La rémunération des dirigeants est un sujet régulièrement revisité par le législateur. Jugée démesurée voire indécente en raison des annonces de suppression massives d’emploi en France, la rémunération des dirigeants des sociétés cotées à la Bourse de Paris a donné lieu à plusieurs vagues de réformes depuis 1983 (loi NRE, loi Breton, loi TEPA, LME). Le Sénat a souligné dans sa proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations (session ordinaire du 23 octobre 2008), que les patrons français étaient parmi les mieux payés d’Europe avec une rémunération moyenne de l’ordre de 4,4 millions d’euros par an. Sommes généreuses en ces temps de crise !
Sujet purement d’ordre interne à l’entreprise, le statut du dirigeant est devenu un débat politique, voire un débat de société. Mais le débat ne s’arrête pas aux dirigeants et mandataires sociaux, il concerne aussi les « traders » des salles de marché, gestionnaires de fonds et autres spécialistes des produits dérivés. Ne pouvant s’immiscer dans la gestion des entreprises françaises, le législateur cherche néanmoins à oeuvrer pour que la transparence devienne une exigence légale. La rémunération des dirigeants est ainsi progressivement passé de « tabou » en une information de droit envers les actionnaires et connue de tous (Proposition de loi – session ordinaire du 23 octobre 2008).
Néanmoins, le travail reste inachevé et les récents échos sur les retraites chapeaux et autres rémunérations variables des dirigeants ont réouvert le débat sur leurs conditions de versement. Nous observons que l’exigence d’information porte désormais sur une parfaite connaissance des conditions d’attribution des rémunérations et modalités de calcul.
Dans cet esprit, le décret n°2009-348 du 30 mars 2009 dit « décret Fillon » sur la rémunération des dirigeants des entreprises bénéficiant du soutien de l’Etat, vient compléter la réglementation en vigueur mais de façon temporaire, dans l’attente éventuelle d’une réforme globale du statut du dirigeant. « L’objectif c’est évidemment de se limiter à la période de crise » a ainsi annoncé le Premier Ministre. L’article 7 du décret prévoit en effet une application jusqu’au 31 décembre 2010, sauf prolongation ultérieure.
Le décret vise à prévenir les abus en période de crise et impose aux entreprises bénéficiant du soutien exceptionnel de l’Etat, comme aux entreprises publiques, de nouvelles obligations d’information et d’attribution ou versement de certains types de rémunérations variables des dirigeants.
Entreprises privées bénéficiant du soutien de l’Etat
Le bénéfice de prêts accordés d’un montant supérieur à 25 millions d’euros par l’Etat ainsi que le recours aux émissions d’actions ordinaires, d’actions de préférence ou de titres super-subordonnés, sont subordonnés à la conclusion d’une convention dont l’objet est de :
– supprimer temporairement l’attribution d’options de souscription ou d’achat d’actions (les fameux stock-options), d’actions gratuites aux présidents du conseil d’administration, conseil de surveillance ou gérants, directeur général, directeurs généraux délégués, membres du directoire.
– interdire le versement ou l’attribution d’autres éléments variables de leur rémunération en cas de licenciements de forte ampleur. Ce dernier terme n’étant pas défini, sera certainement source de discussion.
En outre, les rémunérations variables calculées en fonction de critères de performances quantitatifs et qualitatifs, objet d’autorisation par le conseil d’administration ou de surveillance, ne peuvent excéder l’équivalent de la rémunération annuelle. Cette autorisation est rendue publique. L’information porte donc sur la procédure d’autorisation des rémunérations variables et leur mode de calcul. Le texte ne précise cependant pas le contenu de cette autorisation.
L’entreprise devra adresser au plus tard à l’issue de la première assemblée générale qui suit l’entrée en vigueur du décret, les informations nécessaires attestant du respect des dispositions du présent décret.
Un décret du 20 avril 2009 portant modernisation du fonctionnement du Fonds de développement économique et social (FDES) est venu complété l’édifice en encadrant plus strictement les stock-options, les bonus, mais aussi les retraites chapeaux, qui ne figuraient pas dans le décret d’origine.
La création de régimes de retraite, au bénéfice du président du conseil d’administration, du directeur général, des directeurs généraux délégués, des membres du directoire, du président du conseil de surveillance ou des gérants, est interdite.
Le bénéfice de ces régimes pour ces catégories est réservé aux personnes ayant des droits potentiels au titre de ces régimes avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009. L’octroi de droits potentiellement plus favorables à ces personnes est interdit.
Entreprises publiques cotées
Le décret reprend l’interdiction de cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail. Cette disposition ne s’impose toutefois qu’aux directeurs généraux et présidents du directoire dont le mandat vient à échéance entre le 31 mars 2009 et le 31 décembre 2010.
Une même exigence de transparence sur les modalités de calcul et d’octroi des rémunérations variables est prescrite. Les décisions rendues par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance seront rendues publiques.
Enfin, l’indemnité de départ est plafonnée au montant des deux années de rémunération et versée uniquement en cas de départ contraint, à la condition que le bénéficiaire remplisse des critères de performance exigeants. Cette dernière disposition sème le doute sur la nature des rémunérations prises en compte (fixe, variable, exceptionnelle) dans le calcul du plafonnement et l’effectivité des critères de performance.
En complément…
Le statut du dirigeant sera prochainement modifié sur un certain nombre d’aspects.
Le Premier ministre a annoncé une fiscalité « extrêmement importante » des retraites chapeaux en 2010.
La Commission européenne doit adopter fin avril une nouvelle recommandation sur les dirigeants de sociétés cotées. Cette dernière devra être transposée d’ici la fin d’année 2009. L’objectif étant de limiter le montant des indemnités de départ à deux années de rémunération fixe et préciser les conditions d’exercice des stocks-options.
En conclusion, la portée assez limitée de ce décret pourrait être néanmoins interprétée comme un effet d’annonce sur le ton des réformes à venir. Ces dispositions seront-elles transposées à toutes les sociétés cotées françaises ? En tout cas, nous savons que le sujet est sérieusement pris en compte en France et en Europe. Les prochaines discussions sur la fiscalité de la rémunération des dirigeants seront également capitales. Espérons quelles réussiront à réconcilier les dirigeants avec la société ?