Une information judiciaire pour « homicide involontaire par imprudence » a été ouverte la semaine dernière par le parquet de Besançon à la suite du décès par suicide dans la nuit du 10 au 11 août 2009 d’un salarié de France Télécom.

Cette procédure a été ouverte à l’encontre de la société France Télécom en tant que personne morale mais également contre l’ancien responsable du secteur Bourgogne/Franche-Comté pour « homicide involontaire par imprudence, négligence, manquement à une obligation de prudence et inattention ».

Au-delà de l’enjeu humain fondamental que met en exergue cette actualité, elle pose la question en plein de la responsabilité des employeurs en raison de la réalisation des risques psycho-sociaux.

Rappelons que l’employeur est débiteur à l’égard des salariés d’une obligation de prévention des risques susceptibles de porter atteinte à leur santé et leur sécurité qui trouve son fondement dans les articles L.4121-1 et suivants du Code du travail.

La notion de santé, on le sait, est étendue à la santé mentale et les situations de harcèlement ou la situation extrême du suicide du salarié est susceptible de manifester une violation, par l’employeur, de cette obligation.

Depuis 2002 (et les arrêts dits « amiante »), la violation de l’obligation de sécurité de résultat dont l’employeur est débiteur à l’égard du salarié constitue une faute susceptible d’être qualifiée de « faute inexcusable », qualification entraînant des conséquences indemnitaires lourdes bien connues, à la charge des entreprises.

Au-delà de cette responsabilité financière dont les conséquences relèvent de la législation protectrice relative aux accidents du travail, la responsabilité de l’employeur peut également être mise en œuvre, ainsi que l’illustre l’actualité, sur le terrain pénal (1) .

Dès lors c’est non seulement l’entreprise, en tant que personne morale qui peut être poursuivie, mais aussi la personne physique selon la nature de l’infraction (2).

Ainsi, en cas d’infraction intentionnelle, les poursuites seront engagées à la fois contre la personne physique auteur ou complice des faits, et contre la personne morale, dès lors que les faits ont été commis pour son compte par un de ses organes ou représentants. En cas d’infraction non-intentionnelle, les poursuites seront dirigées, en principe contre la seule personne morale, la personne physique n’étant susceptible d’être poursuivie qu’en cas de faute personnelle (mise en danger délibérée ou faute caractérisée).

Parmi les qualifications pénales possibles, la « mise en danger du salarié par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » (article 223-1 du code pénal (3) ) ou « l’homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » (article 221-6 alinéa 1 du code pénal (4) ). Si, en outre, la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence (imposée par la loi ou le règlement) est retenue, les peines encourues sont portées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (5).

Pour Sud (qui, dans l’affaire France Télécom, entend se constituer partie civile), « à France Télécom ou ailleurs, il est décisif aujourd’hui que les responsabilités pénales des employeurs soient engagées lorsqu’ils se rendent coupables de mettre en place des organisations du travail pathogènes, nuisibles à la santé des salariés ». L’avertissement est lancé !

Une véritable politique cohérente de prévention des risques psycho-sociaux est donc plus que jamais nécessaire. Elle passera, à n’en pas douter, par une sensibilisation et une formation du management à l’identification et au traitement des situations de stress et de harcèlement au travail, une évaluation des risques pertinente voire une négociation sur les risques psycho-sociaux pour les entreprises qui n’y étaient pas, a priori, incitées.

Enfin, la mise en place d’une véritable procédure interne à l’entreprise de traitement des allégations de harcèlement (voire de discrimination) permettra également d’identifier les situations critiques et de leur apporter la réponse appropriée dans le cadre d’un processus dans lequel les acteurs sont choisis, formés et connaissent leurs rôles respectifs.

A l’évidence, l’improvisation n’a plus sa place à l’heure où le juge (pénal) s’en mêle…

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Le 9 avril prochain, Sandrine Durieu anime avec Safia Iken une conférence intitulée :

« Harcèlements et stress au travail : Prévenir et Agir »

Venez nombreux !

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(1) Dès lors que le chef d’entreprise ne peut veiller personnellement au respect de son obligation de prévention des risques, se pose la question incontournable de la délégation de ses pouvoirs qui, si elle est valablement opérée, constituera un outil de prévention parfois obligatoire aux yeux du juge et opèrera (en cas d’échec de la prévention) un transfert de responsabilité pénale vers le délégataire.

(2) voir la circulaire de la direction des affaires criminelles relative à l’entrée en vigueur de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales.

(3) Peine encourue : 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

(4) Peine encourue: 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

(5) Article 221-6 alinéa 2 du code pénal.