Le règlement (UE) 1129/2017 du 14 juin 2017 (appelé « Règlement Prospectus ») a modifié la règlementation relative à l’établissement d’un prospectus notamment en cas d’offre au public de titres financiers, ce qui a conduit à modifier le Règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

L’offre au public de titres financiers (ou « OPTF ») est définie comme étant « toute communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces titres financiers ». Cette définition que l’on retrouve à l’article L.411-1 du Code monétaire et financier découle de la Directive Prospectus de 2003[1]. Cette dernière a imposé, en cas d’OPTF, l’établissement d’un document d’information détaillé relatif à l’émetteur et aux titres offerts. Ce document, appelé « prospectus », établi sous l’entière responsabilité de l’émetteur, est soumis au visa de l’AMF et publié dans une optique de protection des investisseurs. Par principe, un prospectus doit être établi pour toute OPTF. Il existe toutefois des cas d’exemptions.

Les seuils d’exemption avant le Règlement Prospectus

En France, avant le 21 juillet 2018, ne constituait pas une OPTF, l’offre dont le montant total dans l’Union Européenne (« UE ») était inférieur à un seuil de 100 000 €[2]. L’émetteur placé dans cette situation était ainsi dispensé de produire un prospectus. L’offre dont le montant total dans l’UE était compris entre 100 000 € et 5M € et qui portait sur des titres financiers qui ne représentaient pas plus de 50% du capital de l’émetteur ne constituait pas non plus une OPTF[3]. Là encore, l’émetteur était dispensé de produire un prospectus. Il faut à cela ajouter les cas particuliers de dispenses de prospectus pour certains types d’offres, notamment (1) les offres de titres financiers à destination de certaines personnes[4], dites offres par « placement privé », (2) les offres de titres financiers à raison de certains montants minimum de souscription[5], ou encore (3) les offres de titres financiers qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou un SMN[6] et qui sont proposées au moyen d’un site internet de financement participatif et dont le montant total est inférieur à 1M €[7].

Le Règlement Prospectus a modifié les seuils d’exemptions tout en maintenant les cas particuliers de dispense. Bien qu’il entrera intégralement en application à compter du 21 juillet 2019, certaines de ses dispositions sont d’ores et déjà applicables, notamment celles relatives au relèvement des seuils de dispense de prospectus, ce qui a conduit à une modification récente des dispositions du Règlement général de l’AMF[8].

Le nouveau seuil unique rehaussé

Depuis le 21 juillet 2018, ne constitue pas une OPTF l’offre dont le montant total en France et dans le reste de l’UE est inférieur à 8M €, peu important le pourcentage représenté par les titres financiers offerts par rapport au capital de l’émetteur. Ce rehaussement du seuil d’exemption relève d’une option laissée par le Règlement Prospectus à l’appréciation des États membres. Cette flexibilité est censée permettre l’adaptation des droits nationaux en fonction de la taille des marchés respectifs. Le Règlement Prospectus impose toutefois aux États membres un seuil d’exemption impératif minimum de 1M €[9]. La France ayant fait le choix de porter le seuil de dispense à son niveau le plus élevé, l’émetteur sera donc dispensé d’établir un prospectus si son offre est inférieure au seuil de 8M €, montant calculé sur une période de 12 mois suivant la date de la première offre. Le calcul doit tenir compte d’autres offres éventuellement réalisées dans les 12 derniers mois en France et dans le reste de l’UE. L’objectif est d’éviter une multiplication des offres inférieures aux seuils fixés dans et par chaque État membre, permettant ainsi d’échapper au seuil au-dessus duquel un prospectus doit être établi.

Ce rehaussement du seuil d’exemption ne semble pas profiter pour le moment aux offres au public de titres financiers proposées par l’intermédiaire d’un Conseiller en Investissements Participatifs (CIP) au moyen d’un site internet de financement participatif. Le seuil d’exemption applicable à ces offres reste inchangé (1M € ou 2,5M € selon la nature des titres émis)[10]. Elles semblent incluses dans le seuil de 8M €, l’article 211-2 II du Règlement général de l’AMF, dans sa nouvelle rédaction, précisant, s’agissant du montant des offres exemptées au titre du nouveau seuil, que le montant total « de ces offres[11] est inférieur à 8M € calculé sur une période de douze mois ». A priori, il faut donc désormais prendre en compte dans le calcul du seuil maximum, à la fois les offres au public de titres financiers « directes » et les offres au public de titres financiers réalisées via un site internet de financement participatif.

L’exigence d’un document d’information synthétique (DIS)

Ce rehaussement de seuil consacré par le Règlement général de l’AMF[12] semble donc plus favorable aux émetteurs en leur évitant le coût et le temps que représente la mise en place d’un prospectus. Toutefois, cette dispense ne signifie pas une totale absence d’information pour les offres inférieures au nouveau seuil. Le Règlement Prospectus a en effet autorisé les États membres à imposer d’autres obligations d’information au niveau national, dès lors qu’elles « ne constituent pas une charge disproportionnée ou inutile »[13]. Dans cette optique, l’AMF a introduit au sein de son Règlement général un chapitre II bis intitulé « information synthétique à diffuser en cas d’offre de titres financiers ouverte au public ne faisant pas l’objet d’un prospectus visé par l’AMF ».

Ce chapitre est notamment relatif à l’établissement d’un Document d’Information Synthétique (DIS). Ce document doit être rédigé par « les personnes ou entités » qui procèdent à une offre de titres financiers dont le montant total en France et dans le reste de l’UE est inférieur à 8M € lorsque cette offre (1) n’est pas exclusivement réalisée par l’intermédiaire d’un site internet de financement participatif[14], ou (2) lorsqu’elle porte sur des titres financiers qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un SMN, ou bien encore (3) lorsqu’elle porte sur des titres financiers dont l’admission aux négociations sur ces marchés n’est pas demandée[15]. Ces « personnes ou entités » doivent publier et transmettre à toute personne intéressée, préalablement à toute souscription ou acquisition, un DIS comportant entre autres diverses informations sur l’émetteur, lequel engage sa responsabilité quant à l’exactitude des éléments fournis, ainsi que sur les titres offerts. Ce document est également déposé à l’AMF préalablement à la réalisation de l’offre de titres financiers[16] sans toutefois être revu ou approuvé par l’AMF (toute référence dans le DIS à une quelconque revue ou vérification de l’AMF est interdite[17]). Limité quant à sa taille[18], le DIS, qui ressemble trait pour trait au Document d’Information Règlementaire Synthétique (DIRS) requis en cas d’offre réalisée au moyen d’un site internet de financement participatif[19], se rapproche d’un mini-prospectus sans pour autant en offrir tous les avantages d’un point de vue commercial puisqu’il ne bénéficiera pas du « passeport » de commercialisation.

Ce nouveau chapitre II bis instaure également un contrôle des communications à caractère promotionnel applicable aux offres inférieures à 8M €, quels que soient leur forme et leur mode de diffusion. Ces communications doivent être transmises à l’AMF préalablement à leur diffusion et doivent remplir un certain nombre de conditions et d’obligations énumérées au sein du Règlement général de l’AMF[20]. Sans les approuver, l’AMF peut toutefois exiger que les communications à caractère promotionnel comportent un avertissement sur certaines caractéristiques exceptionnelles présentées par l’émetteur, les garants éventuels ou les titres financiers offerts.

Pour conclure, le rehaussement du seuil en France à partir duquel un prospectus doit être établi va probablement contribuer à faciliter les offres de titres financiers. Un certain équilibre semble avoir été trouvé entre la volonté de faciliter les offres de titres sans prospectus et la nécessité de maintenir un niveau minimum d’information pour les investisseurs. Il faut désormais tenir compte des nouvelles obligations d’information qui s’appliquent potentiellement à toute offre de titres inférieure à 8M €, sauf dans les cas particuliers de dispenses précédemment cités[21]. Il est également à prévoir une possible modification du cadre règlementaire applicable aux offres réalisées au moyen d’un site internet de financement participatif, le nouveau régime n’étant plus à l’avantage de ce type d’offre.

[1]     Directive n° 2003/71/CE notamment modifiée par la directive n°2010/73/UE qui a rehaussé les montants relatifs aux exemptions.

[2]     Article L.411-2 I 1 du Code monétaire et financier et 211-2 I. 1° du Règlement général de l’AMF dans sa rédaction antérieure au 21 juillet 2018.

[3]     Cas non prévu par la directive prospectus et institué en France à l’article 211-2 I 2° du Règlement général de l’AMF dans sa rédaction antérieure au 21 juillet 2018.

[4]     Il s’agit des offres faites adressées uniquement à des investisseurs qualifiés et / ou à un cercle restreint de personnes (moins de 150 personnes physiques ou morales).

[5]     Il s’agit des offres dont la valeur nominale des titres émis est supérieure à 100 000 € et / ou l’offre acquise pour un montant total d’au moins 100 000 € par investisseur et par offre distincte.

[6]     Système Multilatéral de Négociation.

[7]     Articles L.411-2 I bis et D.411-2 du Code monétaire et financier. Par exception, le montant total peut être porté à 2,5M € pour les offres réalisées via un Conseiller en Investissements Participatifs (CIP) et dont les titres de capital offerts ne représentent pas plus de 50% du capital de l’émetteur.

[8]     Le Règlement général de l’AMF a été modifié le 21 juillet 2018.

[9]     Règlement prospectus, article premier, paragraphe 3.

[10]    Article D.411-2 du Code monétaire et financier.

[11]    Sont ici visées les offres mentionnées au 1° du I ainsi que celles prévues au I bis de l’article L.411-2 du Code monétaire et financier.

[12]    Règlement général de l’AMF, article 211-2 I. 1°.

[13]    Règlement prospectus, article premier, paragraphe 3, alinéa 2.

[14]    A contrario, lorsque l’offre inférieure à 8M € est réalisée exclusivement au moyen d’un site internet de financement participatif (répondant aux caractéristiques fixées par le Règlement général de l’AMF), elle est soumise à l’établissement d’un Document d’Information Règlementaire Synthétique (cette hypothèse ne vise que les cas où l’offre est émise par l’intermédiaire d’un Prestataire de Service d’Investissement, dans la mesure où le CIP est limité aux offres inférieures à 2,5M €). A priori, lorsque l’offre est réalisée à la fois au moyen d’un site internet de financement participatif et par le biais d’une offre « directe », il n’est pas à exclure que le DIRS et le DIS se cumulent.

[15]    Article 212-43 du Règlement général de l’AMF.

[16]    Articles 212-43 et 212-44 du Règlement général de l’AMF.

[17]    Règlement général de l’AMF, article 212-45 alinéa 2.

[18]    Instruction AMF DOC-2018-07 – Information à fournir aux investisseurs dans le cadre d’une offre ouverte au public d’un montant inférieur à 8 millions d’euros.

[19]    Ce DIRS n’est pas mentionné expressément au sein du Règlement général de l’AMF. Cette dernière en fait état dans son instruction AMF DOC-2014-12 sur la base d’un document d’information à fournir conformément aux articles 217-1 et 217-2 de son Règlement général.

[20]    Article 212-46 du Règlement général de l’AMF. Les communications à caractères promotionnelles doivent par exemple annoncer qu’un DIS a été ou sera publié, être clairement reconnaissables en tant que telles, ne pas comporter d’indications fausses ou de nature à induire en erreur, comporter des informations cohérentes avec celles contenues dans le DIS, etc.

[21]    Il s’agit (1) des offres de titres financiers à destination de certaines personnes (dites offres par « placement privé »), (2) des offres de titres financiers à raison de certains montants minimum de souscription, et (3) des offres de titres financiers qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou un SMN et qui sont proposées au moyen d’un site internet de financement participatif.