La loi espagnole 35/2010 du 17 Septembre 2010 sur les mesures urgentes pour réformer le marché du travail apporte plusieurs nouveautés concernant les licenciements fondés sur des raisons «économiques, techniques, organisationnelles ou productives », avec une attention particulière sur le nouveau libellé de l’article 51.1 et 52.c) du «Estatuto de los Trabajadores» (ET). Ces modifications ont donné lieu à un intense débat politique et social en Espagne puisque certains acteurs estiment que la réforme du marché du travail a rendu beaucoup trop flexible ou du moins plus facile la justification ce genre de licenciements. Nous analysons ci-après les changements introduits par le législateur pour ensuite évaluer leur impact.

Avant la réforme de 2010, la loi et la jurisprudence subséquente avaient imposé des critères stricts pour autoriser des licenciements collectifs (art. 51.1 ET) et individuels (art. 52-c) ET) fondés sur des raisons économiques, techniques, organisationnelles ou productives. Concernant les licenciements collectifs pour motif économique, deux conditions devaient être remplies afin de les justifier, à savoir qu’une situation économique négative soit constatée (conception assez vague, abondamment interprétée), et que le licenciement collectif soit déterminant pour surmonter cette situation négative. Concernant ceux fondés sur des raisons techniques, organisationnelles ou productives, ils n’étaient justifiés que s’ils contribuaient à la sauvegarde de l’emploi dans l’entreprise et sa future viabilité au travers d’une amélioration de l’organisation des ressources humaines. Le libellé de cet article, en particulier les notions très vagues de «situation économique négative» et de «sauvegarde et sécurisation de l’emploi dans l’entreprise », ont donné lieu à une abondante jurisprudence de la Cour suprême espagnole (TS). Pour la qualification d’une « situation économique négative» il avait été généralement exigé que des pertes comptables se soient produites pendant au moins les trois années précédentes, et ce à l’appui de documentation d’audit indépendant. Cependant, plus problématique était la preuve pour la qualification de «sauvegarde et sécurisation de l’emploi dans l’entreprise ». En effet, étant donné que normalement l’employeur ne disposait que de rapports prévisionnels ou de prédictions futures, la preuve du fait que le licenciement contribuerait à surmonter la situation s’avérait fort difficile. Cette difficulté se manifestait particulièrement dans le cas d’entreprises proches du dépôt de bilan. Néanmoins, le TS a relativisé sa position en précisant que dans ces cas, la condition devait être interprétée de façon plus flexible (TS RJ 2008/5536, 28 Septembre 2008).

La nouvelle rédaction des articles 51.1 et 52.c) ET a unifié le critère de qualification des licenciements pour raisons économiques, techniques, organisationnelles ou productives. Le concept de « situation économique négative » a été remplacé par la notion de « pertes réelles » ce qui, selon le projet de règlement d’application de la loi, va raccourcir l’exigence de persistance des pertes comptables d’un ou deux ans. Mais la nouveauté la plus importante est l’ajout de nouvelles hypothèses justifiant le licenciement. Il s’agit des « pertes attendues » ou « chute prévue du chiffre d’affaires » pouvant désormais justifier le licenciement individuel ou collectif. Cet élargissement des situations justifiant les licenciements a déclenché un intense débat politique, social et juridique. Les licenciements préventifs sont désormais autorisés non seulement dans le cas de prévision de pertes comptables mais aussi dans le cas d’une chute importante des revenus, même si des pertes, au sens économique du terme, ne sont pas envisagées. La nouvelle loi ne définit pas les limites de ces prévisions, il est donc fort probable que les tribunaux vont éclairer cette question. Cependant il paraît prévisible que la jurisprudence n’accepte que les anticipations de transformations structurelles et non conjoncturelles du marché. Enfin, la nouvelle loi a remplacé l’exigence antérieure de licenciements déterminants pour « surmonter » la situation par un critère beaucoup plus souple consistant en des licenciements qui contribueront de manière «raisonnable» à garantir la viabilité de l’entreprise dans le nouveau contexte économique.

Le fait que la réforme soit relativement récente oblige à évaluer de manière prudente son impact sur l’ordre juridique et sur le marché du travail espagnol. En supprimant l’exigence de ce que le licenciement soit déterminant pour surmonter la situation négative, la réforme a clairement élargi la notion de « difficultés économiques », certainement sous l’influence de la crise mondiale qui a pénalisé l’économie espagnole. L’introduction du critère de pertes futures ou chute des revenus, ainsi que la réduction des exigences concernant les pertes passées sont censées permettre aux entreprises espagnoles de s’adapter plus rapidement aux transformations économiques, notamment à la chute de la demande et aux difficultés dans la commercialisation des produits. De façon générale, le licenciement préventif (individuel ou collectif) est désormais accepté dans le but d’éviter le risque de pertes futures ou la complication de situations économiques délicates qui peuvent aboutir à des pertes irréversibles.

Même si, à priori, la législation espagnole du travail semble avoir enfanté un deus ex machina, il faut relativiser cette reforme en rappelant que l’employeur supportera dans tous les cas la charge de la preuve en ce qui concerne les transformations de caractère structurel et non cycliques du contexte économique. On s’attend à ce que le TS se prononce sur les limites de cet assouplissement du régime des licenciements quant à la définition du « caractère raisonnable » du licenciement. Dans tous les cas, le juge conserve le pouvoir d’annuler le licenciement ou de le requalifier en suspension du contrat de travail ou réduction des heures de travail. Par ailleurs il a déjà été annoncé qu’un plan de viabilité de l’entreprise serait rendu obligatoire en application de la loi.

On retiendra donc la principale nouveauté de cette réforme : l’introduction de la notion de «licenciements préventifs», sensée permettre aux employeurs d’ajuster rapidement leurs effectifs afin d’éviter de graves difficultés économiques futures, dues à la transformation structurelle du marché. Il s’agit indéniablement d’un assouplissement du régime du licenciement, même si la charge de la preuve qui pèse sur les employeurs pour justifier de difficultés par anticipation est lourde. S’agissant d’une réforme récente, les tribunaux espagnols devront préciser la nature et l’étendu des critères qui doivent être appliquées afin de justifier les licenciements.