Projet de loi n°2760 portant réforme des retraitesCass. soc. 6 juillet 2010, n°09-40021

Les entreprises ne peuvent plus faire l’impasse sur les questions d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes : par touches successives, le législateur et la Cour de cassation construisent un édifice normatif qui finira par contraindre les entreprises à se saisir de la question sous peine d’avoir à payer la facture.

Le projet de loi portant réforme des retraites cache, en son article 31, une nouvelle sanction potentielle pour les entreprises mauvaises élèves sur le thème de l’égalité professionnelle, sur le modèle, semble t-il, du plan d’action en faveur de l’emploi des seniors.

Selon l’exposé des motifs du projet de loi, l’amélioration de la situation des femmes au regard des droits à la retraite « nécessite une réduction des inégalités constatées pendant l’activité tant en matière de carrière qu’en matière de salaire ».

Une récente étude de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) révèle que les femmes de 39 à 49 ans gagnent 27% de moins que les hommes du même âge (17% si l’on ne retient que les femmes n’ayant connu aucune interruption de carrière pour raison familiale).

Rappelons que le constat de l’inégalité professionnelle entre hommes et femmes n’est pas nouveau puisque, dès 1983, le législateur a obligé les entreprises à établir une analyse chiffrée permettant d’apprécier la situation respective des femmes et des hommes en matière d’emploi .

La loi dite « Roudy » a alors imposé aux entreprises de consigner l’étude faite dans un rapport spécifique soumis au CE pour avis (sauf pour les entreprises de moins de trois cents salariés pour lesquelles, depuis 1993, l’analyse est intégrée dans le rapport unique sur la situation économique de l’entreprise).

Aujourd’hui donc, l’article L2323-47 du code du travail impose aux entreprises de moins de trois cents salariés d’insérer dans le rapport annuel sur la situation économique de l’entreprise une étude de la situation comparée des conditions d’emploi et de formation des femmes et des hommes. Pour les entreprises de trois cents salariés et plus, cette étude doit faire l’objet d’un rapport spécifique en vertu de l’article L2323-57 du même code.

L’article 31 du projet de loi portant réforme des retraites soumet « l’employeur qui n’a pas respecté les obligations fixées à l’article L.2323-57 » à une sanction financière d’un montant maximal de 1% de la masse salariale brute destinée à alimenter le Fonds de Solidarité Vieillesse. Le texte précise néanmoins que cette sanction se substituerait à celle, implicitement encourue, du délit d’entrave.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit l’obligation pour les entreprises de plus de 300 salariés d’organiser la publication « d’indicateurs et d’objectifs de progression (…) permettant d’analyser la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise et son évolution ». Selon l’exposé des motifs, cette publicité pourrait être assurée selon deux modalités au choix des entreprises : sur internet ou … dans la presse.

A défaut de publicité effective au 31 décembre 2011, le projet de loi prévoit l’obligation pour l’entreprise de communiquer ces données à toute personne (y compris extérieure à l’entreprise) qui en ferait la demande (les journalistes si l’on reprend l’exemple cité par l’exposé des motifs !).

Voilà qui ressemble fort au dispositif de stigmatisation qui avait prévalu au moment de la négociation des accords sur les risques psychosociaux, le gouvernement s’étant proposé d’établir une liste de mauvais élèves consultable par le public sur internet.

Lors de l’examen du projet par la Commission des affaires sociales du 20 au 22 juillet dernier, le texte gouvernemental a d’ores et déjà fait l’objet de modifications. Cette dernière a en effet accepté des amendements visant à :

– étendre cette sanction aux entreprises de moins de trois cents salariés ;

– insérer l’obligation pour les entreprises d’établir, en sus du rapport, un plan d’action recensant :

  • les objectifs et les mesures prises au cours de l’année écoulée en vue d’assurer l’égalité professionnelle,
  • les objectifs de progression pour l’année à venir
    oet la définition des actions permettant de les atteindre ainsi que l’évaluation de leur coût ;

– imposer la même pénalité aux entreprises qui ne seraient couvertes ni pas un accord sur l’égalité professionnelle, ni par un plan d’action. Cette pénalité de 1% serait due pour les périodes au titre desquelles l’accord ou le plan d’action fait défaut à compter du 1er janvier 2012 (ou de l’échéance de l’accord ou du plan d’action s’il existe déjà dans l’entreprise).

Bien que le projet de loi n’ait pas encore été présenté à l’Assemblée nationale , l’article 31 est la preuve que l’étau se resserre autour des entreprises sur le thème de l’égalité professionnelle d’autant plus que la Cour de cassation continue de mettre sa pierre à l’édifice comme en témoigne sa décision récente du 6 juillet dernier.

L’affaire qui lui a été soumise concernait une responsable des ressources humaines qui, à l’occasion de la contestation de son licenciement, sollicitait un rappel de salaire au motif que la rémunération de ses collègues masculins respectivement directeur des opérations, directeur commercial, directeur informatique et directeur administratif et financier était largement supérieure à la sienne alors qu’elle bénéficiait de la même classification qu’eux et participait, au même titre qu’eux, au comité de direction de l’entreprise.

Or, le code du travail impose , en effet, de rémunérer à l’identique des travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles et de capacités.

Jusqu’à lors, la Cour de cassation refusait de comparer le travail effectué par des salariés occupant des fonctions différentes . En sollicitant la comparaison avec ses collègues, la responsable des ressources humaines n’avait donc, en principe, que peu de chances d’être entendue.

Pourtant, au terme d’une longue procédure au cours de laquelle le Parquet général de la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs été invité à présenter ses observations, la société a finalement été condamnée à payer à la salariée un rappel de salaire d’un montant de plus 50 000 euros en raison de l’inégalité de rémunération constatée.

La Cour a en effet décidé que la valeur des travaux effectués pouvait supporter une comparaison qui dépasse les fonctions : en l’occurrence pour les magistrats, la fonction RH n’est pas d’une valeur inférieure à la fonction financière…

L’entreprise a eu beau plaider l’immixtion du juge dans la gestion de l’entreprise et l’atteinte excessive à la liberté d’entreprendre, rien n’y a fait. Pour les magistrats, « s’il est exact que des fonctions de directeur commercial apparaissent essentielles pour le développement de l’entreprise dans la mesure où le chiffre d’affaires de celle-ci dépend largement de cette fonction, pour autant, l’aspect commercial des activités de la, société n’est rendu possible que si un certain nombre d’autres fonctions à caractère plus organisationnel et administratif sont correctement tenues : finances, organisation administrative, développement informatique. Un tel ensemble ne peut également fonctionner que grâce à des ressources humaines appropriées et bien gérées et dans un cadre juridique sécurisé. »

En abandonnant l’interprétation restrictive consistant à circonscrire le périmètre de comparaison à la fonction, la Cour de cassation, suivant les observations du Parquet, a opéré un revirement de jurisprudence lourd de conséquences en pratique.

Si l’on ajoute que les contentieux prud’homaux sur ce thème semblent connaître un essor inattendu, voilà donc qui devrait inciter les entreprises à s’orienter, tant qu’il en est encore temps, vers un resserrement lent mais certain entre les rémunérations disparates que la simple production du bilan social suffit souvent à mettre en évidence s’agissant de l’entreprise dans son ensemble. De là à constituer un commencement de preuve dans le cadre d’un litige prud’homal, il n’y a qu’un pas…