1. Le vieux chantier de la modernisation de l’action publique

« Nul n’est censé ignorer la loi », mais « À l’impossible nul n’est tenu ». Le Journal Officiel comptait, bon an mal an, 15 000 pages dans les années 1980; 35 ans plus tard nous en sommes pratiquement au double. Les rapports du Conseil d’État sur la « sécurité juridique » (1991) et la « complexité du droit » (2006) ont dénoncé « la logorrhée réglementaire… les stroboscopes législatifs permanents », le droit ‘mou’ et l’instabilité des normes. La critique de l’inflation normative est un vieux topos. Il existe des causes objectives (multiplication des sources de droit, nouveau domaines etc.) et des facteurs pathogènes (pour faire court, l’atavisme bureaucratique courtelinesque des français). Montesquieu rappelle que les lois inutiles affaiblissent les nécessaires (De l’esprit des lois) et Descartes avant lui, que « La multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu’un État est bien mieux réglé lorsque n’en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées » (Discours de la Méthode).Un projet de loi (Doc. Sénat n° 175) entend réformer par voie d’ordonnance le droit des contrats et des obligations. Ce projet s’inscrit dans un programme gouvernemental ‘unsisyphe’ de simplification, d’allègement des contraintes, de clarification de l’action administrative et de modernisation du droit et des procédures[1]. Sancta simplicita.

Le maître mot c’est la « modernisation », un concept ‘valise’ qui a l’avantage d’être flou. Cette « modernisation » passe par une consécration, à droit constant, de solutions jurisprudentielles connues des praticiens. « Cet objectif doit aussi conduire à favoriser l’accessibilité et l’efficacité de la règle de droit et des procédures administratives et juridictionnelles. Il s’agit non seulement de moderniser des règles de droit pour en améliorer la lisibilité et l’intelligibilité, mais également de simplifier des procédures permettant d’obtenir une réponse adaptée aux besoins exprimés par les justiciables… de renforcer la sécurité juridique, tout en contribuant au rayonnement et à l’attractivité du système juridique français » (exposé des motifs du projet). Belles idées généreuses et générales, dans le sabir de circonstance (« accessibilité », « lisibilité », « intelligibilité »). La clarté et la simplification des lois commencent par la pureté de la syntaxe et du langage [2].

2. Les propositions principales du projet

Cette réforme fait suite à l’avant-projet du professeur Catala (2005), et aux propositions formulées par le groupe de travail du professeur Terré (janvier 2013).Le §1 (de l’article 3 du Projet) traite, à titre liminaire, des principes directeurs du droit des contrats (articles 1101 à 1107 du code civil). Les principes de liberté et bonne foi contractuelles sont consacrées et le processus de formation du contrat davantage encadré (négociations précontractuelles, promesses de vente et pactes de préférence, contrat sous forme électronique).

Le § 2 concerne les règles de validité du contrat, ramenées à trois i.e. le consentement des parties, leur capacité de contracter et l’existence d’un contenu licite et certain. La cause passe à la trappe, mais les règles relatives au devoir précontractuel d’information, aux vices du consentement, à la capacité et à la représentation sont consacrées, ainsi que la notion de clause abusive (dans le droit commun).

Le § 3 précise les règles applicables à la forme du contrat (principe du consensualisme). Les sanctions applicables en cas de non-respect des conditions de formation du contrat sont rappelées § 4, le § 5 traitant des règles d’interprétation du contrat, en particulier pour les contrats d’adhésion.

Le § 6 concerne les effets du contrat, entre les parties et à l’égard des tiers. L’effet obligatoire entre les parties est rappelé. Petite révolution, la théorie de l’imprévision est consacrée. Elle permettra une adaptation du contrat en cas de changement imprévisible de circonstances rendant l’exécution excessivement onéreuse pour le co-contractant qui n’aurait pas accepté d’en assumer le risque.

Le § 7 clarifie les règles relatives à la durée du contrat. Le § 8 regroupe les règles applicables en cas d’inexécution contractuelle. La jurisprudence relative à la résolution unilatérale du contrat en cas d’inexécution grave est consacrée (possibilité de résoudre le contrat par notification). Le § 9 traite de la gestion d’affaires et du paiement de l’indu.

Les § 10 et 11 concernent les règles applicables à une obligation indépendamment de sa source (obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires, ou à prestation indivisible). Enfin, le § 12 traite de la preuve des obligations. Ce projet qui fera certainement l’objet de discussions et d’amendements n’est pas fortuit.

3. Les enjeux

Le droit est un outil, un marché, et un enjeu économique. Cette modernisation du droit français des obligations fait suite à des réformes similaires opérées aux Pays-Bas et en Allemagne. La guerre des droits, le forum et le lex shopping, les rivalités entre les grands centres d’arbitrage (Paris, Londres, New York, Stockholm), les rapports Doing Business de la Banque mondiale sont passés par là. Le droit et les systèmes juridiques et judiciaires n’échappent ni au management, ni au marketing.S’agissant de l’UE, la proposition de Règlement relatif à un droit commun de la vente (présenté par la Commission européenne en octobre 2011) devrait être adoptée par le Parlement européen en janvier prochain.  La proposition vise à faciliter le commerce transfrontalier pour les professionnels et les achats transfrontaliers des consommateurs en établissant un ensemble autonome et uniforme de règles contractuelles.

La réforme du droit des obligations n’est qu’une facette de l’obligation de réforme. « Less is more ». Il y a plus de 40 ans G Pompidou interpellait J Chirac: « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays! On en crève! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux! Foutez-leur la paix! Il faut libérer ce pays! ». Tout reste à faire, mais une prise de conscience semble enfin s’opérer. La « scénographie de l’attente » (pour parler comme R Barthes[3]), c’est déjà un début…
C’est aussi la fin de l’année, et j’en profite, chers lecteurs, au nom de l’ensemble du cabinet et de l’équipe éditoriale de La Revue, pour vous remercier de votre fidélité et pour vous souhaiter de très joyeuses fêtes de fin d’année !!!! A très bientôt en 2014 !


[1] La volonté « d’allègement » a été rappelée lors du Comité Interministériel pour la Modernisation de l’Action Publique (CIMAP) du 18 décembre 2012. Le problème est que « La France a toujours cru qu’une chose dite était une chose faite » (H F Amiel).
Pire, les bureaucrates restent à la barre et font leur miel de l’injonction paradoxale et de la double contrainte.
[2]  Pour l’anecdote, une révolution de Palais Royal divise le Conseil d’État. Le rapport Martin sur la simplification des décisions de la justice administrative (avril 2012) préconise l’abandon du fameux « considérant que ». « Le juge doit non seulement au justiciable qui le saisit mais aussi au peuple français, … une décision dont les motifs sont compréhensibles. Or si pour les personnes que le groupe a auditionnées, toutes habituées à lire les décisions des juridictions administratives, le style particulier de leur rédaction ne représente pas un obstacle à leur compréhension, elles conviennent aisément qu’il n’en facilite pas la lecture ». ‘Argumentum ad populum’, ‘Argumentium ad judicium’ ou ‘Argumentum ad ignorentiam’ ?
[3] R Barthes, « Fragment d’un discours amoureux », 1977.