Cass. Com., 18 septembre 2024, n° 22-23.075

La société par actions simplifiée (SAS) laisse aux associés une très large liberté d’organisation de son mode de fonctionnement dans le cadre de la rédaction de ses statuts. Les statuts ont une place centrale dans les SAS, ce sont eux notamment qui fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, et ils peuvent préciser, le cas échéant, les modalités et causes de révocation des dirigeants.

Néanmoins, il est fréquent que les modalités de révocation des dirigeants soient également encadrées ou précisées séparément, soit dans un contrat de mandat social conclu entre la société et son dirigeant, soit dans un pacte extra-statutaire entre les associés. Les éventuelles contradictions entre les statuts et ces accords sont source d’un contentieux abondant.

En ce qui concerne les contrats de mandat, la Cour de cassation[1] a récemment tranché : le contrat de mandat ne pouvait venir en contradiction avec les statuts, mais simplement les compléter, le cas échéant. Ainsi, une indemnité de révocation stipulée dans un contrat de mandat est inopposable à la société si les statuts excluent expressément la possibilité du versement d’une telle indemnité.

Cette solution n’est pas nouvelle mais aide à mieux saisir la façon dont il faut comprendre les rapports statuts/pacte

Par son arrêt du 18 septembre 2024, la Cour de cassation a confirmé que dans l’hypothèse où un pacte extra-statutaire encadre les modalités de révocation de son président, engage sa responsabilité délictuelle l’associé qui prononce la révocation du dirigeant en violation dudit pacte (quand bien même cette révocation intervient dans le respect des statuts). Cette solution n’est pas nouvelle mais aide à mieux saisir la façon dont il faut comprendre les rapports statuts/pacte. Elle intervient par ailleurs dans un contexte particulier, puisque le pacte n’était pas opposable à l’ensemble des associés et qu’un seul des associés était à l’initiative de la révocation.

En l’espèce trois sociétés, A, B et C, associées dans une SAS, avaient signé un pacte d’associés stipulant que la révocation du président devait être préalablement autorisée par une décision du comité exécutif, quand bien même les statuts ne prévoyaient pas un tel formalisme. Préalablement à la décision de révocation du président de la société, la société C cède l’intégralité de ses actions à une autre société, D, laquelle n’adhère pas au pacte. Par la suite, la société A, par l’intermédiaire de son dirigeant, notifie la révocation du président de la SAS dans le respect des statuts mais sans que le comité exécutif ne se soit prononcé au préalable. Par ailleurs, la révocation intervient de façon brutale dans un contexte médiatisé (communiqué de presse). Le président évincé soutient que cette décision était irrégulière, car non conforme aux stipulations du pacte, et demande réparation de la violation dudit pacte auprès de la société A et de son dirigeant sur le fondement de la responsabilité délictuelle, dès lors que cette violation lui a causé un préjudice.

La Cour d’appel, en se fondant sur les stipulations du pacte d’associés, a effectivement déduit qu’une décision du comité exécutif de la SAS était nécessaire et qu’en conséquence, la société A, signataire du pacte avait commis une faute en ne respectant pas la procédure extra-statutaire, quand bien même la révocation intervenait conformément à la lettre des statuts.

La haute juridiction confirme l’arrêt d’appel. Elle motive en particulier sa décision par le fait que le respect du pacte ne se serait pas fait au détriment du respect des statuts. Ainsi, la nécessité d’une décision du comité exécutif venait compléter les statuts mais n’intervenait pas en contradiction avec ces derniers (contrairement à la jurisprudence visée ci-dessus où les statuts excluaient explicitement tout paiement d’une indemnité en cas de révocation).

En sus, l’arrêt pose la question intéressante de l’opposabilité d’un pacte extra-statutaire aux tiers. En l’espèce, la société D, cessionnaire des parts de la société C, n’en était pas signataire et n’y avait pas adhéré. La Cour de cassation ne retient logiquement que la responsabilité de la partie ayant initié la violation, de même que son dirigeant, sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La société D n’était logiquement pas inquiétée, ni la société B, qui ne semblait pas avoir pris part à la décision de révocation. Il convient de noter que la responsabilité de la société elle-même aurait sans doute pu être recherchée si elle avait été partie au pacte.

Cet arrêt nous permet de mieux comprendre la façon dont doit s’organiser la hiérarchie statuts/pacte extra statutaires et invite le praticien à la plus grande prudence dans la rédaction et l’application de ces documents. Afin de limiter les risques, une bonne pratique est sans doute de s’assurer que les documents sont parfaitement harmonisés quand cela est possible. Malheureusement ce n’est pas toujours le cas, pour des raisons de confidentialité ou de droit des sociétés[2].


[1] Cass.com 9 mars 2022-n°19-25.795

[2] Refléter certains droits sur la gouvernance peut nécessiter de faire intervenir un commissaire aux avantages particuliers, s’ils sont personnels ou attachés à une catégorie d’actions.