élimination de l’OL de la Coupe d’Europe le 7 mars dernier. Toutefois, nous verrons le mois prochain comment certains clubs, essentiellement à l’étranger, ont réussi à structurer leur activité pour non seulement faire croître leur chiffre d’affaires mais aussi pour le stabiliser de sorte à apporter le sourire aux actionnaires même les saisons de disette sportive.